Ocon-Hamilton : que conclure de la décision des commissaires ?

La décision rendue par les commissaires après l'accrochage entre Esteban Ocon et Lewis Hamilton a interrogé quant à la manière d'appréhender les luttes en piste. Essayons d'y voir plus clair, à la lumière des bases (ré)établies en 2022.

Comme d'habitude à Monaco, les tentatives de dépassement n'ont pas été légion lors du Grand Prix. L'une d'entre elles a beaucoup focalisé l'attention car elle s'est soldée sur le coup par un contact, assez léger, puis après-coup par une décision des commissaires qui a fait débat. Il s'agit de la lutte entre Esteban Ocon et Lewis Hamilton, quand le Français resté en piste avec les pneus pluie usés du départ s'est retrouvé à devoir défendre sa place face au Britannique en gommes intermédiaires tout juste montées.

Pour rappel, la situation en piste se déroule au 18e tour de course, dans la ligne droite de départ/arrivée. À l'approche de Sainte-Dévote, à peu près où le rail cesse de longer totalement la piste pour aller tout à l'intérieur du premier virage, le pilote Mercedes se place à droite de l'Alpine et porte au maximum le bout de son aileron avant au niveau de l'entrée des pontons de l'A522. Il se maintient à cette place jusqu'au moment du freinage où, placé sur l'intérieur, il ralentit légèrement plus que son adversaire qui peux emmener une vitesse supérieure en étant mieux positionné.

Au moment où Ocon tourne, les roues avant du septuple Champion du monde sont encore un peu avancées par rapport au train arrière du vainqueur du GP de Hongrie 2021. Ce dernier vise la corde, comme en témoigne le fait que son pneu avant droit monte sur le vibreur intérieur à cet endroit, alors que Hamilton essaie d'éviter le contact en continuant de freiner et en essayant de passer totalement sur le vibreur. Toutefois, la collision survient entre la roue arrière droite du #31 et la roue avant gauche du #44.

Le cadre normatif de 2022

Hamilton se place à côté d'Ocon au début du 18e tour

Hamilton se place à côté d'Ocon au début du 18e tour

Voilà pour les faits. Maintenant, le droit : les commissaires se sont saisis de l'incident (mais étonnamment pas de celui survenu un tour plus tard, toujours entre les deux pilotes, mais cette fois bien avant le virage 1). Dans une course animée où la direction de course a été très occupée, la décision n'a finalement été rendue qu'au 34e tour, sachant qu'il y a eu entretemps un drapeau rouge pour l'accident de Mick Schumacher.

Dans cette décision, les commissaires ont infligé une sanction de cinq secondes pour Ocon, jugé principal responsable de la collision (pour cette infraction, c'est la sanction standard cette saison). La justification est courte : "Les commissaires ont examiné les preuves vidéo et ont noté qu'à l'approche du virage 1, il y avait une partie significative de la voiture 44 à côté de la voiture 31 et que, par conséquent, en appliquant les Standards de pilotage 2022, la voiture 44 avait droit à de la place dans le virage 1."

Même si elle ne fait qu'une phrase, cette motivation livre toutefois quatre éléments essentiels pour comprendre le raisonnement des commissaires en 2022. Et il est important de préciser "en 2022" car comme l'indique la décision elle-même, certaines normes y ont été établies, dans la foulée d'une saison 2021 où plusieurs incidents et décisions ou non décisions ont eu tendance à brouiller les cartes.

En effet, avant de décortiquer la décision en elle-même, rappelons que, comme nous vous le révélions en avril dernier, un certain nombre de standards de pilotage ont été clarifiés pour assurer que les luttes en piste soient le plus équitable possible. Dans le cas qui nous intéresse, nous nous concentrerons sur la situation où l'attaquant se trouve à l'intérieur, mais les autres possibilités sont normalement couvertes (à retrouver dans le lien ci-dessous).

Lire aussi :

Voici comment ce genre de situation est décrit dans le document que les commissaires appellent "Standards de Pilotage 2022", que tous les concurrents sont censés connaître : "Pour qu'une voiture en train d'être dépassée soit tenue de laisser suffisamment de place à une voiture en train de dépasser, une partie significative de cette dernière doit se trouver à côté de la voiture en train d'être dépassée et la manœuvre de dépassement doit être effectuée de manière sûre et contrôlée, tout en permettant à la voiture de rester clairement dans les limites de la piste."

"Lors de l'examen de ce qu'est une 'partie significative' pour un dépassement à l'intérieur d'un virage, parmi les divers facteurs qui seront examinés par les commissaires dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire, ils vérifieront si les pneus avant de la voiture qui dépasse sont à côté de l'autre voiture au plus tard à la corde du virage."

