Jochen Rindt, la couronne sans Champion

Le 4 octobre 1970, le flamboyant pilote autrichien Jochen Rindt était sacré Champion du monde de Formule 1. Un titre acquis alors qu'il avait perdu la vie quelques semaines auparavant. Retour sur sa carrière.

Jochen Rindt, Brabham BT16
Masten Gregory, Jochen Rindt, Ferrari 250LM
Richie Ginther, Honda, Jochen Rindt, Cooper, Jack Brabham, Brabham, Denny Hulme, Brabham, John Surtees, Cooper
John Surtees, Cooper, le vainqueur Jack Brabham, Brabham, Jochen Rindt, Cooper
John Surtees, Cooper T81-Maserati, devant Jack Brabham, Brabham BT20-Repco et Jochen Rindt, Cooper T81-Maserati
Jim Clark, Lotus, John Surtees, Cooper, Denny Hulme, Brabham, Bob Bondurant, Eagle, Jochen Rindt, Cooper, Jackie Stewart, Bernard White Racing
Départ : Graham Hill, Team Lotus 49 Ford Cosworth, Jack Brabham, Brabham BT24 Repco, Dan Gurney, Eagle T1G-Weslake, Jim Clark, Team Lotus 49 Ford Cosworth, Bruce McLaren Eagle T1G-Weslake, Denny Hulme, Brabham BT24 Repco, Chris Amon, Ferrari 312, Jochen Rindt, Cooper T81B Maserati, Chris Irwin, BRM P83, Jackie Stewart, BRM P261, Jo Siffert, Cooper T81 Maserati, Pedro Rodriguez, Cooper T81 Maserati), Mike Spence, BRM P83
Pedro Rodriguez, Cooper T81-Maserati, devant Jochen Rindt, Cooper T81B-Maserati
Jochen Rindt, Brabham BT26-Repco
Jochen Rindt
Jochen Rindt, Brabham
Podium: Le vainqueur, Jackie Stewart, Matra MS10-Ford, Graham Hill, Lotus 49B-Ford, second et  Jochen Rindt, Brabham BT26-Repco, troisième.
Jochen Rindt, Brabham BT26 Repco, et Chris Amon, Ferrari 312, devant au départ
Jochen Rindt, Brabham Jack Brabham, Brabham
Jacky Ickx, Brabham BT26A Ford roule devant Jochen Rindt, Lotus 49B Ford
Jochen Rindt, Lotus 49B mène la course devant Jackie Stewart, Matra MS180, et Jacky Ickx, Brabham BT26A
Jochen Rindt, Lotus
Jacky Ickx, Brabham Jackie Stewart, Matra Jochen Rindt, Lotus Denny Hulme, McLaren
Jochen Rindt, Team Lotus
Chris Amon, Ferrari 246T, devance Jochen Rindt, Lotus 49B-Ford, au départ
Jackie Stewart, Matra MS80 Ford, devant Jochen Rindt, Lotus 49B Ford
Jochen Rindt, Lotus 49B Ford
Jochen Rindt, Lotus 49B
Jochen Rindt, Lotus 49C Ford
Denny Hulme, Mclaren M14A devant Jochen Rindt, Lotus 49 C
Jochen Rindt, Lotus 49C Ford
Jochen Rindt, Lotus 49C Ford devant Jean-Pierre Beltoise, Matra MS120
Jochen Rindt, Lotus 49C Ford devant Chris Amon, March 701 Ford et Jackie Stewart, March 701 Ford au départ
Jochen Rindt, Lotus 49C
Podium : le vainqueur Jochen Rindt, Lotus 72C, avec la mine sombre après avoir appris la mort de son ami Piers Courage
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Stirling Moss est surnommé le "champion sans couronne" car en dépit de ses succès et de ses performances, il n'a jamais pu être titré en Formule 1 malgré quatre deuxièmes places consécutives entre 1955 et 1958. Pour Jochen Rindt, on peut au contraire parler de "couronne sans champion" car de son titre en 1970, il ne profitera jamais. L'Autrichien est mort avant même de pouvoir en être assuré, un cas heureusement unique en discipline reine.

