Analyse

La Formule 1 qui a lancé la domination Mercedes

La domination de Mercedes en Formule 1 n'a montré aucun signe de ralentissement, si l'on en juge par les réussites de la W11 l'an passé sur le chemin de son septième doublé consécutif. Il faut dire que la dynastie des monoplaces championnes avait commencé de manière brillante.

Lewis Hamilton, Mercedes AMG F1 W05

Photo de: Sutton Motorsport Images

En fait, la Mercedes W11 pourrait même rester dans l'histoire comme la Formule 1 la plus rapide de tous les temps, grâce à une série de restrictions aérodynamiques qui vont entrer en vigueur cette année et aussi en raison de la nouvelle génération de voitures qui arrivera en 2022 ; celles-ci devraient être autour de trois secondes au tour plus lentes.

Pour comprendre comment Mercedes a réussi à se placer dans une position aussi solide, il est sans doute important de faire le point sur ce qui lui a permis d'être à ce niveau et sur la manière dont l'écurie a permis de redéfinir la référence d'un concept voiture/moteur fonctionnant en parfaite harmonie.

Les racines des victoires de Lewis Hamilton et Valtteri Bottas en 2020 étaient déjà fermement ancrées quand Mercedes a dévoilé sa première monoplace turbo hybride, la W05, en 2014.

La W05

 

La W05 a été exceptionnellement rapide et fiable dès ses débuts, cela étant le résultat d'un effort immense fait par l'équipe pour être préparée à l'arrivée des nouvelles règles turbo hybrides.

Immédiatement, la conception très bien pensée de la voiture est apparue clairement, dans une union sans précédent des départements châssis, aérodynamique et moteur permettant que chaque aspect du design de la voiture fonctionne de concert avec les autres. C'est un élément qui peut être considéré comme une pierre angulaire des succès de Mercedes au fil de son règne depuis lors.

Unité de puissance et batterie du Mercedes PU106

Unité de puissance et batterie du Mercedes PU106

Photo de: Giorgio Piola

Au cœur de la W05 se trouve l'une de ses plus grandes armes : l'unité de puissance PU106. Il s'agissait d'un morceau de technologie dévastateur qui s'est avéré trop fort pour les rivaux de Mercedes à court terme et les a obligés à courir après la marque à l'étoile lors des saisons suivantes.

Ce qui sautait le plus aux yeux était sans aucun doute la configuration à turbocompresseur séparé, qui voyait le compresseur logé à une extrémité du moteur alors que la turbine était montée à l'autre bout. Cela a permis non seulement de maintenir le côté chaud et le côté froid du turbo à distance, mais aussi au MGU-H d'occuper l'espace entre eux et la forme en V du moteur.

C'est une disposition unique qui était truffée de complications et qui peut être considérée comme une prouesse d'ingénierie à part entière. La conception a nécessité un arbre de liaison s'étendant sur toute la longueur du moteur à combustion interne, qui devait composer avec les forces de rotation requises, plutôt que sur la distance minimale nécessaire pour intégrer le MGU-H s'il avait été placé à l'extrémité arrière du bloc moteur.

Cependant, Mercedes High Performance Powertrains (HPP, le département moteur de la marque) a considéré que cela constituait un défi qui serait utile sur un plan plus large, car cela leur permettrait de reconditionner également d'autres aspects de l'unité de puissance. Mais cela a inévitablement entraîné d'autres challenges. Par exemple, la taille et la forme du compresseur et de la turbine ont dû être réimaginées afin qu'ils puissent toujours s'intégrer dans la zone qu'ils avaient réservée à l'ensemble du groupe moteur.

Le fait d'avoir le compresseur à l'avant du moteur signifiait également que le réservoir d'huile devait être redessiné. Toutefois, cette modification serait compensée par l'utilisation d'un échangeur liquide/air plutôt que d'un refroidisseur air/air.

