Opinion

Patrons et membres d'écurie : la vie sous haute pression

La pression est forte sur Red Bull et Mercedes, alors que débute le sprint final de la saison. La manière dont les deux équipes gèrent cette pression sera un facteur déterminant pour l'attribution des titres pilotes et constructeurs.

Toto Wolff, Team Principal et PDG, Mercedes AMG

Photo de: Steve Etherington / Motorsport Images

Avec les deux derniers Grands Prix en Arabie saoudite et à Abu Dhabi, la saison 2021 approche de sa conclusion et tous les regards sont braqués sur Max Verstappen et Lewis Hamilton pour savoir comment s'achèvera le duel. Mais les mêmes regards seront aussi tournés vers leurs équipes respectives, Red Bull et Mercedes, et vers ceux qui les incarnent. Tous seront sous une pression extraordinaire alors que le travail de toute une année sera jugé par l'issue de ces deux week-ends, que ce soit pour le prestige, pour la gloire ou pour les récompenses financières qui en découlent.

Toto Wolff et Christian Horner peuvent-ils faire figure d'exemple pour leurs troupes et s'assurer que chaque petit détail soit correct, que chaque pièce soit conforme à la réglementation et que chaque arrêt au stand soit le plus parfait possible ? En règle générale, je trouve que lorsqu'une personnalité forte dirige l'équipe pour laquelle vous travaillez, elle a tendance à vous inspirer pour faire de même. Mon passage chez McLaren, sous les ordres de Ron Dennis, en est un bon exemple. J'ai connu des circonstances dans lesquelles ça m'a aidé à m'épanouir dans certaines situations sous pression, et d'autres où mon tempérament de compétiteur a pris le dessus.

Au Grand Prix du Japon 1987 à Suzuka, mon pilote Stefan Johansson était deuxième en fin de course, mais Ayrton Senna revenait rapidement sur lui avec sa Lotus. À cette époque, les communications radio n'étaient pas géniales et j'essayais d'avertir Stefan qu'il serait rattrapé dans le dernier tour. Malheureusement, il n'a pas entendu le message et s'est fait doubler. Dans un accès de colère, j'ai quitté le muret des stands et je me suis précipité dans le garage McLaren, où j'ai arraché ma radio et l'ai jetée par terre. Ron m'avait suivi dans le garage et, témoin de ma colère, m'avait calmement dit : "Ça forge le caractère !".

Le podium du Grand Prix du Japon 1987.

Le podium du Grand Prix du Japon 1987.

Un an plus tôt, lorsque j'étais l'ingénieur d'Alain Prost, nous étions arrivés à Adélaïde pour le dernier Grand Prix de l'année sans imaginer ce qui allait se passer. Les pilotes Williams, Nigel Mansell et Nelson Piquet, étaient très bien placés pour remporter le championnat, mais la chance allait être de notre côté. Tôt dans la course, Prost suspecta d'avoir une crevaison et rentra au stand pour changer de pneus. En ce temps-là, Ron contrôlait les arrêts au stand avec la sucette et, comme d'habitude, il avait dit aux gars de ne pas s'inquiéter et de tout simplement faire les choses bien. Le changement de pneus fut parfaitement exécuté, en moins de 15 secondes, et Prost reprit la course.

Notre autre pilote, Keke Rosberg, pour son dernier Grand Prix en F1, menait facilement jusqu'au moment où il s'arrêta dans une ligne droite à cause d'une suspicion de défaillance moteur. En fait, son pneu arrière droit avait commencé à se délaminer et heurtait le fond plat, provoquant un bruit. Si Keke avait regardé dans ses rétroviseurs, il aurait peut-être vu le problème et aurait pu rentrer aux stands. Quelques tours plus tard, un pneu arrière éclata sur la voiture de Mansell, dans la même ligne droite, alors qu'il semblait filer vers le titre mondial.

Prost était remonté jusqu'au deuxième rang lorsque Williams, refroidi par l'incident qui venait de toucher Mansell, décida de faire rentrer Piquet pour changer ses pneus par précaution. Prost se retrouva en tête mais le système électronique Bosch sur sa voiture lui indiquait un niveau de carburant critique. Il y eut beaucoup de discussions sur le muret entre Udo Zucker, alors technicien de Bosch, Ron, les ingénieurs Porsche et moi-même pour savoir si nous devions croire cette indication. Évidemment, il n'y avait rien à faire, et ce fut un immense soulagement de voir Prost couper la ligne d'arrivée avec un affichage qui indiquait -5 litres.

Bien sûr, chez McLaren en 1988 et 1989, il y eut énormément de moments de tension. Je me souviens très distinctement du tristement célèbre incident d'Imola, quand Senna brisa l'accord qu'il avait conclu avec Prost, qui permettait à celui qui arrivait le premier à Rivazza de contrôler la course. À cause de cela, les tensions entre les deux pilotes prirent une telle ampleur que lors d'essais privés à Pembrey, au Pays de Galles, ils ne voulaient même plus se parler. Toujours aussi rationnel, Ron arriva par hélicoptère et passa une heure avec eux à l'arrière du camion. Mis quasiment au pied du mur, Senna en ressortit au bord des larmes. Mais malgré les efforts de Ron, les relations ne furent plus jamais les mêmes.

