Nürburgring 1957, le dernier chef-d'œuvre de Fangio
Lors du Grand Prix d'Allemagne 1957 disputé sur le Nürburgring, Juan Manuel Fangio (Maserati) a signé probablement sa victoire la plus exceptionnelle, qui fut aussi sa dernière en F1, en jouant un bon tour aux Ferrari de Mike Hawthorn et Peter Collins.
Après avoir remporté un quatrième titre mondial en 1956 à l'issue d'une saison aussi pleine de succès que conflictuelle avec Enzo Ferrari au sein de la Scuderia, Juan Manuel Fangio avait choisi de passer dans le giron de Maserati pour la saison 1957, qui allait être la dernière à temps plein du déjà légendaire pilote argentin.
Chez Maserati, Fangio remplaçait son ancien équipier Stirling Moss, qui décidait lui de rejoindre les débuts de Vanwall. Quant à Ferrari, la Scuderia se reposait sur ses jeunes talents, Peter Collins, Eugenio Castellotti, Luigi Musso et Mike Hawthorn, de retour à Maranello.
Fangio avait idéalement débuté sa collaboration avec Maserati en s'imposant chez lui à Buenos Aires lors de l'ouverture de la saison, en janvier, puis lors de la seconde manche de la saison… quatre mois plus tard, dans les rues de Monaco, puis encore lors du Grand Prix de France à Rouen-les-Essarts, à l'issue d'une prestation restée dans les mémoires.
L'équipe Ferrari connaissait une saison difficile. La Scuderia avait perdu Eugenio Castellotti lors d'un accident en essais à Modène, en mars, et ses 801, les voitures les plus lourdes du plateau, peinaient à faire jeu égal avec les Maserati 250F et les Vanwall VW de l'autre équipe en forme de ce début de saison. Celle-ci s'imposait pour la première fois lors du Grand Prix de Grande-Bretagne, à Aintree, avec Stirling Moss et Tony Brooks, qui s'étaient relayés au volant de la voiture comme c'était encore l'usage.
Après Aintree, et avant l'antépénultième manche de la saison sur le redoutable circuit du Nürburgring, début août, Fangio menait donc au score devant Luigi Musso et Tony Brooks, alors que ses abandons à répétition empêchaient le véloce Stirling Moss de jouer le titre mondial.
Fangio pouvait ainsi voir venir, et avait la possibilité de coiffer d'ores et déjà la couronne mondiale – sa cinquième – en cas de succès sur le Nürburgring, et ce avant même les deux dernières épreuves en terre italienne (Pescara deux semaines plus tard, puis Monza début septembre).
Ferrari en quête de victoire
Début août dans l'Eifel, Maserati arrivait ainsi avec trois 250F officielles pour Fangio, Jean Behra et Harry Schell, alors que Stirling Moss endossait encore son rôle de leader chez Vanwall aux côtés de Tony Brooks et Stuart Lewis-Evans. Du côté de Ferrari, Hawthorn, Collins et Musso entendaient bien décrocher la première victoire des rouges depuis le début de la saison.
À l'issue des qualifications, Fangio signait la pole position mais les Ferrari se positionnaient comme les rivales les plus sérieuses des Maserati, Hawthorn réalisant le deuxième meilleur chrono et s'intercalant entre les 250F de Fangio et Behra, alors que Collins était lui aussi bien placé, en quatrième position. Quant aux Vanwall, elles devaient se contenter des cinquième (Brooks) et septième rangs (Moss), les deux Britanniques encadrant la troisième Maserati officielle, celle de Schell, sur la grille, où pas moins de 30 concurrents allaient prendre position le jour de la course.
On part à quatre par ligne sur la grille du Nürburgring et, au départ, Fangio joue la prudence et laisse filer les deux Ferrari de Hawthorn et Collins, qui emmènent le peloton. L'Argentin devance son équipier Behra.
Hawthorn et Collins tout feu tout flamme
Les pilotes Ferrari imposent un rythme extrêmement soutenu sur le toboggan de l'Eifel, Hawthorn battant déjà le record du circuit dès le deuxième tour. Mais Fangio, qui suit de près, réplique en faisant à son tour mieux que la référence établie par le leader quelques minutes plus tôt.