On peut ici voir que le bon déroulé d'un dépassement ne dépend donc pas que de l'attaquant mais aussi du défenseur, et que ces "guides" que les commissaires utilisent dans leur réflexion sont le produit d'une évolution que l'on peut qualifier d'erratique sur la question au fil de ces 10 dernières années, en gros.

La décision Ocon/Hamilton

Dans le cas Ocon/Hamilton, les quatre éléments importants évoqués par les commissaires sont les suivants :

Les "Standards de pilotage 2022"

Le pneus avant de Hamilton sont au niveau des pontons d'Ocon à l'approche de Sainte-Dévote

Le pneus avant de Hamilton sont au niveau des pontons d'Ocon à l'approche de Sainte-Dévote

Avant toute chose, il est explicitement fait référence aux "Standards de Pilotage 2022" : c'est important car c'est révélateur. En effet, sur le plan réglementaire ces standards ne sont pas un texte contraignant au même titre que le sont le Règlement Sportif ou encore le Code Sportif International. La FIA l'avait d'ailleurs rappelé au moment de la remise de ces lignes directrices : "Pour éviter tout doute, il s'agit simplement de directives pour aider les commissaires dans leur prise de décision et elles ne sont pas contraignantes. Toutes les décisions des commissaires seront prises conformément au Code Sportif International de la FIA, lu en conjonction avec tous les règlements pertinents applicables à la Formule 1."

Les évoquer explicitement dans la décision, c'est non seulement leur accorder malgré tout une valeur normative certaine (d'autant plus quand, le même jour, les mêmes commissaires ont plus tard expressément rejeté les Notes du directeur de course comme norme à partir du moment où elles contredisent les règles en vigueur), mais c'est aussi tout bonnement se référer pour les lecteurs de la décision à un cadre d'analyse précis. Beaucoup d'observateurs ou de fans ont eu tendance, sur cet incident, à appliquer des concepts venus d'autres temps, lointains ou pas. Les commissaires de Monaco rappellent ici que c'est un incident de 2022 jugé avec le cadre de 2022, cadre auquel ils prêtent une valeur prescriptive claire.

"L'approche du virage 1"

Ensuite, pour revenir à la chronologie de la décision, le second élément à noter est que les commissaires évoquent "l'approche du virage 1". Cela peut paraître être une formule anodine, mais il faut la lire au regard des Standards de Pilotage qui évoquent une situation où les commissaires doivent juger "au plus tard à la corde du virage".

Dans les faits, ce que cette expression signifie, c'est donc que ce n'est pas seulement au point de corde que la situation s'appréhende mais sur une distance qui précède le virage en lui-même et qui va de la phase d'approche à la corde en dernier ressort. Ici, on peut donc en déduire que les commissaires ont tenu compte du fait que l'attaque de Hamilton avait débuté bien avant le moment du contact et donc bien avant la corde du virage.

La "partie significative"

Les pneus avant de Hamilton précèdent légèrement les pneus arrière d'Ocon quand ce dernier décide de tourner

Les pneus avant de Hamilton précèdent légèrement les pneus arrière d'Ocon quand ce dernier décide de tourner

C'est sans doute le point le plus controversé, à savoir la référence à la "partie significative" de la Mercedes à côté de l'Alpine. Ce vocabulaire n'est pas nouveau, mais ces dernières années, l'appréciation de ce que recouvrait "significative" a évolué et a pu se brouiller car différentes décisions avaient tendance à offrir une vision différente de cette réalité.

En 2022, même si les termes demeurent les mêmes et donc restent vagues en eux-mêmes, les choses sont balisées, et là encore il faut se référer aux Standards : "Lors de l'examen de ce qu'est une 'partie significative' pour un dépassement à l'intérieur d'un virage, parmi les divers facteurs qui seront examinés par les commissaires dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire, ils vérifieront si les pneus avant de la voiture qui dépasse sont à côté de l'autre voiture au plus tard à la corde du virage."

Il est tout à fait possible de souscrire à l'idée que "significatif" ne colle pas avec le fait de ne tenir compte que des "pneus avant" (et donc d'une "partie significative" qui va du bout du nez jusqu'à la face arrière du pneu avant), mais c'est bien le cadre qui été choisi par les instances et que les commissaires appliquent.

