Pourquoi l'expansion de McLaren contribue à sa renaissance en F1

Dans les années 1960 et 1970, McLaren jonglait avec des engagements en F1, en Endurance et à Indianapolis, tout en concevant des F3 et des F2. Aujourd'hui, l'équipe retrouve ses racines, se développe en IndyCar et en Extreme E tout en poursuivant sa renaissance en F1, tandis que la Formule E et le WEC sont à l'étude. Mais n'est-ce pas trop, trop tôt ? Stuart Codling en discute avec Zak Brown.

GPR OCT 21 Zak McLaren 1

On pourrait se demander pour quelle raison une illustre équipe qui a attendu près d'une décennie pour retrouver la victoire, avant le triomphe de Daniel Ricciardo à Monza, a souhaité étendre ses ailes au-delà de la Formule 1. Surtout quand cette équipe, malgré le doublé bienvenu en Italie, est au cœur d'un groupe aux finances troublées, ce qui a mené à des coupes budgétaires, si bien qu'elle est désormais locataire d'un bâtiment qu'elle a construit pour 350 millions d'euros.

L'implication grandissante de McLaren en IndyCar, en eSport et en Extreme E, et ses velléités en Formule E et en Championnat du monde d'Endurance, ont pourtant un précédent dans son Histoire : la philosophie de cette entreprise est de s'engager dans plusieurs championnats, même si elle ne l'a plus fait durant de nombreuses années.

À l'époque où le sol de l'usine ne brillait pas encore et où le nombre d'employés se comptait sur les doigts d'une main, Bruce McLaren disputait avec passion la Tasman Series et participait à différentes courses d'Endurance, avant même d'engager son équipe en Formule 1. Et par la suite, son petit groupe a continué à vendre des monoplaces et des châssis à des clients, jusqu'à mener des campagnes parallèles en Formule 1 et dans le lucratif championnat d'Endurance Can-Am, tout en participant aux 500 Miles d'Indianapolis.

Engager sa personne et son staff dans un programme mondial et épuisant faisait déjà lever quelques sourcils à l'époque et se confronterait encore plus difficilement à notre époque mieux consciente des besoins du bien-être au travail. La croissance et l'évolution de la F1 jouent également contre ces engagements multiples, avec un calendrier en expansion et des impératifs techniques plus lourds.

Sous la direction de Ron Dennis, McLaren s'est concentré sur la F1 et a prospéré dans les années 1980, avant de lancer avec réussite des divisions consacrées à l'électronique, la technologie, l'automobile et même une activité de traiteur. Mais le déclin des performances au cours de la dernière décennie n'a pas été sans conséquences. Au moment du putsch qui a mené à l'éviction de Dennis lors d'une réunion du conseil d'administration en 2016, McLaren était devenu un groupe technologique bénéficiaire avec une écurie déficitaire.

Brown says McLaren is moving away from being a technology company

La nouvelle direction donne l'impression d'avoir détricoté la grande vision de Dennis, qui considérait McLaren comme un leader britannique du secteur de la technologie, pour rapprocher le groupe de ses origines, une équipe de course et un constructeur : Bruce McLaren avait imaginé un prototype destiné à la route peu de temps avant son décès, qui a entraîné l'abandon du projet. Et lorsque GP Racing lui demande si McLaren souhaite s'éloigner du monde de la technologie, Zak Brown est sans équivoque.

"Exactement", répond le directeur général. "McLaren est impliqué dans le milieu de la course et il y a deux façons d'offrir de la valeur à nos actionnaires. L'une d'entre elles est évidemment d'être une entreprise rentable. Mais la plus grande victoire est de renforcer la valeur de la franchise, la valeur de l'ensemble de l'organisation. Mais tout est lié au soutien et à la croissance de notre équipe de F1. Donc même si les différentes activités – Extreme E, eSport et IndyCar – tiennent toutes sur leurs deux jambes, elles aident aussi à renforcer la marque en F1."

Même si l'engagement en IndyCar est bénéficiaire, il est bon pour la marque, il aide aussi à amener plus de partenaires en F1.

