Karun Chandhok et son cauchemar chez Lotus

Il y a dix ans avait lieu le premier Grand Prix d'Inde de l'Histoire de la Formule 1. Karun Chandhok était censé y participer, mais ça n'a pas été le cas, le pilote d'essais Team Lotus s'étant progressivement retrouvé mis à l'écart de l'écurie.

Karun Chandhok, Team Lotus T128

Photo de: Daniel Kalisz / Motorsport Images

En 2010, avec les trois nouvelles écuries Lotus Racing, Virgin Racing et Hispania Racing Team, la Formule 1 comptait désormais 24 monoplaces sur sa grille, quatre de plus que la saison précédente. Cette saison fut logiquement le théâtre de l'arrivée de nombreux rookies : c'était l'occasion d'une première campagne complète pour Jaime Alguersuari, Kamui Kobayashi, Nico Hülkenberg, Vitaly Petrov, Lucas di Grassi, Bruno Senna… et Karun Chandhok.

Malgré des performances modestes en GP2 (deux victoires en Course Sprint, un total de cinq podiums en 61 participations, et surtout une médiocre 18e place au classement 2009 avec l'équipe Ocean Racing Technology), Chandhok avait trouvé un baquet chez Hispania, la structure la moins fortunée de toutes. Les débuts ont été difficiles, avec des premiers tours de roue qui ne sont intervenus qu'en qualifications au Grand Prix de Bahreïn.

L'Indien a fait de son mieux avec une monoplace qui n'allait être que très peu développée, si bien qu'il n'y avait pas de package à faible appui aéro à Monza ; en revanche, à Monaco, Chandhok s'était illustré en faisant l'undercut à la Lotus de Jarno Trulli et en lui résistant ensuite pendant 44 tours, avant une tentative de dépassement téméraire du vétéran italien, qui s'est conclue par un accrochage spectaculaire à La Rascasse. Chandhok en avait toutefois assez fait pour attirer l'attention du propriétaire de Lotus Racing, Tony Fernandes…

Accrochage entre Karun Chandhok, Hispania Racing F1 Team HRTF1 et Jarno Trulli, Lotus T127

"Le premier contact avec Tony était bizarre", relate-t-il dans un entretien avec le magazine Motor Sport. "Si vous vous rappelez, à Monaco, Jarno a fini sur moi quand je pilotais pour HRT. Le lundi, mon téléphone a sonné, et c'était Tony. Il a dit : 'J'espère que tu vas bien. Vraiment désolé, c'était ma faute. Je criais sur Jarno à la radio, je lui disais qu'il fallait qu'il te double, et il a plongé de manière désespérée au freinage'. Lors de cette conversation, il a demandé : 'Quels sont tes plans pour l'an prochain ? Ta voiture était clairement pourrie mais j'ai été impressionné par ce que tu as fait'."

Fernandes a ainsi proposé à Chandhok un poste de troisième pilote au sein de l'équipe rebaptisée Team Lotus, après le rachat de la légendaire écurie britannique – ou du moins de ce qui en restait (son nom). Le Malaisien a fait une offre alléchante au natif de Chennai : l'opportunité de participer à la première course de Formule 1 dans son pays. "Le Grand Prix d'Inde arrivait en 2011", confirme l'intéressé. "Il pensait que nous pourrions trouver une sorte d'accord qui cocherait diverses cases de relations publiques."

Karun Chandhok, Tony Fernandez, Team Principal, Team Lotus

Chandhok a donc débarqué à Hingham, dans le Norfolk, mais a vite déchanté face au manque de cohésion qui régnait dans l'écurie, d'après lui en raison de l'influence excessive du directeur technique Mike Gascoyne.

"Je me suis vite rendu compte que c'était une petite équipe avec toute la politique d'une grosse écurie. Il y avait cette faction d'anciens de chez Toyota [où avait travaillé Gascoyne, ndlr] qui avaient leur propre petite clique. Puis il y avait un autre groupe de personnes qui venaient d'autres équipes et qui ne s'entendaient pas bien avec eux."

"Mike Gascoyne avait ses favoris, en quelque sorte, autour de lui. C'est un personnage très puissant, il était une force de la nature dans cette équipe. C'était le 'Mike Show' : quand il disait quelque chose, tout le monde se contentait d'acquiescer. J'avais quasiment l'impression que Tony avait presque peur de lui – il s'en remettait à ce que Mike disait, ce qui était un peu étrange."

Gascoyne n'avait d'ailleurs pas été informé du recrutement de Chandhok au poste de réserviste et ne l'a appris qu'en découvrant la présence du pilote indien dans le garage aux tests de pré-saison. Il n'y avait pas de quoi lancer leur relation sur des bases idéales.

Mike Gascoyne, Team Lotus Racing Directeur Technique avec Karun Chandhok

"Je m'entendais bien avec lui personnellement, mais pas professionnellement. Je ne crois pas qu'il me respectait vraiment", regrette Chandhok. "D'abord, j'étais censé tester la voiture à Jerez, puis Mike m'a appelé le soir d'avant et a dit : 'Désolé, il faut que je mette l'Angolais – Ricardo Texeira – dans la voiture'. Mike essayait de trouver un accord avec la marque angolaise Sonangol, mais l'argent n'est jamais arrivé, tout ça n'était qu'un bazar."