Le réservoir d'huile sur le V6 et le V8 de Mercedes

Le réservoir d'huile sur le V6 et le V8 de Mercedes

L'échangeur étant logé dans un espace vide au-dessus de la pile à combustible, le circuit de suralimentation est considérablement raccourci, tandis qu'un radiateur de taille similaire avec la même structure centrale que celui utilisé pour le moteur à combustion interne est utilisé afin que la répartition du poids et l'aérodynamique des pontons soient plus équilibrées.

Ces résultats ont été obtenus grâce à l'utilisation d'une installation astucieuse sur les Flèches d'Argent, dont la plupart des composants internes ont été conçus pour améliorer le passage du flux d'air dans les pontons, tout en réduisant le transfert de chaleur entre chaque section.

Curieusement, même si l'équipe Mercedes a opté pour cette méthode de refroidissement de l'air de suralimentation par liquide, le reste des équipes motorisées par Mercedes ont utilisé une solution d'intercooling plus conventionnelle et continuent de le faire à ce jour.

Le moteur PU106 dans la Mercedes W05

Le moteur PU106 dans la Mercedes W05

Cette image montre également la position de montage des refroidisseurs d'huile de l'ERS et de la boîte de vitesses, montés derrière le groupe moteur et alimentés en air froid par les entrées de la boîte à air, les Mercedes disposant également d'une paire d'entrées supplémentaires sur le côté de cette dernière.

Comme on peut le voir ici, il a également été décidé d'utiliser un collecteur d'échappement en forme de rondin pour la première itération de l'unité de puissance fournie par Brixworth. Cette configuration a sacrifié une partie des hautes performances absolues qui étaient possibles au profit d'une conception beaucoup plus compacte, ce qui montre une fois de plus à quel point les décisions ont été prises pour améliorer la voiture dans son ensemble, plutôt que de prendre simplement la voie la plus agressive dans chaque département.

Sans maîtrise la puissance n'est rien

Comparaison entre les volants Mercedes (W04 à gauche et W05 à droite)

Comparaison entre les volants Mercedes (W04 à gauche et W05 à droite)

L'unité de puissance d'une Formule 1 est une pièce de technologie extrêmement complexe, avec bien plus de fonctionnalités que le V8 semi-hybride auquel elle a succédé. Ainsi, les pilotes ont bien plus d'informations disponibles et la capacité de contrôler bien plus de fonctions.

En comparant les volants de la W04 (à gauche ci-dessus) et la W05, il est possible de voir qu'il n'y a pas que la forme de la pièce qui a changé, puisque l'équipe a inclus un nouvel écran PCU-8D, introduit par le fournisseur McLaren avec l'arrivée des unités de puissance.

L'affichage LED est bien plus grand que son prédécesseur et offre 100 pages d'informations entièrement paramétrables, assurant au pilote d'avoir les données nécessaires à portée de main. Ce nouvel écran ouvre également la possibilité d'avoir certaines infos dans un format graphique, alors qu'elles auraient été numériques avec la précédente mouture.

Les volants des pilotes de la Mercedes W05

Les volants des pilotes de la Mercedes W05

En regardant rapidement les volants, on pourrait croire à tort que les deux pilotes ont la même disposition et le même design. Mais, afin de tirer le meilleur parti de la voiture, chaque pilote a personnalisé le design de base du volant en fonction de ses propres besoins. Cela signifie que la fonction de certaines des molettes va changer, que les boutons seront à des endroits différents et même que la couleur des autocollants qui décrivent chaque fonction sera modifiée pour répondre aux besoins de ce pilote.

De plus, à l'arrière du volant, on peut voir que les palettes ont également été personnalisées, Hamilton privilégiant une palette de rétrogradage plus fine, alors que l'angle et la forme des palettes d'embrayage des deux volants sont très différents. Cela se résume à la taille de leurs mains et à leur position sur le volant, les deux préférant une disposition différente afin qu'ils puissent utiliser les différentes commandes sans avoir à trop bouger leurs mains sur le volant.

Plus d'un tour dans son sac

Suspension avant de la Mercedes W05

Suspension avant de la Mercedes W05

La W05 n'avait pas qu'un seul tour dans son sac, car si son unité de puissance et son aménagement lui donnaient clairement un avantage sur ses rivales, la voiture combinait également des aspects de conception plus évolutifs avec des solutions aérodynamiques intéressantes et uniques.

