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Schumacher, futur roi de la F1 dès sa première saison

Il y a trente ans, Michael Schumacher réalisait des débuts étincelants en F1 à Spa, avec Jordan, avant de rapidement rejoindre Benetton pour le Grand Prix d'Italie. Ce transfert allait mener l'Allemand à sa première victoire un an plus tard et poser les bases de son ascension vers le titre, qu'il décrocherait en 1994.

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Michael Schumacher a pour la première fois marqué les esprits en Formule 1 grâce à une superbe performance en qualifications lors de ses débuts avec Jordan au GP de Belgique 1991. Mais ce sont les progrès qu'il a rapidement accomplis après son passage chez Benetton qui ont réellement fait de lui un Champion du monde potentiel. Précisément douze mois après sa première apparition, et sur ce même circuit de Spa, l'Allemand remportait à 23 ans sa première victoire sous la pluie.

Sa première année au plus haut niveau reste l'une des plus spectaculaires observées chez un pilote de l'ère moderne. Bien sûr, Jacques Villeneuve en 1996 et Lewis Hamilton en 2007 ont tous deux remporté des Grands Prix et joué le titre dès la saison de leurs débuts, mais ils disposaient alors du matériel pour le faire. Schumacher, lui, s'est généralement battu face aux McLaren d'Ayrton Senna et de Gerhard Berger pour les miettes que laissait le duo dominateur de l'écurie Williams formé par Nigel Mansell et Riccardo Patrese. Ses résultats n'étaient donc pas aussi spectaculaires, mais son talent était bel et bien visible de tous.

Revenons-en à ses premiers pas. En 1991, Schumacher courait en Endurance, opposant sa Mercedes à la Jaguar XJR14 conçue par Ross Brawn et alignée par l'équipe de Tom Walkinshaw. Brawn et Walkinshaw étaient également au cœur de l'écurie Benetton, qui faisait courir cette année-là Nelson Piquet et Roberto Moreno.

Mercedes voulait accélérer l'arrivée de Schumacher en F1, et un accord fut alors négocié avec Eddie Jordan pour qu'il dispute la course de Spa. Le nouveau venu laissa le paddock bouche-bée en se qualifiant septième sur un circuit qu'il ne connaissait pas, avant d'abandonner dans le premier tour de la course en raison d'une rupture d'arbre de transmission. Jordan était ravi, pensant avoir un contrat avec Schumacher lui garantissant une suite à cette aventure, cependant il restait une marge de manœuvre dans cet accord, que Walkinshaw, patron de Benetton, ne tarda pas à exploiter.

"Nous connaissions bien sûr très bien Michael avec le championnat des voitures de sport", se souvient Ross Brawn. "Nous n'avions pas prévu qu'il arrive aussi vite en F1. Cet accord avec Jordan a donc été conclu un tout petit peu avant que nous ayons pu nous organiser. Mais une fois que nous avons vu qu'il arrivait en F1, nous nous sommes mis en mouvement avant même de le voir rouler. Et Tom a fait un excellent travail en l'arrachant de là en quelque sorte."

Schumacher quickly made an impression on his Benetton team upon arriving at Monza in 1991

Schumacher impressionna Benetton dès son arrivée dans l'écurie, à Monza en 1991

Après une bataille juridique, Schumacher devint en effet pilote Benetton à la course suivante, celle de Monza, tandis que Moreno se voyait brusquement montrer la porte.

"Vous commencez à construire une relation", reprend Brawn. "C'était la première fois que nous travaillions avec lui, et il était dans ce nouvel environnement. Mais il s'est trouvé comme un poisson dans l'eau. Je pense que Nelson a fait des histoires parce qu'il voyait bien le problème qu'il avait : il y avait ce gamin qui l'a immédiatement agacé, tandis que son [précédent] coéquipier Moreno était bien sous contrôle."

Dès le début, Schumacher impressionna sa nouvelle équipe, et y compris le vétéran Nelson Piquet. "Il a clairement été très rapide tout de suite", se souvient Christian Silk, ingénieur performance. "Les deux Lesmo étaient très rapides à l'époque. Je regardais les données des deux voitures, et après la séance j'ai dit à Nelson : 'Michael est 10 km/h plus rapide que toi dans le deuxième Lesmo'. Nelson a répondu : 'Ouais, mais j'ai une femme et des enfants, et pas Michael...'"

"Cela résumait à peu près tout. Nelson était un vieux de la vieille, il gardait toujours un atout dans sa manche, alors que Michael était jeune et affamé, et tout simplement étonnamment rapide d'emblée. Il avait en quelque sorte une grande capacité de traitement pour enregistrer sur son disque dur ce que la voiture faisait, si bien qu'il pouvait rentrer au stand et vous dire : 'Elle sous-vire ici, elle survire là'. Et je pense bien évidemment que c'était une grande force."

