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Moteurs F1 : il fallait mettre un terme à la fête

Le controversé "mode fête" sur les moteurs de Formule 1 a été interdit par la FIA durant la saison. Il a constitué le point d'orgue d'une tendance lancée il y a bien longtemps, mais il était nécessaire d'y mettre fin selon Pat Symonds.

Dossier sur les modes moteur

Photo de: GP Racing

C'est Lewis Hamilton qui, en 2018, a inventé le terme "party mode" (ou "mode fête" en français), pour décrire les réglages moteur offrant la performance maximale. C'est ainsi que l'attention des passionnés s'est concentrée sur quelque chose qui, en réalité, datait de bien avant l'introduction des unités de puissance turbo hybrides en 2014. Même le vénérable Cosworth DFV était doté d'une certaine adaptabilité avec son injection.

L'avènement de l'électronique n'a d'abord permis que de contrôler les réglages d'allumage, puis seulement une cartographie de régime moteur préprogrammée. Cependant, avec des micro-processeurs de plus en plus répandus dans les années 80, la sophistication s'est accélérée. Elle était essentiellement dictée par les besoins complexes de cartographie des moteurs turbo. Les réglages de suralimentation élevés et un débit d'air accru exigeaient des caractéristiques d'alimentation et d'allumage complètement différentes de celles requises lorsque le pilote reprenait simplement les gaz en milieu de virage.

Même lorsque ces systèmes ont été développés, l'idée que le pilote puisse modifier autre chose que les réglages de suralimentation du turbo était inédite. En 1986, quand je travaillais pour Benetton avec notre moteur client BMW, il fallait ouvrir l'unité de commande électronique (ECU) et changer une puce appelée EPROM si nous voulions modifier les réglages de gestion du moteur.

Ces puces étaient programmées en hexadécimal, et il ne m'a pas fallu longtemps pour trouver comment les reprogrammer afin d'obtenir plus de performance. Ce n'était absolument pas approuvé, car nous n'avions officiellement que deux puces disponibles : une pour les qualifications, l'autre pour la course. Ma programmation de la puce nous avait permis de courir avec des réglages proches de ceux pour les qualifications, et de nous qualifier avec des cartographies dont seule une écurie d'usine pouvait rêver.

Dossier sur les modes moteur

Après avoir verrouillé la première ligne en Autriche, Paul Roche, alors directeur de BMW Motorsport et responsable des moteurs pour l'équipe d'usine Brabham, avait le sentiment que je préparais quelque chose. Il me demanda quelle puce nous avions utilisée pour les qualifications. Je m'attendais à une telle défiance, et un tour de passe-passe fit qu'il s'intéressa à une puce absolument standard plutôt qu'à celle que nous avions en fait utilisée…

Le retour des moteurs atmosphériques ne fit pas disparaître le besoin d'électronique. La capacité à fabriquer des transducteurs de plus en plus performants pour mesurer les paramètres moteur permettait en fait de faire tourner ces blocs bien plus près de leurs limites en matière de fiabilité. Les systèmes électroniques pouvaient les protéger s'ils mesuraient des conditions pouvant mener à leur explosion, ou s'il y avait un danger de surrégime quand un pilote manquait un rapport.

Naturellement, en plus de ce meilleur contrôle, il y eut d'immenses progrès dans l'efficacité pour avoir des moteurs entièrement cartographiés, ainsi que dans la capacité de contrôle précise des limites. Avec des moteurs tournant à 20 000 trs/min, chaque cylindre nécessitait une injection de carburant et une étincelle 166 fois par seconde. Difficile de croire que cela aurait pu être accompli de manière constante sans aucune aide électronique. La modernisation ouvrit également la porte à de nouvelles stratégies. Par exemple, chez Renault, nous faisions l'essentiel de la modulation du couple sans fermer les gaz, afin de maintenir le passage de gaz dans le moteur et de renforcer ainsi l'effet du diffuseur soufflé que nous avions à l'époque.

Pour les moteurs V8 de 2,4 litres introduits en 2006, l'électronique était devenue tellement sophistiquée et difficile à contrôler qu'un ECU standard avec un logiciel standard furent mis en place en 2008. L'appel d'offres fut remporté par McLaren Electronics pour l'utilisation du TAG310. Cela entraîna un niveau de standardisation quant à l'utilisation des modes moteur.

Dossier sur les modes moteur

En 2014, bien que le matériel soit resté standard, davantage de liberté fut accordée pour la partie logicielle afin de gérer les très complexes unités de puissance turbo hybrides. La FIA publia un manuel de 48 pages pour déterminer comment le moteur pouvait être contrôlé, et de nombreuses directives techniques suivirent pour préciser les détails. C'est toujours contrôlé et régi de la sorte aujourd'hui, même si le document concernant les unités de puissance figure désormais à l'annexe page 310 du Règlement Technique.

Un pilote pouvait sélectionner une multitude de modes et l'on pouvait entendre les ingénieurs donner des instructions pour qu'il choisisse un autre mode lorsqu'il y avait des problèmes. Pour faire simple, un bouton multiple comportait environ quatre ou cinq modes préprogrammés. Le mode de qualifications, ou "party mode", pouvait augmenter l'alimentation, anticiper l'allumage, faire passer le débit de carburant au maximum absolu, ouvrir la soupape de wastegate et donner le déploiement d'énergie électrique maximal : le tout en une seule manipulation par le pilote. Un mode "protection" pouvait réduire la configuration et abaisser au maximum le couple disponible afin d'épargner le moteur.

En août 2020, une directive technique a mis fin aux festivités. Depuis, les pilotes doivent utiliser le même mode moteur entre le début des qualifications et l'arrivée du Grand Prix. Il existe toujours la possibilité de réduire les réglages moteur pour des raisons de fiabilité, mais si cela arrive, une baisse significative des performances doit être observée et, une fois ce mode sélectionné, il est impossible de revenir à une configuration plus efficace.

Les pilotes peuvent toujours utiliser la cartographie liée à l'énergie électrique ainsi que le bouton "dépassement" en course. La première permet de stocker l'énergie électrique puis de la libérer au moment d'attaquer ou de défendre, le deuxième délivre un petit supplément de couple en ouvrant la soupape wastegate et en donnant le déploiement électrique maximal.

Je suis convaincu que le fait d'avoir des voitures concurrentes avec des profils de performances différents conduit à des courses moins prévisibles, mais je crois aussi que le déploiement tactique de la performance devrait rester entre les mains du pilote, et non de l'ingénieur qui ne fait que transmettre ce qu'un logiciel a déterminé. Avons-nous trouvé le bon équilibre ? Seul l'avenir nous le dira.

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