L'autre retour gagnant de Niki Lauda

Deux ans jour pour jour après le décès de Niki Lauda, retour sur sa victoire au Grand Prix des États-Unis Ouest 1982, à Long Beach, sa troisième course depuis qu'il avait retrouvé le paddock. Moins de deux ans après sa retraite, il avait de nouveau été piqué par le virus de la F1 et s'était lancé sur la voie d'un retour...

Niki Lauda, McLaren MP4B Ford

Photo de: LAT Images

Cette saison, Fernando Alonso revient en F1 après une absence de deux années. L'Espagnol a, entre les GP d'Abu Dhabi 2018 et de Bahreïn 2021, gagné les 24 Heures du Mans, disputé le Dakar et les 500 Miles d'Indianapolis.

Un double Champion du monde de la discipline reine qui revient après deux saisons complètes hors du paddock, cela n'est évidemment pas sans rappeler le cas de Niki Lauda. À la différence près que l'Autrichien avait totalement perdu la motivation de "tourner en rond", au point de quitter Brabham et de se retirer, s’asseyant au passage sur un contrat très lucratif, en plein Grand Prix du Canada 1979. Et pendant ces deux saisons sans rouler en F1, il dirigea pleinement la compagnie aérienne qu'il avait créée, Lauda Air.

Il s'intéressa peu à la Formule 1 durant cette période, mais en août 1981, il fut convaincu par la télévision autrichienne de venir couvrir, en tant que consultant, le Grand Prix d'Autriche. Ce retour dans le paddock lui fit comprendre que sa vraie place était peut-être bien sur la grille. Il se mit alors à envisager pour la première fois sérieusement un retour, au point de reprendre contact avec son entraîneur de longue date, Willy Dungl.

Trois années en F1, c'est beaucoup et à l'époque, les avancées et astuces aérodynamiques pullulaient. Aussi les monoplaces faisaient encaisser à leurs pilotes plus de g qu'en 1979, Lauda voulut donc savoir s'il avait les ressources physiques pour prétendre à pouvoir y résister. La réponse fut assez claire : non, il n'était pas suffisamment en forme et avait pris trop de poids. Alors même qu'il n'avait pas encore sérieusement entamé les démarches vers un retour, il adopta un programme d'entraînement et diététique dans sa vie de tous les jours.

 

C'est alors qu'intervint Ron Dennis. Arrivé en F1 en 1980 par le biais de la fusion entre son écurie de F3 à succès, Project Four, et la moribonde équipe McLaren, il connaissait Lauda par le biais du championnat BMW M1 Procar. Cette compétition mettait aux prises les pilotes de la discipline reine dans des voitures identiques en lever de rideau des Grands Prix et l'Autrichien s'était imposé en 1979 au volant d'une voiture justement préparée par Project Four.

Dennis voyait d'un bon œil la possibilité d'attirer dans ses filets un Lauda, dont il estimait qu'il n'était pas fini pour la compétition. Au téléphone, souvent, il plaisantait à ce sujet. Au GP d'Italie 1981 les deux hommes se retrouvèrent pour discuter en face à face dans le paddock. Lauda s'estimait alors prêt et demanda à pouvoir essayer la MP4/1. Dennis sauta évidemment sur l'occasion et mit en place un test la semaine suivante.

Dans son autobiographie "To Hell and Back" de 1986, Lauda évoquait son état d'esprit : "Par-dessus tout, ce que je voulais savoir, c'était si je pouvais être capable de revenir. Si je pouvais appuyer sur un petit interrupteur dans mon cerveau me permettant de passer à un autre niveau de conscience. Je savais que, si je pouvais atteindre un tel état d'esprit, il n'y avait aucune raison d'être intimidé par les nouveaux pilotes qui avaient fait leurs preuves entre-temps – Pironi, Prost, Villeneuve, Rosberg, Piquet, les 'jeunes lions', comme les appelaient les médias. Ils n'auraient pas l'avantage sur moi."

Le 16 septembre 1981, ce roulage est organisé sur un circuit inhabituel pour des tests, à savoir Donington. Dennis voulait le plus de discrétion possible, des gardes avaient même été postés autour de la piste pour empêcher l'accès aux médias. Cela ne fonctionna pas totalement puisque Autosport rapporta à l'époque que l'Autrichien était attendu pour un galop d'essai à Donington, mais au volant d'une... Brabham.

John Watson, alors pilote McLaren et ancien équipier de Lauda chez Brabham, régla la monoplace, à peine trois jours après son terrible accident de Monza, qui est généralement considéré comme l'événement qui a convaincu la Formule 1 que l'avenir était bien à la monocoque en fibre de carbone. Le double Champion du monde prit alors la piste, se laissant un temps submerger par l'émotion de ce retour, avant de vite reprendre le dessus, notamment face à la difficulté de ces premiers tours.

Toujours dans "To Hell and Back", Lauda expliquait : "La première chose que je remarque, c'est que je n'ai pas la force de piloter trois tours consécutifs. Je rentre aux stands après deux tours et demande à ce que l'on regarde quelque chose. Je suis intérieurement embarrassé par mon manque de condition physique, mais je ne suis pas vraiment inquiet car je sais que Willy Dungl me fera retrouver la forme que tout pilote de course peut avoir dans quelques mois."