Par exemple, à l'avant de la voiture, l'équipe utilisait un triangle inférieur de suspension conjoint (flèche rouge), rétrécissant ainsi la position entre les deux bras afin de les transformer en un carénage aérodynamique beaucoup plus grand. Cela permettait de maintenir le flux d'air provenant de l'aileron avant dans la bonne position et d'améliorer davantage les performances des surfaces en aval.

Dans le même temps, le bras de direction (flèche bleue) avait également été repositionné et placé en ligne avec le triangle supérieur pour une meilleure gestion du flux d'air, réduisant ainsi toute déviation du flux d'air lorsqu'il se dirigeait vers l'entrée du ponton.

Mercedes W05 new nose with taller front wing pillars (old configuration inset)
Mercedes W05 nose alterations (older specification inset)

Pour tenter d'écarter les solutions à nez haut qui avaient été privilégiées pour leurs gains aérodynamiques les années précédentes, la FIA a apporté des modifications à la réglementation sur le nez, mais, comme ses rivaux, Mercedes était fermement décidé à maintenir le nez aussi haut que possible. Sa solution a probablement été l'une des plus réussies, avec un bout du nez en forme de U inversé qui répondait aux critères dimensionnels de la réglementation, mais de manière très obscure.

Cette solution a permis d'ouvrir le canal nécessaire pour que le flux d'air puisse se frayer un chemin sous le nez et a été améliorée au cours de la saison, ce qui a nécessité la réalisation de crash-tests supplémentaires afin de prouver que le nez se comporterait comme prévu en cas d'accident, même avec la forme la plus complexe.

Maintenant, si l'on considère que l'aérodynamique agit comme une guirlande, chaque surface ou solution ayant un impact sur la suivante, il n'est pas surprenant que Mercedes ait également développé la section des "aubes directrices" de la voiture.

Mercedes W05 turning vanes, 4 elements rather than the 3 inset (First tested in Brazil)
Mercedes W04 FRIC system (Front and Rear Interconnected Suspension)

Pour 2014, après avoir déjà commencé à aller dans cette direction en 2013 (image de gauche ci-dessus), Mercedes a avancé l'ensemble de ses aubes directrices, en utilisant deux crochets sur la W05 qui s'étendaient vers l'avant du châssis et s’accouplaient avec le dessous du nez. Il s'agissait d'une façon intelligente d'avancer un peu plus les aubes et de leur permettre d'agir sur le flux d'air plus rapidement.

À la suite des développements effectués par l'équipe au niveau du nez, d'autres changements ont été apportés aux aubes plus tard dans la saison également. Afin de faciliter l'ajout d'un élément vertical supplémentaire, faisant passer le total de trois à quatre, les crochets ont également dû être modifiés en conséquence.

La

La "bat-wing" de la Mercedes W05

Pour renforcer ces changements et tirer parti de l'espace derrière les aubes directrices, l'équipe a ajouté un nouveau maillon dans la chaîne, en introduisant la "bat-wing". Positionnée sur le capteur de hauteur de caisse, l'ailette modifiait plus encore la direction du flux d'air, améliorant le lien entre chaque section de la monoplace.

Elle allait également évoluer au fil du temps, avec un montant de connexion au châssis revu, ainsi que l'ajout d'une fente sur l'ailette juste devant elle (flèche bleue dans la bulle ci-dessus). 

Des nouvelles de l'arrière

Capot moteur de la Mercedes W05

Capot moteur de la Mercedes W05

L'arrière de la voiture était également tout aussi bien pensé, accompagnant le passage d'une solution à double échappement qui avait cours en raison du diffuseur soufflé de la fin de l'ère V8 à un seul échappement qui devait avoir une position centrale.

Mais, ne manquant jamais une opportunité de tirer un avantage aérodynamique des gaz d'échappement, toutes les écuries ont adopté des ailettes Y150 ou "monkey seats" qui fonctionnaient en coordination avec le package aéro.