Les progrès de Schumacher furent rapides, puisqu'il finit cinquième à Monza, puis sixième au Portugal et en Espagne. À Suzuka, il subit un énorme accident en qualifications, ce qui lui valut une blessure au dos qui allait le gêner pendant des années. "Michael avait mal au dos", dit Silk. "Nous faisions donc attention à son baquet, nous travaillions avec lui afin de trouver une solution qui lui convienne. Certains pilotes sont du genre à dire 'j'ai mal ici' et à s'en servir comme excuse. Mais ça n'a jamais été une excuse [pour lui], il n'a jamais joué cette carte. C'était simplement : 'J'ai mal au dos, il faut que l'on travaille sur le baquet, on va régler ça'. C'était quelqu'un de vraiment correct."

Les cinq courses que Schumacher disputa avec Benetton fin 1991 se terminèrent par des abandons au Japon et en Australie, mais l'équipe savait déjà qu'elle avait eu le nez fin en le recrutant.

Schumacher's presence in the Benetton team rattled number one Piquet, the ageing treble champion

La présence de Schumacher chez Benetton ébranla Piquet, triple Champion du monde

"Il est arrivé en étant très affûté", explique Brawn. "Il était très en forme, sa forme physique n'a même jamais été un sujet, Mercedes a donc fait un excellent travail en le préparant. On voyait bien qu'il était très spécial. Et puis, on voit tous les signes, on voit comment ils utilisent le carburant, comment ils utilisent le moteur, le calme qu'ils ont. Avec nous, il n'a clairement jamais été ébranlé. Il a pu arriver qu'il s'énerve un peu en piste avec d'autres pilotes, mais généralement il n'était pas émotif. Je pense que dès le premier jour, il était clair qu'il allait être très spécial."

Pour sa première saison complète avec l'écurie, en 1992, Schumacher eut un nouvel ingénieur, en l'occurrence Pat Symonds, de retour au bercail après avoir travaillé sur le projet avorté de la Reynard F1.

"C'était assez intéressant, parce que Michael avait beaucoup fait parler", se souvient celui-ci. "Il était assez arrogant, et j'avais confiance en mes capacités, il a donc fallu que nous nous affrontions un peu pour régler les choses. J'ai très, très clairement à l'esprit la manière dont cela s'est passé."

"Pendant les tests de pré-saison en Afrique du Sud, la voiture se comportait plutôt bien et nous étions assez compétitifs. Mais Michael était vraiment mal à l'aise dans les virages rapides et la voiture se mettait à survirer. Il essayait de faire l'ingénieur, en disant 'c'est aérodynamique, il faut enlever un peu d'aileron avant'."

"Mais je savais parfaitement ce qui se passait : l'auto roulait simplement sur la gomme de la bosse. Et j'ai dit : 'Non, on va mettre une barre antiroulis arrière plus rigide, parce que de toute façon tu n'es pas content du sous-virage dans les virages lents'. Et il a dit : 'Non, non, non, c'est faux'. J'ai dit : 'Écoute, c'est ce que nous allons faire'."

"Alors il est sorti et quand il est revenu il a dit : 'La voiture est parfaite maintenant.' Et ça a été un vrai tournant. Il m'a fait confiance. Et à partir de ce moment-là, nous avons eu une très bonne relation de travail, qui n'a eu de cesse de se développer tout au long de l'année jusqu'à ce que nous n'ayons presque plus besoin de nous dire quoi que ce soit, parce que nous pensions simplement de la même manière."

"Il y a une chose que j'ai vraiment appréciée, c'est qu'il a été formidablement bien préparé par Mercedes. Conduire des voitures de sport est de toute façon un très bon terrain d'entraînement ; cela vous apprend la mécanique, mais ils ont fait beaucoup plus que cela."

Schumacher and engineer Symonds quickly developed a good rapport

Schumacher et Symonds développèrent rapidement une bonne entente

Schumacher entama la saison 1992 avec une quatrième place à Kyalami, avant d'enchaîner avec des troisièmes places au Mexique et au Brésil, tout cela au volant de la voiture de la saison précédente. Après l'arrivée de la nouvelle B192, il décrocha une superbe deuxième place en Espagne. Il connut un rare revers à Imola, avec un crash, mais d'une manière générale, ses progrès furent spectaculaires.

"Je pense que ça se voyait, parce qu'il y a beaucoup de choses que Michael faisait et qu'aujourd'hui on considère comme évidentes mais qui étaient assez novatrices à l'époque", dit Symonds. "Ce qui a vraiment fait défaut à Senna à ses débuts, c'était qu'il manquait totalement de préparation physique. Il ne pouvait pas se montrer performant à un niveau élevé pendant toute une course, alors que Michael était incroyable : il savait qu'une bonne forme physique signifiait de bons chronos."

