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Le Champion du monde sous-estimé qui a tenu tête à Ecclestone

Nelson Piquet adorait la course, détestait les sponsors et souhaitait recevoir un salaire à la hauteur de son talent. Nigel Roebuck revient sur le moment où le triple Champion du monde s'est senti exploité par son patron, un certain Bernie Ecclestone.

Nelson Piquet, Brabham et Bernie Ecclestone

Photo de: LAT Images

Après avoir triomphé en karting et en Formule Vee dans son Brésil natal, Nelson Piquet est arrivé en Europe en 1977, remportant dans la foulée de nombreuses courses de Formule 3 avant de faire ses débuts en Formule 1 avec Ensign au Grand Prix d'Allemagne 1978. D'autres courses en catégorie reine ont suivi, cette fois-ci au volant d'une McLaren privée, jusqu'à ce que Piquet ne reçoive une invitation pour piloter la Brabham à moteur Alfa Romeo d'usine lors de la dernière course de la saison, au Canada. Le début d'une très longue histoire d'amour, qui allait apporter 13 victoires et deux titres.

À vrai dire, il est rare de voir une telle alchimie entre un pilote et une équipe. D'une part, il y avait une profonde empathie entre Ecclestone et Piquet ; d'autre part, une relation de travail presque télépathique entre le Carioca et le directeur technique Gordon Murray. Mais cela ne s'arrête pas là : tous les membres de l'équipe, y compris Charlie Whiting et Herbie Blash, aux rôles plus modestes, adoraient leur pilote à l'esprit libre.

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C'était l'environnement idéal pour la forte personnalité de Piquet, et jamais il n'aurait pu prospérer ailleurs. Comme Kimi Räikkönen en son temps, il n'accordait aucun intérêt à ce qui sortait du cadre du pilotage pur et dur. Son attitude à l'égard des relations publiques était simple : il ne se pliait pas au jeu. Fort heureusement, Brabham n'en avait cure et le sponsor-titre Parmalat ne formulait aucune demande au Brésilien.

"À un moment, Ron Dennis m'a demandé de rejoindre McLaren et il a mentionné tellement de journées dans l'année consacrées à Marlboro [sponsor-titre de McLaren de 1974 à 1996, ndlr] et aux autres… laisse tomber, j'ai perdu tout intérêt", m'a-t-il confié. "Je n'allais pas passer ma vie à parler à des gens qui ne comprennent rien aux courses. En fait, je suis flemmard. Quand je ne suis pas sur la piste, j'aime remonter sur mon bateau et disparaître. Je nage, je fais du ski, je regarde la télé, je m'allonge, je ne fais rien. C'est ma façon d'être. Et lorsque je reviens sur le circuit, je me sens frais..."

La première victoire de Piquet en Formule 1 est arrivée en 1980 et son premier titre l'année suivante. À Las Vegas, dernière course en 1981, il a certes décroché les points nécessaires pour coiffer la couronne mondiale mais je n'avais jamais vu un pilote aussi épuisé que lui lorsqu'il est sorti de sa monoplace. Sa forme physique n'a jamais été comparable à celle d'Alain Prost ou même celle de Keke Rosberg, qui enchaînait pourtant les cigarettes.

Deux ans plus tard, dans la superbe Brabham BT52 à moteur BMW, Nelson a été titré une seconde fois. Cependant, un aspect de l'équipe de Bernie le rongeait de plus en plus. Nous en avons parlé à l'Österreiching en 1985, et cela reste l'une des conversations les plus remarquables que j'aie jamais eues avec un pilote. J'étais à la Boschkurve, et alors que je passais devant une caravane près de l'entrée du paddock, on a frappé à la fenêtre. J'ai alors vu apparaître le visage de Nelson, à moitié caché derrière un rideau, et il m'a fait signe d'entrer.

À mesure que l'été avançait, le paddock était de plus en plus plongé dans les rumeurs concernant la saison suivante. À l'époque, il n'y avait pas encore ce secret maçonnique qui règne aujourd'hui, mais les gens n'étaient pas très bavards pour autant. Pas cette fois. "Aide-moi", a lâché Piquet. "Je ne sais pas quoi faire l'année prochaine."