Il est également tout à fait juste de souligner que "à coté" est une condition vague également, non pas tant dans son sens que dans son interprétation. C'est d'ailleurs une partie de l'intérêt de la décision monégasque, amenée en toute logique à entrer le cadre de la jurisprudence : permettre de saisir si les commissaires vont avoir une vision stricte du sens de ces mots ou pas. Reste à savoir ce que de futurs commissaires penseront d'une manœuvre similaire mais dans laquelle les roues avant seraient plutôt au niveau de l'aileron arrière ou du diffuseur que des pontons.

Toujours est-il que si l'on applique ces Standards à la situation de Monaco, il est indéniable qu'à tout moment de la tentative de dépassement de Hamilton, les pneus avant de sa Mercedes étaient "à côté" de l'Alpine, dans une zone se situant entre le milieu des pontons et le train arrière de l'A522.

Le "droit à de la place dans le virage 1"

Les commissaires ont jugé qu'Ocon n'avait pas laissé la place à laquelle Hamilton avait le droit

Les commissaires ont jugé qu'Ocon n'avait pas laissé la place à laquelle Hamilton avait le droit

Ce dernier point est la conséquence des deux précédents : les commissaires déduisent que "la voiture 44 avait le droit à de la place dans le virage 1". C'est ici l'application des Standards : "Pour qu'une voiture en train d'être dépassée soit tenue de laisser suffisamment de place à une voiture en train de dépasser, une partie significative de cette dernière doit se trouver à côté de la voiture en train d'être dépassée et la manœuvre de dépassement doit être effectuée de manière sûre et contrôlée, tout en permettant à la voiture de rester clairement dans les limites de la piste."

En conclusion, si l'on analyse la situation vis-à-vis de l'ensemble des critères fixés par les Standards de Pilotage (et que les commissaires n'ont pas tous repris dans leur justification, ce qui est toujours dommageable dans la compréhension globale) : Hamilton avait une "partie significative" (les roues avant) de sa Mercedes à côté de l'Alpine, sa manœuvre était effectuée "de manière sûre et contrôlée" (l'attaque a été lancée longtemps avant le point de contact et sans agressivité particulière ou perte de contrôle) et n'était pas destinée à empêcher Ocon de ne pas "rester clairement dans les limites de la piste" (en gros, Hamilton n'était pas dans une situation de forcer son adversaire à sortir de piste). Dans ces conditions, les commissaires ont conclu qu'Ocon aurait dû s'assurer de laisser à son adversaire plus de place et qu'en tournant à la corde, c'est bien lui qui est le principal responsable de la collision. 

Les autres décisions pour la même infraction en 2022

L'accrochage Gasly-Stroll au GP d'Espagne

L'accrochage Gasly-Stroll au GP d'Espagne

Cette saison, la décision prise par les commissaires sur le cas Ocon/Hamilton constituait la neuvième rendue pour cette infraction ("causer une collision") ; on parle bien ici de décision à part entière ayant donné lieu à un rapport écrit, qu'elle débouche ou non sur une sanction. Le tableau ci-dessous les liste, en retirant tout de même de l'équation le cas particulier de l'accrochage entre Stroll et Latifi lors des qualifications du GP d'Australie, puisqu'il s'agissait par définition d'une phase hors course.

Les cas dans lesquels un incident est "noté" avant que les commissaires décident de ne pas enquêter ne sont pas répertoriés car la justification de l'absence d'enquête n'est jamais rendue publique. Il n'est donc pas possible d'en déduire grand-chose, en dehors de certaines tendances comme le fait que les incidents dans le premier tour soient vus de façon plus clémente que les autres.

Course Pilotes Sanction Justification
Bahreïn Ocon
Schumacher
+5 sec
2 pts licence
"...bien qu'OCO se soit ravisé au moment où MSC tournait, l'avant gauche de la voiture d'OCO est entré en contact avec l'arrière droit de la voiture de MSC, ce qui a provoqué un tête-à-queue de MSC avant qu'il ne continue. Il a été considéré que la manœuvre n'a pas été effectuée de manière sûre et contrôlée par OCO."
A. saoudite Albon
Stroll
+3 places
2 pts licence
"...la voiture 23 a tenté de dépasser la voiture 18 par l'intérieur en freinant tardivement. En exécutant la manœuvre de dépassement, la voiture 23 a bloqué une roue et est entrée en collision avec la voiture 18 à la corde du virage. Nous avons déterminé que la voiture 23 était entièrement ou principalement responsable de la collision."
Miami Alonso
Gasly
+5 sec
2 pts licence
"...la voiture 14 n'avait pas le droit à ce que de la place lui soit laissée."
Miami Magnussen
Stroll
- "...aucun pilote n'était entièrement ou principalement responsable [de la collision]."
Miami Magnussen
Stroll
+5 sec
2 pts licence
"...la voiture 18 était en avance à l'entrée du virage 11 et la voiture 20 est entrée en collision en forçant la voiture 18 à sortir de la piste. Le pilote de la voiture 20 est entièrement responsable de la collision."
Miami Schumacher
Vettel
- "...si les deux pilotes ont contribué à la collision, aucun n'en était entièrement ou principalement responsable."
Espagne Gasly
Stroll
+5 sec
2 pts licence
"...Stroll était complètement à côté de Gasly, de l'entrée du virage à la corde, et lui a laissé suffisamment de place. Gasly a sous-viré dans Stroll et les commissaires ont jugé qu'il était entièrement responsable de la collision, même si celle-ci était davantage due à un manque d'adhérence."
Monaco Ocon
Hamilton
+5 sec
1 pt licence
"...à l'approche du virage 1, il y avait une partie significative de la voiture 44 à côté de la voiture 31 et, par conséquent, en appliquant les Standards de pilotage 2022, la voiture 44 avait droit à de la place dans le virage 1."

