Hommage

Mauro Forghieri, grand chef d'orchestre de la Scuderia

Retour sur la longue carrière de Mauro Forghieri, l'un des ingénieurs les plus réputés et les plus talentueux du sport automobile.

Mauro Forghieri

Photo de: LAT Images

"Quand je jouais au basket, j'étais un meneur de jeu. J'étais celui qui dictait toutes les actions. C'est là que j'ai compris qu'il fallait être capable de gérer les gens dans une équipe, car ils ne sont pas tous pareils."

Ce mercredi 2 novembre 2022, Mauro Forghieri s'en est allé à l'âge de 87 ans. Pendant près de trois décennies, l'Italien a géré avec le talent d'un chef d'orchestre le département technique de l'une des plus grandes équipes automobiles de l'Histoire.

Il est difficile de résumer brièvement sa carrière tant il a accompli sur la piste, mais aussi en dehors. Forghieri a notamment été celui qui a pu redresser Ferrari à deux reprises, une première fois lors du départ avec fracas de ses cadres, au début des années 1960, puis une seconde fois en mettant fin à onze saisons de disette en Formule 1.

En fait, on peut remonter jusqu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale pour trouver les premiers contacts entre un Forghieri et un Ferrari. Reclus Forghieri, le père de Mauro, avait en effet travaillé sur le moteur de l'Alfa Romeo 158, qui devait être engagée par l'équipe d'Enzo Ferrari en Grand Prix. Un plan qui n'a finalement jamais abouti, d'une part en raison du début du conflit armé, de l'autre en raison du départ du futur Commendatore, parti fonder sa propre marque.

L'Alfa Romeo 158, ici pilotée par Juan Manuel Fangio

L'Alfa Romeo 158, ici pilotée par Juan Manuel Fangio

Reclus a ensuite travaillé à Maranello, et son fils l'a rejoint une fois sorti de l'Université de Bologne, où il avait brillamment décroché son diplôme en ingénierie mécanique. Précisons néanmoins qu'il était en passe d'intégrer Northrop Corporation, constructeur américain spécialisé dans l'aéronautique.

Ce qui aurait dû être un simple stage dans l'usine Ferrari s'est transformé en une opportunité rêvée puisque Mauro s'est vu confier, à 27 ans et sans bagage professionnel pour le justifier, les clés du département technique de la compétition, une conséquence des départs simultanés des responsables techniques Carlo Chiti et Giotto Bizzarrini, du directeur sportif Romolo Tavoni, du directeur commercial Girolamo Gardini et d'autres éléments majeurs.

"[Enzo Ferrari] avait viré les cadres les plus prestigieux de Ferrari", racontait Forghieri en 2018, dans une interview avec International Classic. "Il m'a appelé, je pensais que ça concernait une voiture, mais il m'a dit : 'Demain, tu dois t'occuper du département de la compétition'. J'ai répondu : 'Vous êtes fou ? Je n'ai aucune expérience'."

"Il a passé un marché avec moi, il m'a dit : 'Tu t'occuperas des choses dont tu dois t'occuper, tu ne t'occuperas de rien d'autre'. J'ai répondu que oui, bien sûr, car je n'étais qu'un ingénieur, et il a ajouté : 'Je te soutiendrai'."

Enzo Ferrari en discussion avec Mauro Forghieri

Enzo Ferrari en discussion avec Mauro Forghieri

Et le soutien du fondateur s'est avéré particulièrement précieux car, dans la foulée, les employés de Ferrari ont fait connaissance avec Furia. Ce surnom, qui fait référence aux excès de colère dont Forghieri était souvent coupable, n'a jamais été renié par le brillant ingénieur, qui a toujours assumé son caractère bien trempé.

"Pour diriger des mécaniciens, c'est un département qui comprend quelque 160 personnes", avait-il ajouté. "Par conséquent, ils devaient vous respecter. Donc, quand ils ne suivaient pas mes ordres – même si mes ordres étaient parfois erronés, je savais que Ferrari me soutiendrait même si j'avais tort – je me mettais très en colère. Et comme surnommer les gens à Modène est habituel, les mécaniciens m'ont surnommé Furia."