"Parfois, je pense à Pelé et à Garrincha. Ils étaient des superstars dans le monde et ils ont fini leur carrière avec rien ! Pelé a dû aller au New York Cosmos pour se faire un peu d'argent lorsqu'il est devenu vieux dans le football. Aujourd'hui, il va bien, mais s'il n'avait pas fait ça… Je vais te dire quelque chose, ça ne va pas m'arriver."

Je dois admettre que cela m'a surpris. Piquet a été le fer de lance de Brabham pendant si longtemps qu'il était considéré comme un pilier, à la manière de Jim Clark chez Lotus. Visiblement, il avait le sentiment de ne pas être apprécié à sa juste valeur.

"Tellement de gens ont dit : 'Oh, Piquet, il a des goûts simples, il aime courir, il s'en fout de l'argent'. Bah ! On me l'a faite à l'envers pendant sept ans. Au début, je m'en fichais parce que j'avais rejoint l'une des meilleures équipes, c'était ma chance. Je le savais très bien, Bernie aussi. Depuis, j'ai été Champion du monde deux fois, je suis resté loyal à une équipe et Prost a gagné trois fois plus que moi. Je ne sais pas à quel niveau tu nous situes, mais c'est sûr qu'Alain n'est pas trois fois meilleur !"

Pour ne rien arranger, Ecclestone avait accepté un gros chèque de Pirelli en 1985, ce qui était très bien pour lui, moins pour ses pilotes. "Le passage de Goodyear à Pirelli, sans me le dire à l'avance, a eu un grand impact sur mon attitude envers l'équipe", a ajouté Nelson. "Les pneus ne sont pas compétitifs et Pirelli compte totalement sur moi. J'ai fait l'équivalent de 75 Grands Prix en essais pour eux ! Oubliez ces foutues relations publiques, c'est un vrai travail pour un pilote et c'est pourquoi je devrais être payé pour ce que je vaux."

Au fil de la discussion, la colère montait en lui et ses propos étaient de plus en plus saccadés et sa voix de plus en plus forte. D'un coup, il s'est arrêté. Un silence de quelques secondes a été brisé par ceci : "Si je reste avec Brabham une année de plus, on va penser que je ne les quitterai jamais. Bernie le pense..."

Nelson avait-il une alternative ? "Williams", a-t-il immédiatement répondu. Normalement, un pilote tourne sa langue 700 fois dans sa bouche avant de parler finances, mais Nelson n'a jamais été comme ça : "Bernie me donne un million de dollars et j'ai demandé le double, ce qui est encore beaucoup moins que ce que reçoit Prost. Il m'a proposé 1,6 million de dollars, plus mille dollars par point, et il pense certainement que ce sera assez pour me garder."

Je lui ai alors parlé de l'offre de Williams. "Trois virgule trois million de dollars. Plus dix mille dollars par point !" Le fait que Piquet avait encore des réticences à l'idée d'aller voir ailleurs en dit long sur ses sentiments pour Brabham. "Je ne veux pas partir, mais... je ne veux pas finir comme Garrincha. J'ai dit à Frank [Williams] que je suis prêt à signer. Est-ce que je fais la bonne chose ?" La décision était simple, avais-je répondu. Il a hoché la tête.

Des conversations comme celles-ci débutent invariablement en off mais il était habituel pour Nelson de se mettre à nu, puis de dire, après-coup : "N'écris rien pour le moment, d'accord ? Pas avant que tout soit réglé."

Piquet a donc signé avec Williams, avec qui il a remporté un autre titre mondial en 1987 avant de prendre la direction de Lotus, puis de Benetton. Dans la structure italienne, il signa trois victoires et quitta la F1 à la fin de la saison 1991. À la suite du départ de Nelson, Brabham n'a jamais plus gagné. Pour moi, Piquet, tout comme Jack Brabham ou Mika Häkkinen, fait partie de ces pilotes qui sont curieusement sous-estimés. Jack et Mika ont gagné plusieurs titres, Nelson aussi, et pourtant on n'évoque jamais leur nom en parlant des plus grands pilotes de l'Histoire. Sans aucun doute, Nelson mérite d'y figurer.

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