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Mercedes est embarqué dans son combat le plus dur en F1

Après sept saisons de domination absolue, Mercedes est aujourd'hui confronté à une dure réalité : en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, l'écurie lutte pour conserver son avance sur l'un de ses rivaux les plus ambitieux. Le pire, c'est qu'elle a vu venir ce scénario, mais n'a rien pu faire.

Valtteri Bottas, Mercedes W12

Photo de: Steve Etherington / Motorsport Images

Mercedes s'est douté dès l'hiver dernier que cette année pourrait être plus difficile que toutes celles connues depuis le début de sa domination en 2014. Alors que les ingénieurs de l'équipe Championne du monde à Brackley travaillaient d'arrache-pied au développement de la W12, la dernière de cette ère avant l'introduction de changements radicaux du règlement pour 2022, les chiffres qui sortaient des ordinateurs n'étaient pas très réjouissants. Non seulement les changements de règles au cours de l'hiver avaient gravement affecté sa voiture, mais les gains qu'elle obtenait en recherchant plus de performance n'étaient pas aussi importants qu'auparavant.

L'inquiétude régnait, mais à ce moment-là, Mercedes ne savait pas si ses rivaux souffraient des mêmes problèmes. Puis, lors des essais hivernaux à Bahreïn, l'équipe a réalisé qu'elle avait pris beaucoup plus de retard que les autres. Au point que Red Bull – qui, malgré une victoire convaincante lors de la dernière course de 2020 à Abu Dhabi, avait été bien plus d'une demi-seconde par tour plus lent que Mercedes au cours de l'année 2020 sur le rythme moyen de qualifications – avait désormais clairement une voiture plus rapide.

Lorsque la saison 2021 a commencé, les trois victoires de Lewis Hamilton lors des quatre premières courses, toutes très disputées, toutes suggérant que les Mercedes et les Red Bull étaient sur un pied d'égalité, ont donné de l'espoir à Mercedes. Mais ensuite la réalité a frappé fort. Monaco et l'Azerbaïdjan ont été, selon les mots d'Hamilton, "un désastre". Hamilton aurait dû gagner en France, mais Mercedes a commis une erreur tactique en course, puis Max Verstappen a dominé les deux courses en Autriche pour Red Bull, portant son avance au championnat à plus d'une victoire nette.

L'importance de l'avantage de Red Bull en Autriche a conduit Mercedes à faire des aveux : le développement de la voiture de 2021 a été arrêté, a déclaré le directeur de l'équipe Toto Wolff, et tous les efforts de recherche et de développement ont déjà été consacrés à la voiture de l'an prochain. Comment une équipe qui a dominé sept années de Formule 1 s'est-elle retrouvée dans cette situation ?

 

Les origines

L'histoire commence au printemps de l'année dernière. La Formule 1 était en pause forcée à cause de la pandémie de coronavirus. Le Grand Prix d'Australie avait été annulé, on ne savait pas quand ni même si la saison 2020 pourrait commencer, et les patrons du championnat, en collaboration avec les équipes, travaillaient frénétiquement sur les moyens de maintenir la F1 en vie.

Une série de plans ont alors été élaborés. Pour économiser de l'argent, les nouvelles règles prévues pour 2021 seraient retardées d'un an et les équipes conserveraient leurs voitures de 2020 pour une deuxième saison, avec un développement fortement limité, sauf en ce qui concerne l'aérodynamique.

Mais cela a posé des problèmes au fournisseur de pneus de la F1, Pirelli. L'année 2020 devait être la dernière saison pour les pneus existants avant l'introduction en 2021 d'enveloppes de 18 pouces, à profil plus bas et de conception entièrement nouvelle. Retarder les nouvelles règles signifiait une saison supplémentaire pour les pneus existants, dont Pirelli savait qu'ils étaient déjà à la limite de leur intégrité structurelle.

Pirelli s'inquiétait des conséquences de continuer à utiliser des pneus déjà à la limite sur des voitures qui auraient bénéficié d'une année supplémentaire de développement aérodynamique. Le fabricant a demandé aux équipes et à la FIA de proposer des changements techniques pour ralentir les voitures en 2021, afin de soulager les pneus.

La première idée était de réduire la taille des ailerons arrière, mais comme cela ne produisait pas les effets recherchés, l'attention s'est portée sur le fond plat, une zone clé pour développer la force d'appui. Il a été décidé qu'une partie triangulaire du bord du fond plat arrière – ce que l'on a appelé par la suite "la tranche de fromage" – serait supprimée.