"Mais ça ne me dérangeait pas. En fait, il m'arrivait de me mettre dans une colère noire s'ils n'écoutaient pas ce que je disais. C'était la seule façon de pouvoir gérer les mécaniciens et, d'une certaine manière, de faire en sorte que les pilotes m'écoutent. Je peux vous dire que gérer John Surtees, Jody Scheckter, Niki Lauda en particulier, ce n'était pas facile."

L'une des premières tâches confiées à Forghieri, à savoir combler le vide laissé par le départ des cadres et redorer un blason sali par les constructeurs britanniques en Formule 1, était loin d'être la plus aisée. Pourtant, avec les évolutions de la 156 puis avec la 158, il y est parvenu, le Cheval Cabré ayant remporté le titre constructeurs et John Surtees le titre pilotes en 1964.

Une longue traversée du désert a suivi cependant, avant un retour en grâce onze ans plus tard, avec Niki Lauda. L'Autrichien, au volant de la magnifique 312T et de ses évolutions, a glané deux titres pilotes et contribué à trois titres constructeurs en trois ans. Jody Scheckter a ensuite parachevé le travail avec un sacre en 1979.

Mauro Forghieri au volant de la Ferrari 312B

Mauro Forghieri au volant de la Ferrari 312B

Mais pour obtenir ces succès, Ferrari a dû se retirer de l'Endurance après avoir été partiellement vendu à Fiat, et Forghieri a même été mis au placard lors d'une courte période.

Pourtant, Forghieri était un ingénieur de talent, dont le champ d'action ne se limitait pas à un seul aspect d'une voiture de course. L'Italien se chargeait de tout, de la carrosserie au moteur en passant par la boîte de vitesses et le système de freinage. Ses plus belles créations n'ont, à vrai dire, pas besoin d'être présentées tant elles sont célèbres. Citons notamment la série des Ferrari 312 et 126 en Formule 1 et des Ferrari 330 en Endurance.

D'ailleurs, c'est avec avec cette même Ferrari 312 qu'en 1968, Forghieri a introduit en catégorie reine le tout premier exemplaire d'aileron arrière. C'est également à l'Italien que l'on doit la première boîte de vitesse F1 montée en position transversale, sur la Ferrari 312T, qui avait également la particularité d'avoir un V12 ouvert à 180° (et non pas une disposition à plat de type "boxer"). Et avant même la démocratisation du moteur turbocompressé, au début des années 1980, Forghieri a été l'un des premiers ingénieurs à s'inspirer de l'innovation de Renault.

D'autres créations, celles-ci un peu moins connues, méritent tout autant d'être nommées. Il y a ainsi eu la Ferrari 312B3 "Spazzaneve" ("chasse-neige" en français, en raison de la forme du train avant) et la Ferrari 312T6 à six roues, qui n'ont jamais couru en Grand Prix, mais aussi la Ferrari 212 E qui a remporté le championnat d'Europe de la montagne en 1969.

Finalement, dans les années 1980 et peu avant la disparition du Commendatore, Forghieri a enfin traversé l'Atlantique. L'ingénieur avait fait son temps chez Ferrari et a rejoint le groupe Chrysler, qui détenait Lamborghini. Il a notamment enfanté le moteur V12 qui a équipé les Larrousse et Lotus en F1, mais que l'on a également vu dans une McLaren blanche fin 1993.

Sans conteste, Forghieri est l'un des ingénieurs ayant connu le plus grand succès en sport auto. Avec lui, Ferrari a remporté un total de 54 Grands Prix de F1, dont quatre championnats pilotes et sept championnats constructeurs, quatre victoires aux 24 Heures du Mans, un succès retentissant aux 24 Heures de Daytona en 1967 et six titres dans le Championnat du monde des Voitures de sport.

Niki Lauda, Mauro Forghieri et Luca di Montezemolo

Niki Lauda, Mauro Forghieri et Luca di Montezemolo

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