"Michael était un gars très intelligent, et j'ai toujours dit que quoi qu'il ait choisi comme carrière, il aurait très bien réussi, car toute la manière dont il abordait les choses était exemplaire. Il avait le souci du détail, il avait une mémoire incroyable, un esprit très ouvert."

"Par exemple, à l'époque, nous avions ce warm-up ridicule le dimanche, un véritable cauchemar. Mais ce que j'aimais bien chez Michael, c'est que nous travaillions sans cesse sur la voiture, même pendant les qualifications − une barre antiroulis par-ci, un ressort par-là, peu importe quoi. On essayait simplement d'améliorer la voiture. Quand nous en arrivions au dimanche matin, nous disions : 'Voilà, c'est la voiture que tu as, maintenant tu travailles dessus'. Et il passait alors le warm-up à chercher une manière d'aller plus vite."

Au fur et à mesure de la saison 1992, une saine rivalité s'installa entre Schumacher et son nouveau coéquipier, Martin Brundle, qui le poussait très fort.

"Quand je regarde ma carrière, l'un de mes regrets est de ne pas avoir réalisé à quel point Martin Brundle était sacrément bon", admet Symonds. "C'est un gars qui a pu courir contre Senna en F3 et contre Michael en F1. Prenez Montréal : Michael y a terminé deuxième, mais Martin l'avait dépassé avant que les boulons de la couronne [de transmission] ne cassent. Les gens disent que Michael avait l'équipe autour de lui. Oui, il avait l'équipe autour de lui, mais il avait aussi un coéquipier sacrément compétitif."

Schumacher continua à empocher de gros points, notamment en décrochant une autre troisième place lors de son Grand Prix national, en Allemagne. Puis, fin août, il y eut Spa, marquant le premier anniversaire de ses débuts. La course fut marquée par la pluie et elle provoqua la décision cruciale de remettre les pneus slicks. Mansell et Williams se trompèrent, tandis que Schumacher choisit parfaitement le moment pour le faire après avoir observé l'état des pneus de son coéquipier.

Brundle replaced Piquet for 1992 and pushed Schumacher hard

Brundle remplaça Piquet en 1992 et poussa Schumacher à se dépasser

"Cela a été une course spéciale, clairement", dit Symonds. "Mais encore une fois, ce que cela a montré, c'était son intelligence. Il a fait une erreur, et Martin était juste derrière lui et l'a dépassé. Au lieu de s'énerver sur son erreur − 'J'ai été dépassé par mon coéquipier' − comme certains l'auraient fait, il s'est simplement dit : 'OK, je suis derrière lui, et vu ses pneus il est temps de changer'. Et c'est ce qui lui a permis de gagner la course. Ce jour-là, ce n'est pas tant sa vitesse ou la vitesse de la voiture qui lui a fait gagner la course, c'était son intelligence."

"Dès le premier jour, Michael a toujours eu cette capacité de réserve", se souvient Brawn. "Même s'il était rookie, il avait cette capacité à réfléchir, voir et observer les choses. Et cette première victoire est arrivée grâce à sa perception de ce qui se passait sur les pneus de Martin devant lui. Ce jour-là, si Martin avait sauté dans les stands, il aurait pu signer sa première victoire, mais voilà. C'est comme ça que ça marche."

Schumacher ajoutera d'autres podiums à son palmarès, en Italie et en Australie, pour finalement conclure le championnat 1992 à la troisième place, derrière les Williams de Mansell et Patrese. Il ne boucla la saison qu'à trois points de l'Italien, tout en ne devançant également Senna que de trois points.

L'écurie Benetton avait-elle alors conscience que la victoire au championnat n'allait pas tarder ?

"Il serait facile de répondre à ce genre de questions avec arrogance et de dire 'oui, bien sûr que je le savais !'", répond Symonds. "Mais on ne le sait jamais, car il y a énormément de choses qui doivent s'aligner. Et surtout, c'est un sport d'équipe, il faut être au bon endroit au bon moment."

"Alors, je ne vais pas dire qu'en 1992, je savais qu'il allait devenir Champion du monde, mais le fait est que quand quelqu'un gagne sa première course dès sa première saison, on se le dit probablement. Il fait quelque chose qui vous fait penser 'oui, il va aller loin'."

"Ça peut ensuite mal tourner, mais avec Michael ça a en fait été l'inverse. Nous avons simplement tout réuni. Il a continué à s'améliorer en 1992 et 1993, et en 1994 nous lui avons donné le matériel pour qu'il montre ce qu'il pouvait faire avec."

La première victoire de Schumacher à Spa en 1992 lança véritablement son ascension vers les sommets

La première victoire de Schumacher à Spa en 1992 lança véritablement son ascension vers les sommets

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