 

Mais lorsque les courses ont enfin commencé en juillet 2020, de nouveaux problèmes sont apparus. Hamilton a remporté le Grand Prix de Grande-Bretagne sur trois roues après que son pneu avant gauche ait lâché dans le dernier tour. Son coéquipier Valtteri Bottas et le pilote McLaren Carlos Sainz ont subi des défaillances identiques à des moments très similaires.

En août, la FIA a informé les équipes que Pirelli fournirait les mêmes spécifications de pneus en 2021, ce qui nécessitait de nouvelles modifications aérodynamiques. Celles-ci impliquaient la suppression d'une série de dispositifs de façonnage aérodynamique sur le fond plat et les écopes de frein arrières.

Racing Point s'est opposé à cette mesure, déclarant que la combinaison de ces changements affecterait de manière disproportionnée les équipes qui utilisent des voitures à faible rake – l'angle d'inclinaison de l'avant à l'arrière – par rapport à toutes les autres, qui utilisent des modèles à rake élevé. Les seules équipes utilisant des voitures à faible inclinaison sont Racing Point et Mercedes. Les plaintes n'ont pas été prises en compte et les changements ont été imposés pour des raisons de sécurité.

Puis, il est apparu que Pirelli pouvait, après tout, fournir de nouveaux pneus plus résistants pour 2021. Ceux-ci ont été testés au Grand Prix de Bahreïn et, bien qu'ils se soient avérés plus lents et plus lourds et qu'ils offraient une moins bonne tenue de route que les pneus 2020, la décision a été prise de les utiliser cette saison.

Aux essais hivernaux de Bahreïn, La Red Bull semblait stable, prévisible et rapide à chaque fois qu'elle prenait la piste. Mercedes, pendant ce temps, luttait, sa voiture étant gênée par l'instabilité de son train arrière. Et il en allait de même pour l'équipe désormais appelée Aston Martin, anciennement Racing Point.

 

Pourquoi les voitures à faible rake sont-elles plus affectées ?

Il est devenu évident que les inquiétudes exprimées par Racing Point/Aston Martin lors de l'élaboration des règles de 2021 l'année dernière étaient fondées.

Il suffit de suivre la différence de performance entre les voitures de chaque équipe sur les courses de 2020 et leurs équivalents de 2021 pour voir apparaître un schéma clair. Haas est l'équipe qui a perdu le plus de performance d'une année sur l'autre, ce qui est normal, puisqu'elle a clairement indiqué qu'elle n'avait pas développé sa voiture. Mais de loin, les deux autres équipes les plus touchées sont Mercedes et Aston Martin.

Après le Grand Prix d'Autriche, la voiture de Mercedes était en moyenne 1,702% plus lente que l'année dernière, celle d'Aston Martin 1,655%. En revanche, celle de Red Bull n'est que de 1,069% plus lente, celle de Ferrari de 0,907% et celle de McLaren de 0,78%.

Alors pourquoi une voiture à faible rake serait-elle plus affectée par ces changements de réglementation qu'une voiture à rake élevé ? Il est difficile d'obtenir une réponse définitive, mais une théorie convaincante tourne autour des différentes façons dont les deux approches aérodynamiques gèrent ce que l'on appelle le "tyre squirt", le flux d'air perturbé généré au niveau de la surface de contact du pneu.

Dans ce cas précis, le problème est le "squirt" généré sur le flanc intérieur des pneus arrière, sur le bord du diffuseur. Les équipes veulent que le flux d'air le plus rapide et le plus propre passe par le diffuseur pour générer une force d'appui optimale. Mais la projection des pneus est de l'air désordonné à basse vitesse, la dernière chose qu'un aérodynamicien souhaite à cet endroit.

 

Considérez les deux philosophies de conception différentes utilisées par les équipes de Formule 1 comme la différence entre accélérer l'eau qui sort d'un tuyau en ouvrant davantage le robinet, ou bien en serrant l'extrémité du tuyau. Les deux conduisent à un écoulement plus rapide, mais pour des raisons différentes. La voiture à fort rake est le robinet ouvert. Elle a un volume d'air beaucoup plus important qui passe par le diffuseur. L'air est tourné vers l'extérieur par les ailettes verticales du diffuseur, ce qui crée un effet de lavage vers l'extérieur, qui balaie les perturbations dues aux pneus hors du diffuseur.

