Quand Kubica gagnait et Honda faisait d'Alonso sa cible n°1

Le Grand Prix du Canada 2008 s'était apparenté à de véritables montagnes russes en piste comme en dehors, et avait été absolument passionnant à couvrir depuis le paddock. Voici pourquoi.

Robert Kubica, BMW Sauber F1.08

LAT Images

Après 18 tours de course à Montréal, j'ai entendu deux gros bruits depuis la salle de presse, où mon siège se trouvait à une centaine de mètres de la sortie des stands du Circuit Gilles Villeneuve. Le retard des images télévisées m'a laissé quelques secondes pour échanger un regard interrogateur avec mon collègue chez Autosport, Jonathan Noble, avant de me tourner à nouveau vers les écrans pour voir Lewis Hamilton percuter la Ferrari stationnaire de Kimi Räikkönen avant d'être lui-même heurté par la Williams de Nico Rosberg.

De manière insolite, le responsable communication de McLaren, Steve Cooper – qui venait de rejoindre le "côté obscur" (à savoir les relations publiques) en provenance du journalisme, et à qui j'avais succédé – a donné une tape dans le dos à Lewis pour le réconforter. Il a par la suite admis qu'il ne regardait pas les écrans au moment où l'incident s'était produit et n'avait aucune idée de ce qui s'était réellement passé !

Lewis Hamilton, McLaren MP4-23, rentre au garage après son accident avec Kimi Raikkonen, Ferrari F20

Professionnellement, ce que je retiens de ce week-end, c'est le meilleur article que j'aie jamais écrit... sur quelque chose qui ne s'est finalement jamais produit ! Laissez-moi vous expliquer...

Dans le paddock de la F1, on se rend vite compte que tout le monde parle à tout le monde. Les managers des pilotes, les dirigeants des écuries, les sponsors... quand les voitures ne roulent pas (et parfois quand elles roulent), ils passent le plus clair de leur temps à commérer en s'assurant de tout savoir sur les rumeurs et sur les options disponibles ou non, en particulier sur le marché des transferts.

Le principal sujet du jour était l'avenir de Fernando Alonso. Après le désastre de son année chez McLaren en 2007, tout le monde savait que son retour chez Renault n'était qu'un intermède avant la prochaine opportunité majeure. Mais où, et quand ? Ferrari était clairement sa priorité, mais c'était avant la crise financière de 2008, et de nombreux grands constructeurs étaient alors également présents en F1.

L'astuce, pour un journaliste, est de s'immiscer dans ces conversations du paddock en discutant avec autant de gens que possible, en étant bien conscient qu'il y aura autant d'informations inutiles ou erronées que de pépites. Cooper m'avait d'ailleurs donné un conseil avisé : "Ne crois rien avant de l'avoir entendu de plusieurs sources différentes".

Fernando Alonso, Renault R28

Je me suis rendu au point presse du jeudi d'Alonso et comptais obtenir suffisamment d'informations pour en écrire un article. Mon plan B était une analyse sur l'impact du KERS, qui allait arriver en 2009, mais je souhaitais vraiment parler de l'avenir de Fernando, idéalement de manière unique.

Alonso est quelqu'un qui aime l'aspect politique de la Formule 1 et veut faire passer son message autant que nous voulons le relayer. Il s'agit de le pousser à dire quelque chose que l'on peut utiliser pour l'angle choisi. Et une source improbable m'a donné un sacré coup de pouce en ce sens.

Ce n'était que mon deuxième Grand Prix dans le rôle de Steve Cooper, et Jonathan Noble continuait donc de me présenter aux personnes que je n'avais pas encore rencontrées. Nous étions chez Honda juste après le déjeuner lorsque Jon a aperçu l'un des dirigeants de l'écurie. Nous sommes allés le voir, et il nous a aimablement invités à boire un coup pour discuter. C'était une rencontre très conviviale, nous avons papoté sans carnets ni dictaphones, et chacun s'exprimait librement. Tout d'un coup, Jon a fait preuve de son talent de journaliste avec une question brillante : "Alors, ça se passe comment, les discussions avec Fernando ?".

Le dirigeant de Honda a lancé un regard surpris, et a fini par répondre après une longue pause : "Eh bien, ça va en fait, on discute et on fait connaissance. On entend dire qu'il est difficile, mais jusque-là, ça se passe très bien avec lui." Wow ! Là, il faut garder son calme, sourire, acquiescer et ajouter : "Du coup, vous diriez qu'il est votre priorité pour l'an prochain ?". Il a répondu : "Oh, oui, il est sans aucun doute notre cible numéro 1".