C'est un autre domaine dans lequel Mercedes a été particulièrement consciencieux, avec de nombreuses combinaisons déployées pendant la saison en fonction des exigences en termes d'appui des différents circuits visités.

Qu'importe la configuration, l'aileron arrière utilisait un double montant, ce qui ajoutait de la stabilité en lieu et place du flap inférieur (qui était habituellement positionné en bas de l'aileron arrière) qui avait été banni par la nouvelle réglementation.

Dans le même temps, les plaques d'extrémité disposaient d'une surface destinée à favoriser l'écoulement de l'air à travers les différentes fentes. Vous remarquerez qu'elles sont façonnées pour créer un effet de remous afin que les structures d'écoulement à l'arrière de la voiture restent aussi connectées que possible.

Différents ailerons arrière de la Mercedes W05

Différents ailerons arrière de la Mercedes W05

Chaque circuit requiert une configuration aérodynamique différente en raison de l'effet que le mélange entre les virages et les lignes droites a sur la performance globale de la voiture. Ces trois illustrations (ci-dessus) mettent en lumière les différences entre des configurations à faible, moyen et fort appui, avec de nombreuses nuances entre elles pour s'adapter à telle ou telle piste.

Sur la gauche, nous avons une configuration à fort appui avec une partie centrale très profonde, un plan principal et un flap supérieur de grande taille, ce dernier étant en plus surmonté d'un Gurney sur son bord de fuite pour améliorer l'appui et l'équilibre en ajoutant de la traînée supplémentaire. Dans le même temps, un monkey seat complexe a été installé pour avoir une influence sur la direction du flux s'échappant de l'échappement.

Au centre, en haut, nous voyons une configuration à appui moyen (voire faible), le Gurney ayant été retiré pour diminuer la traînée. À ce titre, les coins supérieurs du flap ont également été découpés afin de modifier la puissance du vortex qui est créé à chaque bout, alors qu'un monkey seat simplifié est présent.

Sur la droite, nous avons l'aileron arrière à faible appui utilisé à Monza, avec une profondeur réduite pour le plan principal et le flap supérieur, alors que les montants ont également une forme différente à l'endroit où ils rejoignent le plan principal. C'est important pour éviter que le flux d'air ne soit accidentellement affecté par la réduction de la surface des flaps.

Tout est connecté

Le système FRIC sur la Mercedes W04

Le système FRIC sur la Mercedes W04

Ici présenté sur la W04 de 2013, mais également présent sur la W05, voici le système FRIC, un dispositif hydraulique qui connectait les suspensions avant et arrière et offrait plus de contrôle sur la plateforme de la voiture.

C'est un système dont toutes les équipes disposaient sous une forme ou une autre, mais Mercedes semblait en avoir la version la plus avancée, ce pourquoi ses rivaux ont essayé d'obtenir des clarifications sur sa légalité.

La FIA était convaincue que, si l'intention originale du système était d'améliorer la résistance de la suspension, à mesure que les équipes ont développé ce dispositif l'attention s'est focalisée sur son influence sur la plateforme aérodynamique.

Lors du GP de Grande-Bretagne 2014, il a été annoncé que le système serait interdit à partir de 2015. Cependant, la FIA admettant elle-même que ces dispositifs allaient être considérés illégaux, cela voulait dire que la moindre réclamation d'après-course pourrait entraîner la perte de points. En conséquence, toutes les équipes se sont mises d'accord pour retirer leur système avec effet immédiat, Mercedes étant attendu comme le grand perdant de cette situation. Ça n'a évidemment pas été le cas.

L'écurie a remporté 16 des 19 Grands Prix d'une saison qui a vu les deux pilotes pousser la voiture, eux-mêmes et l'équipe vers ses limites. L'avantage que la W05 avait sur le reste du peloton était visible, établissant clairement les raisons pour lesquelles cela s'est traduit par la création de la lignée de monoplaces la plus dominatrice de l'histoire de la discipline, en ouvrant la voie aux tout aussi brillantes W06 et W07.

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