Zak Brown, directeur général de McLaren

En Formule 1, McLaren a réussi à mettre en place un éventail de sponsors pour succéder au modèle s'appuyant sur un gros partenaire titre. Rejoindre différentes catégories lui a permis d'accéder à de nouveaux marchés, qu'il s'agisse de zones du monde où la Formule 1 n'a pas la popularité dont elle bénéficie ailleurs, ou d'une population que la F1 ne parvient pas encore à bien toucher mais qui intéresse de potentiels partenaires.

L'Extreme E, avec ses spéciales disputées dans des SUV électriques, peut susciter un certain scepticisme – l'idée de "mettre en valeur des lieux éloignés et menacés par la problématique du changement climatique" en y organisant des courses peut intriguer – mais ce championnat porte un message d'inclusivité, imposant un homme et une femme comme pilotes de chaque voiture. L'eSport est lui aussi ambitieux, divers et accessible, puisque la barrière d'entrée est bien plus basse que pour la compétition sur piste.

"Pour la majorité de nos partenaires, l'Amérique du Nord est un marché très important", souligne Brown. "Donc avec un programme IndyCar, nous avons une offre plus large, plus importante, pour nos partenaires commerciaux qui disent que l'Amérique du Nord est très importante. La F1 est en croissance là-bas mais avoir une équipe d'IndyCar met le turbo et je pense que certains partenaires nous ont rejoints parce que nous avons une présence nord-américaine plus importante que si nous étions uniquement en F1."

Brown says F1 team has been boosted by having IndyCar squad alongside it

"Arrow Electronics, notre sponsor titre en IndyCar, a rejoint notre équipe de F1, nous avons BAT qui est l'un de nos partenaires principaux en F1 et qui a rejoint notre équipe d'IndyCar, avec Tezos, Darktrace, etc. Donc même si l'engagement en IndyCar est bénéficiaire, il est bon pour la marque, il aide aussi à amener plus de partenaires en F1."

"C'est le même concept avec l'Extreme E – le développement durable, nous étions la première équipe à atteindre la neutralité carbone en 2011. La plupart des équipes s'activent pour pouvoir dire la même chose maintenant. C'est une réalité pour McLaren depuis dix ans et l'Extreme E est un bon moyen pour permettre à McLaren Racing de mettre en lumière cette certification, tout comme le genre et la diversité, deux sujets également importants pour nos partenaires."

"Et c'est encore le même concept avec l'eSport – nous avons été la première équipe de F1 à nous engager véritablement en eSport. Et c'est pour la jeune génération, la base de la course si vous préférez, et la diversité – parce qu'il y a des hommes et des femmes du monde entier qui veulent avoir un volant entre les mains. Ça nous donne ce public plus jeune vers lequel la F1 se tourne sans être encore au niveau nécessaire."

Brown estime que McLaren Racing deviendra rentable dans deux ans, grâce à une croissance de ses revenus et au plafond budgétaire qui doit encore être abaissé de 145 millions de dollars (124,4 millions d'euros) actuellement à 135 millions de dollars (115,8 millions d'euros) en 2023. Et ces profits sont une nécessité, McLaren Group ayant dû se séparer de l'argenterie familiale pour rester à flot ces dernières années. Après avoir cédé ses voitures de collection pour racheter à Dennis les 25% qu'il détenait encore en 2017, McLaren a dû trouver d'autres solutions quand une crise de trésorerie est apparue dans les premiers mois de la pandémie en 2020 : la branche automobile, jusque-là rentable, a marqué le pas face à une baisse de ses ventes.

McLaren s'est assuré un prêt de 150 millions de livres (177,4 millions d'euros) de la Banque Nationale de Bahreïn (une destination logique puisque le fonds souverain de Bahreïn détient 62,6% de l'entreprise) et a annoncé le départ de 1200 employés, même si ce sont finalement 800 personnes qui sont parties. Le McLaren Technology Centre a été mis sur le marché pour 200 millions de dollars (171,6 millions d'euros), finalement cédé pour 170 millions de livres (201 millions d'euros) à la société d'investissement GNL. En décembre 2020, une part minoritaire de McLaren Racing a été vendue à MSP Sports Capital, société d'investissement américaine spécialisée dans le sport.