Fangio est en fait passé à l'attaque après avoir pris ses marques lors du premier tour et, après avoir disposé de la Ferrari de Collins, il installe la Maserati en tête en dépassant Hawthorn quelques instants plus tard. Il creuse méthodiquement l'écart sur ses poursuivants, à coup de records du tour et au prix d'un pilotage étourdissant, pour porter son avance à une trentaine de secondes au huitième tour.
L'équipe Maserati appelle Fangio au stand au douzième tour, mais l'arrêt ravitaillement de son pilote, et son changement de pneus, tournent à la catastrophe : près d'une minute sera perdue dans l'opération, permettant aux deux Ferrari, qui ont bénéficié d'arrêts plus prompts, de reprendre le commandement, Collins devant Hawthorn – alors que Fangio reprend la piste à plus de quarante secondes de ses adversaires.
Le coup de poker de Maserati et Fangio
Alors que la course semble d'ores et déjà perdue pour Maserati, l'équipe italienne joue un véritable coup de poker. L'idée est en effet de voir Fangio boucler ses premiers tours de relance à allure moyenne afin de faire croire au clan Ferrari qu'il a course gagnée, avant d'attaquer dans les derniers tours. Au 14e passage, le retard de Fangio est encore monté à plus de 45 secondes, et le quadruple Champion du monde s'efforce même de donner des coups d'accélérateur dans la ligne droite des stands, feignant un problème technique.
Ainsi, lorsque l'équipe Ferrari panneaute à ses pilotes leur avance de 48 secondes à leur passage à l'issue du 15e tour, on leur intime également l'ordre de lever le pied pour assurer le doublé. Hawthorn et Collins se permettent même de se porter côte à côte afin de confirmer ces consignes, Collins signifiant par geste à son équipier et ami qu'il lui laisse la voie libre pour la victoire. Il reste six tours à boucler.
Seizième tour : les Ferrari comptent encore 45 secondes d'avance et Fangio est prêt à lâcher les chevaux. Très intelligemment, l'Argentin demeure sur la réserve en passant la ligne droite des stands, la courbe sud et la ligne droite passant derrière les stands, avant de plonger dans la descente d'Hatzenbach... et d'entamer son récital.
Lorsque les membres de l'équipe Ferrari chronomètrent l'écart entre leurs voitures et la Maserati, ils sont évidemment extrêmement surpris de voir le retard de Fangio tomber à 33 secondes en un seul tour. Problème : la radio n'existe évidemment pas encore, et il n'y a pas de panneautage intermédiaire sur la Nordschleife. Collins et Hawthorn poursuivront encore leur train de sénateurs pendant une bonne dizaine de minutes avant d'être informés du retour de leur rival.
Au tour suivant, il ne reste plus que 25 secondes à combler pour Juan Manuel Fangio, qui poursuit sa démonstration de pilotage, souvent à la limite. Bien que Collins et Hawthorn soient repassés à l'attaque, l'écart chute à chaque passage sur la ligne : 20 secondes, 15 secondes… À deux tours de l'arrivée, la Maserati est cette fois dans le sillage immédiat de la Ferrari de Collins, et la dépasse au prix d'une belle passe d'armes et d'une légère incursion sur le bas-côté.
Dernière victoire en Championnat du monde, et dernier titre
Fangio revient ensuite au contact avec la Ferrari du leader Hawthorn dans le dernier tour, et porte une attaque imparable pour s'emparer du commandement. Il s'impose finalement avec trois secondes d'avance sur le Britannique, alors que Peter Collins complète le podium à 35 secondes du vainqueur, à l'issue d'un Grand Prix demeuré dans les annales.
Juan Manuel Fangio signait ainsi son 24e et dernier succès en Championnat du monde devant ses deux anciens équipiers, encore admiratifs après la leçon qui venait de leur être donnée, et s'adjugeait du même coup son cinquième et dernier titre mondial. Ferrari ratait l'occasion de s'imposer en cette saison 1957. Une occasion qui n'allait plus se présenter puisque Vanwall s'adjugerait les deux derniers Grand Prix avec Stirling Moss.
Épilogue
Mais la Scuderia allait prendre sa revanche l'année suivante avec le titre de Mike Hawthorn, une saison 1958 toutefois endeuillée pour Ferrari avec la mort de Luigi Musso au Grand Prix de France à Reims puis celle de Peter Collins sur le Nürburgring. Quant à Fangio, il tirait sa révérence après deux ultimes apparitions en Grand Prix en 1958. Et Mike Hawthorn trouvait lui la mort dans un accident de la route, en janvier 1959.
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