Ron Dennis avec Ayrton Senna et Alain Prost.

Ron Dennis avec Ayrton Senna et Alain Prost.

Il y a un autre directeur d'équipe calme et calculateur avec qui j'ai travaillé : Jean Todt, lorsqu'il était à la tête de Peugeot Talbot Sport et que nous faisions rouler les 905 en Endurance. La saison 1991 avait été un peu désastreuse et Peugeot mettait beaucoup de pression sur lui et sur l'équipe, car ça avait fini par affecter l'image de l'entreprise et avoir une incidence sur les ventes. L'objectif ultime de Peugeot était de remporter les 24 Heures du Mans. Nous avons changé beaucoup de choses sur la voiture et Todt avait organisé un énorme programme d'essais, incluant plusieurs séances de 36 heures sur le circuit Paul Ricard pendant l'hiver. C'est ce qui donna une voiture fiable, prête à gagner au Mans et à remporter le Championnat du monde.

Néanmoins, même les plans les mieux préparés peuvent échouer. Alors que ma voiture, pilotée par Derek Warwick, Yannick Dalmas et Mark Blundell, pointait en tête le dimanche matin, elle rencontra un problème électrique entraînant des coupures moteur. La voiture était alors dans la ligne droite des Hunaudières, très loin des stands. Todt décida immédiatement de réunir tous les responsables du moteur et de l'électronique pour trouver une solution.

On me demanda très calmement d'expliquer à Derek comment maintenir la voiture en route, en remettant le contact à chaque fois que le problème se produisait jusqu'à ce qu'il parvienne à rentrer au stand. Toujours aussi calmement, les mécaniciens changèrent quelques pièces, dont la batterie, et la voiture reprit la piste pour s'imposer. La pression, surtout quand nous ne savions pas si le starter allait fonctionner, était intense, mais je dois reconnaître que j'étais impressionné par la manière dont la situation avait été gérée.

Le problème, tel que je le vois, c'est que les équipes sont aujourd'hui très grandes, avec de nombreux ingénieurs qui couvrent seulement un aspect du fonctionnement de la voiture. Il faut donc une bonne coordination et communication pour éviter de prendre une mauvaise décision. Mais ces décisions doivent aussi être prises rapidement. Après tout, prendre une décision et s'y tenir est souvent mieux que de ne pas prendre de décision du tout.

J'ai un bon exemple, qui remonte à plusieurs années, lors d'essais à Jerez. Je n'étais pas impliqué dans le roulage de la voiture mais j'avais assisté à une scène embarrassante où l'ingénieur de test attendait une réponse d'un ou plusieurs autres ingénieurs, installés dans le camion support pour observer les données. Le pilote, toujours dans la voiture, en avait assez de ne pas savoir quoi faire ou quelle décision prendre, et il était sur le point de s'en aller.

Toto Wolff et Christian Horner, deux styles différents.

Toto Wolff et Christian Horner, deux styles différents.

Les deux patrons de Red Bull et Mercedes respirent la force, dans le style de Dennis. Pour un observateur, l'équipe Red Bull rayonne de confiance. Ça ne peut venir que d'en haut, et au fait d'avoir des membres expérimentés aux bons postes. Horner peut s'attirer les critiques de certains en raison de son franc-parler, mais il fait preuve de calme lorsqu'il est interrogé par les médias, même en direct pendant une séance. Ça donnera toujours confiance aux membres de l'écurie.

Chez Mercedes, Wolff a mené l'équipe à sept doublés consécutifs au championnat, du jamais vu dans l'Histoire de la F1, mieux que la domination de Ferrari au début du siècle. Mais il est intéressant de remarquer qu'il a un tempérament plus fougueux que Horner. On le voit souvent agiter les bras ou taper du poing quand les choses ne vont pas dans son sens. La capacité à motiver et inciter les troupes à réagir dans l'adversité est une qualité importante, et Hamilton a remporté deux courses depuis sa disqualification d'Interlagos. Mais une approche équilibrée de la part d'un directeur d'équipe donne généralement les meilleurs résultats. Ce sera donc un défi pour les deux écuries que celui de garder leurs émotions sous contrôle à l'heure de jouer le titre.

Bien sûr, les mécaniciens sont peut-être ceux qui ressentent la plus forte pression, particulièrement depuis la directive technique de la FIA qui a supprimé des éléments d'automatisation lors des arrêts au stand. Pour être compétitive, une équipe doit changer les quatre pneus en moins de trois secondes et sans commettre d'erreur. On se souvient que l'arrêt raté de Verstappen à Monza l'avait précipité dans un duel roue contre roue face à Hamilton, qui s'était soldé par un accrochage. Peut-on imaginer qu'un écrou de roue défaillant entraîne l'abandon de l'un des prétendants au titre et scelle le sort de la saison ? Ça, c'est de la pression…

 

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