The McLaren Technology Centre has been sold as part of refinancing efforts

Les ajustements financiers ont continué cette année. En juillet, McLaren a annoncé un nouveau cycle de refinancement, à hauteur de 550 millions de livres (650,4 millions d'euros), 400 millions de livres (473 millions d'euros) provenant du Fonds public d'Arabie saoudite et de la société d'investissement Ares Management, les 150 millions de livres (177,42 millions d'euros) restants provenant d'actionnaires déjà présents, via des actions de préférence et des bons de souscription d'action. Cela a permis à McLaren de rembourser le prêt contracté auprès de la Banque de Bahreïn. Plus récemment, la division McLaren Applied, qui développe le système électronique de la F1 depuis 2008, a été revendue. Autrefois considérée comme principale source de développement du groupe, McLaren Applied a été cédée à ses dirigeants, soutenus par la société d'investissement privée Greybull Capital, un spécialiste des reprises d'entreprises britanniques en difficulté.

Les branches Automotive et Racing sont maintenant les seules apportant des revenus à McLaren. Quand GP Racing lui demande s'il s'agissait d'un repositionnement stratégique ou d'un montage financier devenu un impératif, Brown insiste sur le fait que l'avenir de McLaren passe par les modèles de série et les circuits.

"Paul Walsh, notre président, sentait que le cœur de notre activité était d'être une entreprise dans l'automobile et la compétition. Ce n'était pas un besoin financier, c'était plus une stratégie à long terme pour McLaren Group, ils veulent être dans les secteurs de l'automobile et de la compétition."

Rien ne peut nous détourner de notre équipe de F1. Comme je l'ai vu à Indianapolis en 2019, si on ne s'implique pas autant qu'en Extreme E, IndyCar ou même eSport, on échoue. Il faut mettre en place différentes équipes qui partagent certaines ressources techniques, des technologies, des choses qui viennent de l'usine.

Zak Brown

"Je me projette à deux ans pour dégager un profit. Et je pense que d'autres équipes de F1 vont y parvenir, c'est comme ça qu'une entreprise et une franchise de sport doit tourner. Et je pense que c'est pour cette raison que l'on voit des investisseurs arriver et racheter des équipes. On va voir les franchises de la F1 gagner en valeur et se rapprocher de ce qu'on voit avec des équipes de NFL ou NBA. Vous savez, si l'on met de côté Ferrari parce qu'ils sont un peu affiliés au constructeur automobile, il faut se demander pourquoi des équipes de F1 sont vendues moins d'un milliard de dollars – et parfois nettement moins – dans un championnat plus important à l'échelle internationale, et qui génère plus de revenus que d'autres compétitions."

McLaren fait partie de ces équipes estimées à"nettement moins" d'un milliard, l'accord avec MSP Sports Capital valorisant l'entreprise à 650 millions d'euros. L'équipe de F1 brille de plus en plus sous l'impulsion d'Andreas Seidl, recruté en 2019, tandis que McLaren est sur le point d'augmenter ses parts dans l'équipe Schmidt-Peterson à laquelle elle est liée depuis 2020 en IndyCar, un processus décrit par Brown comme une "location avant un achat".

Formula E entry remains under evaluation by McLaren

La possibilité d'un engagement en Formule E existe toujours, McLaren disposant d'une option pour rejoindre la catégorie pour sa neuvième saison, ou en Endurance grâce au règlement LMDh, en vue d'une participation au WEC ou en IMSA. Ces programmes sont simplement "à l'étude", et dans le monde du sport automobile, certains pensent que l'option pour rejoindre la Formule E n'était qu'un stratagème mis en place par les dirigeants du championnat à un moment où la catégorie devait répondre aux départs annoncés de Mercedes, BMW et Audi.

"On regarde ça avec attention", précise Brown. "On sait qu'historiquement, des constructeurs vont et viennent en sport automobile. Donc le départ de Mercedes n'est pas positif, mais que Jaguar reste l'est. Et nous avons entendu que d'autres constructeurs pourraient s'engager."