Nous soulignions plus tôt le caractère "court" de la justification des commissaires sur le cas Ocon/Hamilton. Mais force est de constater que les commissaires sont la plupart du temps peu diserts sur le sujet.

Nous nous sommes permis de mettre en gras, dans les justifications, les cas où des éléments des Standards de pilotage 2022 sont évoqués directement ; là encore, ce qui saute aux yeux, c'est que toutes les décisions ne les citent pas. Et surtout, en dépit de sa brièveté, la décision monégasque est la plus complète sur ce plan. Cela tient sans doute au fait que l'incident, en d'autres temps, aurait été jugé différemment, et qu'il fallait donc une plus grande clarté dans la manière de le justifier.

Mais que l'on soit d'accord ou pas avec la vision adoptée dans ce que doit être une lutte en piste, la liste ci-dessus démontre qu'il y a encore un assez long chemin à parcourir dans la compréhension du raisonnement des commissaires. Il devrait pourtant s'agir d'une des manières de mieux faire accepter ou en tout cas de mieux expliquer pourquoi à partir de telle ou telle situation factuelle l'on aboutit à telle ou telle application des règles.

Certaines décisions sont presque caricaturales dans leur refus d'offrir la moindre "porte d'entrée" vers la réflexion des commissaires : le cas le plus typique est sans doute celui de l'accrochage entre Vettel et Schumacher à Miami, où les commissaires expédient la justification sans livrer un seul début d'indice sur ce qui, pour eux, fait qu'il n'y avait pas de pilote plus responsable que l'autre.

En définitive, la décision rendue à Monaco sur Ocon/Hamilton ne paraît pas aberrante si l'on se fie aux critères 2022. Ce qui l'est un peu plus et qui n'est pas quelque chose de particulier à la saison en cours, c'est la trop grande disparité et le trop grand décalage entre les critères applicables pour prendre une décision et la restitution de la réflexion des commissaires.

Alors même que l'on peut considérer que la décision monégasque est quasiment la plus "argumentée" de toutes celles évoquées ci-dessus, elle demeure bien trop succincte ; dans un sport où le nombre de décisions à rendre n'est pas aussi élevé que dans d'autres et où la saison précédente a été constellée de polémiques sur le sujet, on pourrait s'attendre à beaucoup mieux.

Pire encore, quand Ocon en a parlé sur Canal+ après la course, dans des propos qui auront sans doute été bien plus relayés que la justification des commissaires, voici ce qu'il en a dit : "[Les commissaires] nous ont dit qu’il y avait une nouvelle règle en place : que quand il y avait une voiture à l’intérieur, si ça touchait, c’était celui qui se faisait attaquer qui prenait la pénalité. Ça aurait été l’année dernière, ça aurait été un incident de course ; ils ont dit que, là, ça avait changé mais qu'eux non plus n'étaient pas contents des règles."

Bien entendu, nous l'avons vu tout au long de cette analyse mais aussi dans d'autres cas cette année, il est clair que la règle est bien plus complexe que cela et qu'il ne suffit pas d'"être à l'intérieur" pour ne jamais être responsable d'une collision. Mais au moment de faire le lien entre une décision et les concurrents/le public, qu'importe : l'espace que la direction de course et les commissaires n'occupent pas en n'expliquant pas correctement ou en n'expliquant pas tout court les règles et/ou leur raisonnement est laissé libre à d'autres. Et là, la question de celui qui y a le droit ou pas ne se pose pas.

Le contact entre Ocon et Hamilton au GP de Monaco

Le contact entre Ocon et Hamilton au GP de Monaco

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