Le Corse ambitieux qui incarne le renouveau d'Alpine
Depuis l'arrivée de Laurent Rossi à sa tête, début 2021, Alpine a vu des hommes clés venir et s'en aller alors que l'équipe française cherche à revenir au sommet de la F1. Mais qui est Laurent Rossi et comment s'est-il retrouvé à la tête d'une pareille structure ?
Des changements majeurs ont eu lieu au sein de la direction d'Alpine cet hiver, un an seulement après le dernier remaniement en date. Pour rappel, début 2021, le directeur d'équipe Cyril Abiteboul avait été évincé au moment où Renault prenait une nouvelle identité. Le PDG du groupe, Luca de Meo, avait alors nommé Laurent Rossi, son ancien directeur de la stratégie et du business développement, comme nouveau patron d'Alpine.
Dans l'affaire, Marcin Budkowski, le numéro deux d'Abiteboul, avait été promu directeur exécutif et Davide Brivio, bien connu de Luca de Meo, directeur sportif. Officiellement, aucun des deux hommes n'était directeur d'équipe, bien que, comme le souligne son profil LinkedIn, Budkowski soit titulaire de la licence FIA pour ce rôle.
Tout au long de la saison dernière, le Franco-Polonais semblait avoir pris ses marques à Enstone, cependant certaines rumeurs ont commencé à se propager dans le paddock et parlaient d'un recrutement d'Otmar Szafnauer, directeur de l'équipe Aston Martin, pour un rôle équivalent chez Alpine. Était-il donc surprenant d'apprendre, début janvier, que Budkowski était sur le départ ? Peu de temps après, c'était au tour du conseiller Alain Prost de voguer vers de nouveaux horizons.
Au final, dans les postes clés du management, seul Laurent Rossi est resté. Mais qui est cet homme et comment s'est-il retrouvé à la tête d'Alpine ? Le Français est l'une des personnes supervisant une équipe les plus qualifiées sur le plan académique et vient pourtant d'un milieu modeste.
Fernando Alonso
Il est originaire de Corse, son père était garagiste et préparait des voitures pour l'épreuve de WRC, à laquelle il participait parfois. La passion de Rossi pour le sport automobile a été attisée par des sorties familiales au Grand Prix de Monaco, mais il n'a pas rejoint l'entreprise de son père.
"Quand je m'approchais des voitures, mon père me disait : 'Ne touche pas ça, tu vas te blesser avec une clé à molette. Va plutôt prendre un stylo'", se souvient-il. "C'était une façon pas très subtile mais très originale de me dire d'aller étudier et de ne pas faire comme ton vieux. Sinon, tu vas être coincé à travailler sur des voitures comme moi..."
Et Laurent Rossi a écouté son père, en s'investissant dans les études et en décrochant des diplômes dans la mécanique des fluides et la mécanique moteurs et combustion. Un stage chez Peugeot l'a conduit à un poste chez Renault, en 2000, et il a rapidement gravi les échelons.
Quand je m'approchais des voitures, mon père me disait : 'Ne touche pas ça, tu vas te blesser avec une clé à molette. Va plutôt prendre un stylo'.
Laurent Rossi
"Je faisais beaucoup d'efforts pour tout comprendre", ajoute-t-il. "En gros, il y avait cinq ou six domaines d'expertise dans le département de mise au point dans lequel j'ai débuté et j'ai mis un point d'honneur à connaître chacun d'entre eux très rapidement. Ensuite, on est promu chef de produit parce que l'on peut comprendre les problèmes et les optimisations, et l'approche globale de tous ces problèmes."
Rossi avait cependant de plus grandes ambitions : "J'aimais ce que je faisais. Mais je pouvais me voir être coincé ou stagner chez Renault à cause de ma formation d'ingénieur. Donc j'ai demandé si je pouvais faire autre chose. Et les gens m'ont dit : 'Pourquoi tu ne t'en tiens pas aux pistons et à ce genre de choses ? C'est ton domaine, tu ne connais rien d'autre.' Et je leur ai dit : 'D'accord, vous allez voir.' Et j'ai fait mon MBA."
Laurent Rossi
L'obtention d'un MBA, un Master en administration des affaires, est le chemin traditionnellement emprunté pour donner un coup de pouce à une carrière dans le management. Et Rossi n'a pas fait les choses à moitié puisqu'il a quitté Renault pour s'inscrire à Harvard.
"Généralement, un MBA est le meilleur moyen de changer complètement de carrière, et non de se spécialiser ailleurs", précise le Français. "Et comme je prenais un grand risque, parce qu'en France un MBA n'est pas vraiment connu, je voulais m'assurer que si j'obtenais un MBA, je l'obtiendrais dans l'institution la plus reconnue. Donc j'ai parié que si je l'avais, je l'avais [et que] si je ne l'avais pas, je continuerais à faire ce que je faisais. J'ai eu la chance d'être accepté à Harvard."
Se rendre aux États-Unis représentait un investissement conséquent. "C'était extrêmement cher. J'ai vendu absolument tout ce que j'avais : mon appartement, ma voiture, mes meubles. J'ai gardé mon âme, mais c'est tout ! C'était un engagement énorme. En gros, il fallait tout donner. Et ça a payé parce que j'ai contracté un minimum de dettes et, trois ans après le MBA, je n'en avais plus. Je n'avais plus de biens non plus !"