À l'époque, personne n'associait Alonso à Honda. Et bien qu'un dirigeant de l'écurie ait confirmé les contacts (je n'allais évidemment pas le mentionner, mais il avait donné l'angle de l'article), c'était à moi de développer le sujet. Armé de cette information, il était temps de voir ce que Fernando avait à dire. Je me rappelle être arrivé à son point presse très en avance afin d'être en pole position, juste en face d'Alonso. Je faisais face à un dilemme : si j'en disais trop, le monde entier allait avoir mon information.

Fernando Alonso, Renault F1 Team R28

J'ai choisi mon angle d'attaque : une question ouverte quant à la possibilité que la nouvelle réglementation technique de 2009 rebatte les cartes, avec des écuries en difficulté (comme Honda) qui se pourraient se retrouver dans une position plus favorable. Envisagerait-il de rejoindre l'une d'entre elles ?

Me regardant dans les yeux, il a répondu : "L'an prochain, tout le monde partira de zéro. Aérodynamiquement, etc, toutes les équipes vont progresser de 5% ou 10%. Si l'on rate une année, on accuse un certain retard pour les autres. L'an prochain, ce n'est pas la question. Il y a toujours des surprises quand ces choses-là se produisent. N'importe quelle équipe peut être compétitive l'an prochain."

Quand on repense à ce qui s'est passé en 2009, cette réponse était sacrément visionnaire, non ? J'ai repris la main avant que quiconque puisse poser une autre question : Fernando, étant donné que tu penses qu'il pourrait y avoir des changements majeurs dans la hiérarchie de la F1, sur quoi baserais-tu ta décision ?

"Je vais être calme et écouter tout le monde. Et à la fin, je ferai confiance à l'un d'entre eux. Tout le monde est très optimiste pour l'an prochain, mais c'est pareil à chaque fois. Il faut avoir l'intuition qu'il y en a un qui est plus malin que les autres."

Et en F1, il n'y a personne de plus malin que Ross Brawn. Armé de ces bonnes citations d'Alonso qui pouvaient soutenir mon article, je l'ai intitulé "Honda va faire une offre à Alonso", et une offre très lucrative a effectivement été faite cet été-là. Mais Alonso l'a refusée, probablement car son manager, Flavio Briatore, a vu venir le retrait de la marque japonaise. L'impact de la crise financière ne s'est réellement fait ressentir qu'en septembre, avec la faillite des Lehman Brothers, et qui aurait pu prédire que le phénix Brawn allait renaître des cendres de Honda ?

Ross Brawn, Team Principal, Brawn GP

Bien que cela ne se soit pas concrétisé, je reste fier de l'article que j'ai écrit pour Autosport la semaine suivante. Comme l'exigeait le directeur de la publication de l'époque en agitant ses lunettes : "Dis-moi quelque chose que je ne sais pas déjà !" L'article était avéré (à l'époque) et véritablement exclusif, même si ce transfert ne s'est pas réalisé. Comme aime bien le dire David Coulthard : "Je n'ai pas de boule de cristal !"

Imaginez ce qu'aurait fait Alonso au volant de la Brawn BGP 001. Il est amusant que le dirigeant de Honda susmentionné ait depuis lors déclaré : "Fernando Alonso aurait dû courir pour Nick Fry et Ross Brawn en 2009. S'il l'avait fait, il serait quadruple Champion du monde aujourd'hui." Et je suis plutôt d'accord, du moins pour dire qu'il serait au moins triple Champion du monde, même si Jenson Button émettrait probablement quelques doutes !

À n'importe quel autre moment, la première (et unique) victoire en Formule 1 de Robert Kubica et de BMW Sauber, un an après l'horrible accident du Polonais à Montréal, aurait été le principal événement du week-end pour moi. Et c'était certainement une très belle course à laquelle assister, une épreuve qui a fait germer dans l'esprit de Bernie Ecclestone l'idée de pneus à dégradation rapide pour imiter le changement d'adhérence sur cette piste qui se désagrégeait. Oh, et je me rappelle avoir vu Bernie, en colère, envoyer valser le dictaphone d'un journaliste avant de bousculer l'intéressé contre une table, car il tentait d'enregistrer leur conversation privée !

Mais c'est typique de la Formule 1 : ce qui se passe en piste n'est qu'une partie de l'histoire.

Rejoignez la communauté Motorsport

Commentez cet article
Article précédent Wolff : Des budgets "absurdes" dans les catégories juniors
Article suivant Red Bull ne se précipitera pas pour prolonger Pérez

Meilleurs commentaires

Il n'y a pas de commentaire pour le moment. Souhaitez-vous en écrire un ?

Abonnez-vous gratuitement

  • Accédez rapidement à vos articles favoris

  • Gérez les alertes sur les infos de dernière minute et vos pilotes préférés

  • Donnez votre avis en commentant l'article

Motorsport Prime

Découvrez du contenu premium
S'abonner

Édition

France