Chandhok n'a ainsi pas pu prendre le volant en essais hivernaux mais a eu l'opportunité de piloter la Lotus T128 en Essais Libres 1 dès le premier Grand Prix, à Melbourne. Or, il pleuvait, et l'Indien a percuté le mur quelques secondes après être sorti des stands ; sa séance était déjà terminée. Il semble justement que cet accident ait eu un impact non négligeable sur sa saison.

"À partir de là, je me suis toujours senti traité comme une sorte de pièce rapportée par le management", déplore Chandhok. "J'ai fait l'effort d'aller à l'usine et de discuter avec les ingénieurs, mais personne ne voulait vraiment parler avec moi. Mike a mis cette sorte de barrière, il ne voulait pas vraiment communiquer avec moi."

"Il y avait des personnes qui étaient gentilles avec moi, mais en général, quand je revenais d'une séance d'EL1 avec des commentaires à faire, tout le monde disait : 'Ouais, ouais, ouais, faisons entrer les pilotes titulaires pour enfin avoir de vrais commentaires'. Ce que je faisais n'a jamais eu de vraie valeur."

Karun Chandhok, Pilote de Réserve Team Lotus

Chandhok n'était cependant pas au bout de ses surprises quant à la gestion inhabituelle de l'écurie par son propriétaire Tony Fernandes, dans un contexte où Jarno Trulli était en grande difficulté par rapport à son coéquipier Heikki Kovalainen : l'Italien était peu à l'aise avec la direction assistée de la T128.

"Alors que nous nous rendions vers la grille à Silverstone, Tony m'a regardé et a dit : 'Je commence vraiment à être frustré par Jarno. Il connaît une saison difficile, ça ne se passe pas bien, il faut que je fasse bouger les choses. Je vais te mettre dans la voiture pour la prochaine course au Nürburgring'. Et je me suis dit que ça sortait de nulle part."

"Ce n'est pas ce à quoi je m'attendais, mais évidemment, j'ai dit que j'allais le faire. Mais vous savez, à l'époque, je n'avais pas fait le moindre tour dans la voiture, ou avec des pneus Pirelli, sur le sec. Le problème, c'est que je pensais devoir dire oui, car j'entendais déjà des bruits comme quoi ils ne respecteraient pas le contrat pour les courses en Corée et en Inde plus tard dans l'année."

Karun Chandhok, Jarno Trulli, Team Lotus

Pour couronner le tout, Trulli n'a pas été informé qu'il allait rester sur la touche avant son arrivée en Allemagne. Et sans surprise, avec une aussi faible préparation, Chandhok a connu un week-end compliqué : il accusait 2"4 de retard sur Kovalainen en Essais Libres 1, 1"5 en EL2, 1"6 en EL3 et 0"8 en qualifications. Surtout, il ne s'est pas senti soutenu par l'équipe.

"C'était toujours délicat, car je crois que Mike ne voulait pas que je sois là : il n'était pas d'accord avec la mise à l'écart de Jarno", explique-t-il. "Tous les ingénieurs sont professionnels, ils font leur travail. Tout le monde a fait de son mieux, de manière professionnelle, pour le week-end. Mais cela n'a jamais été 'Encourageons ce gars car nous voulons qu'il soit performant, il pourrait faire deux courses de plus'. Je pense qu'ils ont fait le nécessaire pour cocher une case."

"Tony m'a dit : 'Quoi qu'il arrive aujourd'hui, ne t'inquiète pas, cela n'affecte pas les deux autres courses, tout est signé, donc fais-toi plaisir'. Ce sont les mots précis qu'il a utilisés sur la grille !"

Or, Chandhok a commis deux tête-à-queue et a fini la course à plus de deux tours de Kovalainen. Cela n'a manifestement pas plaidé en sa faveur, et l'Indien a fait de son mieux lors des séances d'Essais Libres 1 suivantes pour prouver sa valeur, en vain : à domicile, il n'a pu rouler que le vendredi matin.

Karun Chandhok, Team Lotus T128

"Tony a convenu d'un rendez-vous avec moi pour discuter de la course en Inde, et il n'est pas venu", révèle-t-il. "Il y avait des gens bien dans l'équipe, Jody Egginton et Graham Watson. C'est le team manager, Graham, qui m'a informé. Il a été franc avec moi, d'une manière typiquement néo-zélandaise, et m'a dit : 'Écoute. Je te le dis maintenant, ils te racontent tous des conneries, tu ne vas pas avoir le volant'. C'est lui qui m'a dit la vérité quand personne ne voulait le faire, ce que j'ai vraiment apprécié. Tony et moi avons finalement trouvé un accord financier. Cela a pris longtemps, et c'est typique de Tony : nous avons trouvé l'accord en avril 2013."

Par la suite, Chandhok est passé en Formule E et surtout en Endurance, avec cinq participations aux 24 Heures du Mans à son actif en LMP1 et en LMP2. Il fait également une belle carrière de consultant outre-Manche, ayant contribué à la couverture de la Formule 1 par la BBC, Channel 4 et désormais Sky Sports F1.

Karun Chandhok, Team Lotus T128

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