Rindt est né le 18 avril 1942 à Mayence, en Allemagne, dans une famille aisée. Cependant, ses parents furent tués dans un bombardement allié sur la ville et il fut recueilli et adopté par ses grands-parents, qui l'élevèrent à Graz, en Autriche. D'un caractère affirmé voire rebelle, il développa très rapidement une appétence pour la vitesse et la compétition, mais aussi pour le danger. Après quelques péripéties et quelques os cassés en ski, il s'adonna aux sports mécaniques d'abord sur deux roues. Pour lui, c'était du tout ou rien : soit il s'accidentait, soit il gagnait. 

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En dépit d'une éducation compliquée par ses renvois de différents établissements et des grands-parents assez pessimistes sur son avenir, il se promit de faire carrière au plus haut niveau des sports mécaniques, faisant par ailleurs étalage d'une ambition et d'une arrogance extrêmes, couplés à une façon de parler pour le moins abrupte.

Son héros d'enfance était le pilote allemand Wolfgang von Trips, dont la mort à Monza en 1961, alors qu'il luttait pour le titre mondial face à Phil Hill chez Ferrari, ne l'a absolument pas dissuadé de faire carrière. Il débuta en tourisme puis passa en monoplace, où il s'accidenta de façon répétée, terminant plusieurs fois à l'hôpital. Il finança lui-même ses premières tentatives dans des championnats plus sérieux. Un chemin tortueux qui allait cependant finir par le mener au succès.

En 1964, après avoir acquis une Brabham de F2, il disputa sa seconde course à Crystal Palace, épreuve après laquelle la presse britannique rapporta qu'un "Autrichien inconnu" avait battu le grand Graham Hill. Il fit rapidement montre d'un style de pilotage spectaculaire, flamboyant, n'hésitant pas à enchaîner les travers et à entrer dans les virages à des angles inhabituels, toujours à la limite.

"Ai-je déjà piloté dans mes limites ?"

Jochen Rindt

C'est en Formule 2, un championnat extrêmement compétitif, qu'il va d'abord et longtemps s'illustrer. En 1964, il disputa son tout premier GP de F1. En 1965, il signa son premier contrat en discipline reine, courant sur trois années, avec Cooper. Cependant les monoplaces furent peu compétitives, au contraire des Ferrari d'Endurance. Cette année-là, il remporta les 24 Heures du Mans au volant d'une 250LM aux côtés de Masten Gregory (et peut-être d'Ed Hugus, mais c'est une autre histoire...).

En 1966, il monte sur ses premiers podiums en F1 et termine à une honorable troisième place du classement général, pour sa seconde saison complète. Les saisons 1967 (la dernière avec Cooper) et 1968 (la seule avec Brabham) seront particulièrement frustrantes : en 22 Grands Prix disputés, il ne verra l'arrivée que quatre fois, la plupart du temps victime de problèmes de fiabilité. Son style agressif et sans compromis en était sans doute en partie responsable. Aussi, même s'il était rarement en possession de monoplaces compétitives, il ne décevait jamais et faisait le spectacle. Quand quelqu'un lui demanda s'il pilotait souvent au-delà de ses limites, il rétorqua : "Ai-je déjà piloté dans mes limites ?" Avec un tel aplomb et un sens du spectacle, il devint rapidement un des favoris du public et des observateurs, particulièrement des photographes. 

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Sur le plan sportif, le tournant de sa carrière en F1, qui ne comptait jusqu'ici "que" deux poles et trois podiums, eut lieu en 1969, quand il fut recruté par Colin Chapman pour rejoindre Lotus et le Champion du monde en titre, Graham Hill. Rindt prit rapidement la mesure d'un Hill sur le déclin au volant d'une Lotus 49 qui était aussi rapide que fragile. 

La fin des années 1960 marquait l'époque des premières expérimentations sur les ailerons. Des expérimentations parfois folles qui se faisaient en course et dans des conditions de sécurité précaires. Lors du GP d'Espagne 1969, sur le redoutable circuit de Montjuïc, Rindt en fit la très amère expérience lorsque, subissant la casse de son aileron arrière dont l'un des montants présentait depuis quelques tours une fragilité, il s'accidenta violemment en percutant l'épave de la monoplace de Hill, lui-même victime de la même défaillance plus tôt dans l'épreuve. Ce dernier était indemne, mais Rindt subit une commotion cérébrale et quelques fractures. 