Une voiture à faible rake traite ces perturbations d'une manière différente. Le bord du fond plat est proche du sol et génère des tourbillons – des corps d'air qui se tordent, comme une mini-tornade. Ces tourbillons sont dirigés vers le flanc intérieur du pneu et éliminent les perturbations à la source. En retirant la "tranche de fromage", il est plus difficile de générer ces tourbillons. Ce qui signifie que davantage d'air perturbé pénètre dans l'espace du diffuseur, réduisant ainsi la force d'appui. Et comme le fond plat est plus proche du sol, une voiture à faible rake ne dispose pas de la même masse d'air pour évacuer les projections.

 

L'impact sur les règles économiques

Le prochain problème auquel Mercedes est confronté remonte plus loin encore que les premiers jours de la pandémie, mais il a été exacerbé par les changements initiés par la Formule 1.

Une partie du remaniement voulu par Liberty Media depuis que le géant américain a pris le contrôle de la F1 en 2017 est l'instauration d'un plafond budgétaire. Avant la pandémie, après des années de querelles, ce plafond était fixé à 175 millions de dollars par saison. Mais le Covid a concentré les esprits sur la nécessité de réduire davantage les coûts, et il a été convenu d'abaisser le plafond à 145 millions de dollars en 2021, puis de le réduire encore de 5 millions de dollars par an pour atteindre 135 millions en 2023.

En outre, pour tenter de resserrer le peloton, la F1 a introduit des restrictions en matière d'essais aérodynamiques, une échelle mobile de recherches dans laquelle les équipes les plus performantes sont autorisées à en faire le moins possible et les moins performantes le plus possible. Pour Mercedes et les autres équipes de pointe, réduire leurs dépenses budgétaires au niveau du plafond est difficile et a nécessité des choix difficiles. Dans le même temps, au cours des six premiers mois de l'année, Mercedes, en tant que champion du monde, n'a eu droit qu'à 90% de l'allocation standard pour les essais aérodynamiques en soufflerie et l'analyse des données dynamiques des fluides numériques.

Par conséquent, Mercedes a été confronté à une véritable tempête : une voiture gravement affectée par un changement de réglementation, avec un concept plus difficile à développer que celui de ses rivaux, des restrictions sur la capacité à modifier ce concept, à un moment où de nouvelles limites sont imposées aux ressources et à la recherche, tout en devant concevoir une toute nouvelle voiture selon un concept aérodynamique complètement différent pour 2022.

 

Toutes les équipes doivent trouver un équilibre entre le travail sur leur voiture actuelle et celui sur la prochaine, et ce travail se déplace naturellement de l'une à l'autre au fil de l'année. Cette année, ces décisions sont plus difficiles à prendre. Mais Mercedes, qui a du mal à trouver les gains habituels avec sa voiture existante, a été confronté au problème des rendements décroissants, tout en sachant que chaque morceau de travail effectué sur 2021 était de l'argent et du temps qu'elle ne pouvait pas consacrer à 2022.

Le directeur technique James Allison a indiqué : "Depuis les changements de règles qui ont été introduits en matière d'aérodynamisme pour gérer les pneus, nous nous sommes aperçus qu'il était extrêmement difficile de retrouver le taux de performance que nous avions avant, ce qui nous a rendu la vie plus difficile que nous le souhaitions".

Il ne s'agit pas de sacrifier 2021 pour 2022, mais simplement d'une décision logique de consacrer des ressources limitées là où elles auront le plus d'effet. Comme il ne restait plus grand-chose à tirer du concept de faible rake, Mercedes ne trouvait plus de gains suffisamment utiles. Il était donc plus facile de consacrer plus de temps à l'année 2022 qu'il ne l'aurait été autrement.

"Nous savons comment les directives techniques ont évolué pour 2021", déclare le patron de l'équipe, Toto Wolff. "Nous avons été du côté des victimes. C'est fait. Nous continuons à nous en tenir à notre principe de mettre nos ressources en 2022, avec toutes les conséquences qui peuvent se produire en 2021."

 

Quid de Red Bull ?

Red Bull se trouve dans une situation très différente. L'équipe est confrontée à des problèmes similaires pour respecter le plafond budgétaire, et n'avait que 2,5% de recherches autorisées de plus que Mercedes au premier semestre – et les deux ont échangé leurs places à partir de juillet, car Red Bull a terminé le mois de juin en tête du championnat.

Mais la RB16 de l'année dernière était un nouveau concept pour cette équipe – contrairement au design de Mercedes qui est essentiellement une évolution d'une voiture présentée pour la première fois en 2017 et, fermement ancrée dans une philosophie de rake élevé, Red Bull était moins affecté par les règles aérodynamiques de 2021.