"Cela aura une influence sur notre décision, et nous regardons évidemment les tendances lorsque nous étudions nos activités en sport automobile. Il faut que cela corresponde à notre marque. Que ce soit viable financièrement. Que cela soutienne notre mission en F1 et ne soit pas une distraction opérationnelle. C'est ce que nous recherchons. L'IndyCar, l'Extreme E et l'eSport répondent à ces critères, et nous étudions si la Formule E et le WEC y correspondent. Nous prendrons une décision avant la fin de l'année."

McLaren Automotive – comme la majorité des constructeurs – se dirige vers l'électrification, ce qui donne du sens à un engagement en Formule E. Andretti Autosport, en charge de l'engagement de BMW, a déjà été lié à McLaren, quand Fernando Alonso a disputé les 500 Miles d'Indianapolis avec une voiture engagée conjointement en 2018.

Ce programme a été bien plus performant que celui que McLaren a tenté par soi-même il y a deux ans, et les leçons qui en ont été tirées – éviter ces "distractions opérationnelles"  jouent leur rôle avant de lancer l'équipe dans de nouveaux championnats. Si McLaren rejoint la Formule E et le WEC, ce sera avec des partenaires dont la structure pourra ensuite prendre le contrôle en cas de succès. Il n'y aura pas de retour à l'époque où Bruce McLaren, Denny Hulme, Tyler Alexander et les autres traversaient la planète, passant de la F1 au Can-Am d'un week-end à l'autre.

"Rien ne peut nous détourner de notre équipe de F1. Comme je l'ai vu à Indianapolis en 2019, si on ne s'implique pas autant qu'en Extreme E, IndyCar ou même eSport, on échoue. Il faut mettre en place différentes équipes qui partagent certaines ressources techniques, des technologies, des choses qui viennent de l'usine. Mais je n'aurai pas une personne qui travaille en F1 sur un week-end puis qui part travailler en IndyCar. Ça n'a vraiment pas fonctionné en 2019."

Brown says lessons have been learned from disastrous Indy 500 attempt in 2019

La tentative de McLaren de rouler à Indianapolis avec Alonso en 2019 a tourné au désastre : sans surprise, Honda ne souhaitait plus travailler avec l'Espagnol et il était donc impossible de remettre en place l'association avec Andretti, ce qui a contraint l'équipe à engager une seule voiture pour la seule course d'Indianapolis... avec une non-qualification à la clé. La litanie de problèmes a tourné à la farce, d'une voiture peinte dans la mauvaise teinte à un Brown contraint d'emprunter un volant à Cosworth, celui conçu en interne n'étant pas prêt.

"J'avais recruté Andreas Seidl [pour diriger l'équipe de F1] mais il n'a commencé qu'à Barcelone", se souvient le dirigeant américain. "J'avais Gil [de Ferran, directeur sportif] en F1 mais sa première course en IndyCar a été les 500 Miles. J'aurais dû attendre, je me suis trompé et j'en ai payé le prix. On en a tiré beaucoup de leçons. Maintenant, tous les membres de l'équipe IndyCar de McLaren se consacrent à l'IndyCar. Il s'agit de personnel venant de la F1 mais il n'ont pas un double rôle parce qu'ils ne peuvent pas faire deux choses à la fois."

Quand j'ai rejoint McLaren, je sentais qu'on bénéficierait d'être engagés dans différentes catégories, ce qui était le cas par le passé. C'était ma vision quand je suis arrivé, mais tout est une question de timing et il faut s'assurer d'être au bon endroit.

Zak Brown

"2019, c'était probablement un an trop tôt. Je n'ai pas pu consacrer le temps et l'attention que demandaient l'IndyCar et le résultat final était mérité. C'est de ma faute."

McLaren va donc continuer à explorer d'autres voies dans la compétition. Mais par étapes, avec prudence et avec rigueur : "Quand j'ai rejoint McLaren, je sentais qu'on bénéficierait d'être engagés dans différentes catégories, ce qui était le cas par le passé. C'était ma vision quand je suis arrivé, mais tout est une question de timing et il faut s'assurer d'être au bon endroit. McLaren était au plus bas quand je suis arrivé, et ce n'était pas le bon moment. La F1 reste notre centre de gravité."

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