"Le point de non-confiance est assez proche"

Il se montra à partir de là particulièrement critique et véhément concernant les créations de Chapman et le peu de cas qu'il pouvait faire de la sécurité au détriment de la performance. Une lettre devenue célèbre envoyée par Rindt à Chapman se concluait par ces deux paragraphes : "Maintenant, concernant la situation globale, Colin, je cours en F1 depuis cinq ans, j'ai commis une erreur (j'ai harponné Chris Amon à Clermont-Ferrand) et j'ai eu un accident à Zandvoort en raison d'un problème de boite de vitesses ; pour le reste, j'ai réussi à rester hors des ennuis. Cette situation a rapidement changé depuis que j'ai rejoint ton équipe : Levin, l'Eifel Race en F2 et maintenant Barcelone."

"Honnêtement, tes voitures sont si rapides qu'elles seraient encore compétitives avec quelques kilos en plus utilisés pour rendre les pièces fragiles plus solides. Aussi, je pense que tu devrais passer plus de temps à vérifier ce que tes employés font ; je suis sûr que les triangles de suspension sur la F2 [Rindt a eu un accident sur le tracé de l'Eifel Race en Formule 2 et met en cause les suspensions de sa Lotus, ndlr] auraient eu un autre aspect. Je te prie de réfléchir à mes suggestions : je peux uniquement piloter une voiture dans laquelle j'ai confiance et je sens que le point de non-confiance est assez proche."

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Mais cet état d'esprit frondeur fut atténué quelques semaines plus tard par sa toute première victoire en F1, lors du GP des États-Unis 1969, à Watkins Glen. Comme souvent, cette victoire marqua un déclic, qui allait être secondé par l'entrée en scène d'une monoplace particulièrement révolutionnaire pour l'époque. Mais avant cela, il y eut sans doute la plus grande victoire de sa carrière, à Monaco, en 1970. Au volant de la vieillissante Lotus 49 et après avoir passé une grande partie de la course hors du podium, Rindt se retrouva grâce au jeu des abandons second, à 15 secondes de Jack Brabham. Flairant l'odeur de la victoire, l'Autrichien se lança dans un effort impressionnant, parfois effrayant, pour combler ce retard. Il explosa, tour après tour, les records, allant de plus en plus vite dans un ballet étourdissant. Dans le dernier tour, il revint à portée de Brabham et la touche finale à ce récital fut mise par l'Australien qui, sous la pression du pilote Lotus, manqua le freinage du tout dernier virage puis tira tout droit dans les barrières, offrant la victoire à son adversaire.

Alors que la joie de cette victoire inonda Rindt au point qu'il essuya quelques larmes au moment de recevoir le trophée, l'année 1970 allait comme un mauvais présage le voir perdre deux amis proches, à trois semaines d'intervalle. Bruce McLaren, tout d'abord, se tua à Goodwood en essayant sa voiture de CanAm, puis Piers Courage perdit la vie après un accident et un incendie très violent lors du GP des Pays-Bas, que Rindt remporta la mine sombre. 

Retirer les ailerons, "le seul moyen d'aller vite"

Hanté par ces décès, poussé par son épouse Nina et la perspective de ne pas avoir sa fille Natasha grandir, Rindt remet en question son avenir et envisage la retraite. À quel point ? Les récits divergent, mais ce qui est sûr est qu'il signa entre les GP des Pays-Bas et d'Allemagne quatre succès consécutifs au volant de la Lotus 72, s'emparant aisément des commandes du championnat, avec 20 points d'avance (à une époque où la victoire en vaut neuf) au moment d'aborder le GP d'Italie.