Le résultat était que la RB16B améliorée de 2021 était maintenant soudainement au moins aussi bonne que la Mercedes, et Red Bull trouvait encore des gains de développement significatifs. C'était sa première chance de remporter un titre mondial depuis 2013, contre un rival qui était en difficulté. C'était une trop belle opportunité pour la laisser passer.

Ainsi, alors que Mercedes a eu quelques petits développements sur sa voiture en Espagne, et rien par la suite jusqu'au Grand Prix de Grande-Bretagne, Red Bull a continué à faire évoluer sa voiture. À partir de Bakou, cela s'est accéléré, avec de multiples camionnettes arrivant à chaque course avec des boîtes et des boîtes de nouvelles pièces, mettant à jour l'aileron avant, le nez, les bargeboards, le fond plat et le diffuseur, entre autres.

Red Bull doit également trouver un équilibre entre 2021 et 2022, mais le ton de ses messages publics sur la question est très différent de celui de Mercedes. Interrogé en Autriche sur la date d'arrêt du développement de la voiture de 2021, le directeur de l'équipe Christian Horner a répondu : "Abu Dhabi". Était-il en train de plaisanter ? Peut-être. Peut-être pas.

"Écoutez, vous devez aller semaine par semaine, course par course", déclarait Horner. "L'équipe fait un excellent travail pour équilibrer les défis de cette année et de la suivante. Ce n'est pas nouveau. Nous avons connu de grands changements de réglementation par le passé. Vous devez simplement équilibrer vos ressources et les appliquer à ce qui en a le plus besoin."

Et bien sûr, "ce qui en a le plus besoin" est une décision subjective basée sur vos priorités. Le conseiller en sport automobile de Red Bull, Helmut Marko, a été encore plus catégorique : "Nous ne voulons pas faire la même erreur que BMW en 2008. [Robert] Kubica avait une chance réaliste de remporter le championnat, mais le business plan était de passer à la saison suivante dès le début".

La réponse de Marko aux questions de savoir si Red Bull allait payer le prix de cette décision l'année prochaine a été : "Pas de risque, pas de plaisir ! Nous devons gérer cela d'une manière ou d'une autre".

 

Les Mercedes peuvent-elles rester dans la lutte ?

Mercedes est loin d'avoir baissé les bras et a travaillé en coulisses pour rattraper Red Bull, en obtenant des clarifications des règles sur les ailerons arrières flexibles et les arrêts au stand. Pourtant, à première vue, les choses semblent mal embarquées, même si Hamilton et son équipe sont actuellement en tête des championnats des pilotes et des constructeurs après la Hongrie. Mercedes a cessé de développer sa voiture et doit faire face à un rival qui semble avoir un avantage en termes de performances et qui continue à améliorer sa propre voiture.

Mais Wolff rejette l'idée que cela signifie que Mercedes s'est effectivement résigné à limiter les dégâts cette saison. "Nous n'abandonnons jamais une bataille", insiste-t-il. "Je suis toujours une personne sceptique, qui voit un verre à moitié vide. Mais je vois les points positifs. C'est un jeu de longue haleine. Nous ne regardons pas une seule course ou un seul résultat, mais nous essayons d'optimiser chaque année. Nous avons juste besoin d'extraire le meilleur de notre package. Ce n'est pas un secret. Il y a une tendance. Ils ont le package le plus rapide en ce moment et nous devons utiliser nos outils, notre intelligence et notre travail de réglage de la voiture, les pneus et nous devons être irréprochables."

"Et je crois que si nous pouvons aligner ces planètes, nous pouvons gagner le championnat. Il y a un long chemin à parcourir. C'est une expérience de vie très agréable dans laquelle je nous vois. Nous avons un excellent état d'esprit dans l'équipe et les valeurs que nous avons sont le système immunitaire de l'équipe. Le système immunitaire signifie que vous devez fonctionner lorsque les choses vont mal, et après sept titres consécutifs, nous menons actuellement une bataille difficile contre vents et marées. Je ne dirais pas qu'agréable est le bon mot, mais c'est la nouvelle expérience qui nous rendra plus forts à long terme. Chaque jour est une nouvelle expérience d'apprentissage et chaque jour nous rend plus forts, même si nous avons tant de week-ends consécutifs qui sont difficiles. Et je pense que dans plusieurs années, nous regarderons en arrière et nous dirons : 'C'était nécessaire'."

 

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