Après avoir obtenu son diplôme en 2009, il a rejoint le Boston Consulting Group, un géant du conseil en stratégie. "À l'origine, je ne voulais pas travailler dans l'industrie automobile parce que je voulais m'en éloigner pour y revenir à un moment donné. Donc j'ai un peu travaillé dans la banque et la santé. C'était bien, j'étais un bon conseiller, mais ce n'était pas excellent."
"Un jour, l'un des partenaires à Détroit m'a demandé de travailler sur un dossier pour un client là-bas, l'un des Trois Grands [General Motors, Ford et Chrysler, les trois constructeurs automobiles basés à Détroit les plus importants, ndlr]. J'ai adoré ça et j'ai fait du très bon travail parce qu'il s'avère qu'être un ingénieur automobile dans ce monde aide beaucoup. Le fait d'être passionné par l'industrie, pas seulement les voitures mais l'industrie en elle-même, aide beaucoup. J'en ai très bien compris la macroéconomie."
Esteban Ocon
Ses expériences professionnelles l'ont finalement amené à travailler sur des projets secrets pour les Trois Grands. Rossi s'est également impliqué dans le futur avec les émissions carbone. "Pour BCG, il était important de pouvoir se positionner dans le contexte d'une réglementation des émissions toujours plus stricte, si vous voulez. Il était donc important pour BCG, à l'époque, de savoir ce que cela signifiait pour les constructeurs, les fournisseurs et l'économie."
"Nous nous sommes donc penchés sur la question. À l'époque, nous étions déjà capables de prédire l'essor de l'électricité, l'impact des batteries, etc. C'était donc assez intéressant car cela m'a aidé à avoir une très bonne idée de ce qui allait arriver. Et cela n'a fait que renforcer mon désir de revenir [travailler] dans l'industrie automobile."
Rossi a quitté BCG en 2012 pour rejoindre Google, où il a approfondi ses connaissances en matière de marketing numérique et d'électrification dans le secteur automobile. "Par la façon dont la société se transformait par le numérique, j'ai vu que nous mangions du numérique, du petit déjeuner au dîner", dit-il. "Mais nous avons aussi le numérique qui envahit la voiture et l'écosystème parce qu'aujourd'hui, les voitures sont connectées à vous, les unes aux autres, à l'écosystème. Et ça, ça m'a ouvert les yeux."
Construire l'avenir d'une entreprise et au-delà de l'entreprise, comme son impact sur l'écosystème, sur l'économie française, c'était vraiment, vraiment fascinant.
Laurent Rossi
Puis, en 2018, il a reçu une offre de Renault, cette fois-ci pour un poste au sommet de la hiérarchie. "Au départ, Renault, c'était du déjà vu et du déjà fait, donc non merci", raconte-t-il. "Et ensuite, j'ai compris que c'était pour travailler avec Carlos Ghosn sur quelque chose de révolutionnaire. Donc j'ai accepté ce défi."
"Et ce défi s'est vite transformé en une promotion en stratégie et partenariats, ce qui m'a permis d'appliquer toutes mes compétences acquises lors des 20 dernières années. Le point culminant a été l'arrivée de Luca de Meo et la création d'un tout nouveau plan stratégique. Pour un directeur de la stratégie, c'est un rêve parce que l'on ne peut faire cela qu'une ou deux fois dans une vie."
"Construire l'avenir d'une entreprise et au-delà de l'entreprise, comme son impact sur l'écosystème, sur l'économie française, c'était vraiment, vraiment fascinant. Et puis j'ai eu la chance de me voir offrir ce poste ici [en F1]. J'utilise ici tout ce que j'ai appris au cours de ces 20 dernières années."
Oscar Piastri
La reconstruction d'Alpine et le changement de nom de l'équipe de course basée à Enstone faisaient partie intégrante de ce plan. Ainsi, Rossi s'est vu confier les clés du constructeur de Dieppe.
Traditionnellement, les équipes de F1 se méfient d'une trop grande ingérence des dirigeants du secteur automobile, mais Rossi est un ingénieur de formation qui a ensuite développé des compétences dans le management. Il est donc mieux qualifié que la plupart des hauts responsables pour identifier ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Ce qui lui manquait, c'était une connaissance approfondie des Grands Prix. Cela a été corrigé pendant toute la saison 2021.
Mais au final, Alpine n'a pas fait autant de progrès que ses propriétaires l'espéraient. La cinquième place du championnat 2021, à 120 points de McLaren, n'est pas suffisante. Ce n'est un secret pour personne, l'équipe a été handicapée par l'arrêt précoce du développement de son châssis et de son unité de puissance et par le report du nouveau Règlement Technique à 2022.
Toutefois, avec la mise en place du plafond budgétaire en catégorie reine, Alpine se doit d'être au premier plan pour justifier l'investissement continu du groupe Renault. Soutenu par de Meo, Rossi continue de changer la structure de l'équipe pour la faire progresser. Et les résultats sur la piste lors de la prochaine saison indiqueront très clairement si Rossi a eu raison ou tort.
Esteban Ocon et Laurent Rossi fêtent la victoire d'Alpine en Hongrie
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