"Pour l'instant, il s'agit de tenir toute la journée et de prendre progressivement de la vitesse jusqu'à ce que je puisse faire une évaluation significative. Dans l'après-midi, je maîtrise un peu mieux la voiture. Je fais quelques tours rapides et je ne suis qu'à un dixième du meilleur tour de Watson. C'est réglé : si je reviens, j'aurai la vitesse."

 

Le GP d'Italie ne fut pas seulement marqué par l'accident de Watson, mais également par l'annonce de la retraite du Champion du monde 1980, Alan Jones. La rumeur du test de Lauda ne manqua alors pas d'attirer l'attention de Frank Williams, à la recherche d'un nouveau pilote. Il contacta l'Autrichien qui répondit qu'il allait y réfléchir. Brabham était aussi une piste, mais le test ne pouvait avoir lieu qu'après la finale du championnat 1981 à Las Vegas.

Interrogé par le journaliste italien Pino Allievi, Lauda évoqua la possibilité d'un retour : "Je suis convaincu que je pourrais être compétitif si je revenais – aussi compétitif que je l'étais avant ma retraite il y a deux ans. Il nous faut attendre pour voir. Je dois dire que je suis très tenté de revenir, oui, mais je prendrai une décision dans les prochaines semaines. J'ai besoin d'autres tests avant de m'engager dans un sens ou dans l'autre. Pour l'instant, c'est 50-50."

En réalité, la décision avait été prise dès après le test de Donington. Le premier indice du retour de Lauda intervint en octobre, quand un accord de sponsoring personnel fut annoncé avec Parmalat. "J'ai toujours le goût de la course et je pense pouvoir faire un retour gagnant. Je vais repartir de zéro et je ne pense pas être immédiatement compétitif. J'ai été absent pendant deux ans, et les voitures ont beaucoup changé."

Alors que la destination de Lauda était au centre des rumeurs, d'autres bruits de couloir apparurent : on aurait cherché à faire sortir James Hunt et Jackie Stewart de leur propre retraite pour des sommes records. Cela a eu le mérite de relâcher quelque peu la pression, alors même que Dennis s'employait à assurer ses arrières si Lauda ne rejoignait pas son écurie, en discutant notamment avec Gilles Villeneuve.

L'Autrichien penchait déjà vers McLaren quand il se fit confirmer par Dennis que les rumeurs qui circulaient sur l'avenir de l'écurie, et notamment sur le fait que Porsche travaillait à un projet de moteur turbo destiné à l'écurie. Cela renforça encore l'intérêt de Lauda. Le temps était arrivé de discuter du salaire.

Ces discussions eurent lieu avec le sponsor principal de l'équipe, qui lui donnait ses couleurs, à savoir le cigarettier Philip Morris. Mais, comme toujours, Lauda fut malin et mit en avant l'intérêt "marketing" de son retour, et le fait que son statut écartait de fait toutes les questions sur sa capacité à se montrer à la hauteur. Toutefois, des clauses furent insérées permettant à l'équipe de pouvoir se séparer du pilote si les choses tournaient mal. Sûr de sa force, l'ancien pilote March, BRM, Ferrari et Brabham les accepta et signa.

 

Le 12 novembre, un mois après la fin de la saison, tous les doutes furent levés : l'équipe McLaren serait composée de John Watson et Niki Lauda en 1982. Et Porsche allait bien devenir, à terme, le motoriste de l'écurie. La collaboration démarrera effectivement en Grand Prix courant 1983.

Lors de la présentation du line-up, Lauda déclara : "Je veux un nouveau défi. Je n'ai jamais perdu mon intérêt pour la course, et ces derniers mois, j'y ai pensé de plus en plus. Les gens disent que les retours ne fonctionnent jamais. Eh bien, c'est une autre raison pour laquelle je veux revenir – pour leur prouver qu'ils ont tort."

"Comment pourrais-je dire ce qui va se passer ? Peut-être que ça ira bien, peut-être que ça ira mal. Peut-être que je finirai à l'hôpital. Qui sait ? Mais si je ne sentais pas que je pouvais revenir et être compétitif, je n'y penserais pas. Ces dernières semaines, je me suis entraîné comme un fou, pour me remettre en forme. Après tout, je ne suis pas un pilote de course, je suis un retraité qui revient !"

Plusieurs séances d'essais eurent lieu dans les jours qui suivirent, sur la piste d'essais de Michelin à Clermont-Ferrand puis au Paul Ricard. Sur le tracé varois, Lauda connut une défaillance de suspension à l'origine d'une énorme sortie de piste. Mais cela ne le découraga pas.

Dès son retour dans le paddock, il se signala en supervisant la grève des pilotes au GP d'Afrique du Sud mais en piste il démontra rapidement qu'il n'avait rien perdu de sa superbe. Il remporta la troisième course depuis son retour, le Grand Prix des États-Unis Ouest sur le tracé de Long Beach. En 1984, pour sa troisième saison chez McLaren, il parvint à contenir Alain Prost pour être sacré une troisième et dernière fois. Le phénix Lauda, déjà revenu d'entre les morts après son accident de 1976, avait prouvé à tous que son retour était tout sauf perdant.

 

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