Outre les expérimentations aérodynamiques, l'épreuve se court à une époque où la possibilité de retirer les ailerons est une hypothèse sérieusement prise en compte pour gagner en compétitivité. Même si la sécurité faisait partie des préoccupations de Rindt, il restait un pilote de pointe à la recherche de la performance et désireux de sceller rapidement un titre qui lui tendait les bras. Son équipier John Miles raconta, dans un entretien pour ITV, en 1999 : "Jochen et moi travaillions sur la vitesse de pointe et étions plus ou moins arrivés à la même conclusion que Graham Hill : ailerons avant et arrière plats, volet central de l'aileron arrière retiré. Il restait à peu près une demi-heure d'essais. Les Ferrari étaient devant en 1'24, nous étions deux secondes derrière. Jochen s'arrête au stand pour réclamer davantage de vitesse de pointe. Il avait failli gagner ici l'année précédente sur une Lotus 49 dépourvue d'ailerons. Il exige qu'on ôte ses ailerons. 'C’est le seul moyen d'aller vite sur ce toboggan', dit-il à Eddie Dennis, son mécano. [...]"

"C’est alors que j'aperçus Jochen dans mes rétroviseurs. Il restait environ une demi-heure à tourner. Il y avait quelque chose de changé sur sa voiture. J'ai ralenti. Il est passé sous le pont de l'anneau de vitesse dans l'habituel environnement de bruit et de turbulences. Dans Ascari, sa voiture était comme folle : l'arrière zigzaguait, elle utilisait toute la piste, même le tarmac où le circuit junior rejoint le grand circuit. Nous nous sommes arrêtés tous les deux au stand. Jochen avait fait 1'25"7, moi 1'26"5. Il prenait 500 à 600 tours de plus en ligne droite sans ailerons. [...]. La vision de sa voiture très instable sans ailerons m'avait convaincu de garder les miens."

Miles n'eut pas vraiment le choix. Chapman lui imposa le retrait des ailerons en dépit de son refus net. Il ajouta, par la suite : "Je me sentais mal. Être en désaccord avec l'homme qui m'avait tant aidé ne me mènerait nulle part. Toutefois je savais mes jours comptés chez Lotus. Jochen, lui, était optimiste. Il avait réussi à régler la voiture sans ailerons en moins d'une heure et il se sentait capable d'en maîtriser l'instabilité. Pour ma part, j'estimais le risque trop grand. Nous n'avions pas la moindre idée du comportement aérodynamique de cette auto privée de ses ailerons. Je n'aimais pas cette approche irréfléchie du problème."

Le lendemain, le 5 septembre 1970, alors que les essais débutent, Rindt est victime d'un terrible accident au freinage de la Parabolique. Denny Hulme raconta : "Jochen me suivait depuis plusieurs tours et me rattrapait, et comme je n'avais pas été très rapide dans le second Lesmo, je me suis rangé sur le côté et ai laissé Jochen passer. Je l'ai alors suivi jusque dans la Parabolique, [...] nous allions très vite et il a attendu les 200 derniers mètres pour freiner. La voiture est juste allée sur la droite, puis elle a tourné sur la gauche, puis sur la droite à nouveau avant de soudainement aller très vite sur la gauche, dans le rail."

Sous le rail de sécurité, en fait, car ces barrières n'étaient absolument pas adaptées aux monoplaces particulièrement basses de l'époque, et surtout pas à la Lotus 72 qui poussait certains concepts au maximum. La cause réelle de l'accident semble être une défaillance des freins, mais pour beaucoup il est certain que la présence d'ailerons aurait stabilisé la monoplace.

Au choc terrible dans des protections inadaptées s'est ajouté le fait que Rindt, désireux de ne pas être piégé dans une monoplace en feu, avait pour habitude de ne pas utiliser tous les points d'attache de son harnais. Un choix funeste puisque la violence de l'impact le fit glisser vers l'avant et sous ce même harnais, le blessant très gravement à la gorge. Parmi les premières personnes sur place, son ami et agent, Bernie Ecclestone, qui, conscient de l'extrême gravité de la situation, ne revint dans les stands qu'avec deux tristes reliques : un casque abîmé et une chaussure qui avait été éjectée suite à l'accident.

Quelques hectomètres après l'endroit où son héros Wolfgang von Trips avait perdu la vie neuf ans plus tôt, Rindt laissait la sienne. Mais contrairement à l'Allemand, que Phil Hill avait battu au terme du GP d'Italie 1961, l'Autrichien allait demeurer en tête du championnat jusqu'au bout. La couronne attendant pour toujours son champion.

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