Interview

L'acteur qui a contribué aux sept titres consécutifs de Mercedes

Mercedes règne en maître sur la Formule 1 depuis le début de l'ère hybride, et c'est en partie grâce à Petronas.

Valtteri Bottas, Mercedes W12

Valtteri Bottas, Mercedes W12

Steve Etherington / Motorsport Images

Si Petronas a longtemps été un partenaire majeur de l'écurie Sauber, c'est aux côtés de Mercedes qu'évolue la marque malaisienne depuis son retour en Formule 1 en tant que constructeur à part entière, en 2010. Et depuis l'avènement des unités de puissance turbo hybrides il y a sept ans, un succès sans précédent est au rendez-vous : sept titres mondiaux chez les pilotes comme chez les constructeurs, 112 pole positions, 105 victoires et 211 podiums, sans compter les performances réalisées par les équipes clientes.

Les carburants et lubrifiants fournis par Petronas jouent forcément un rôle dans ces résultats ; après tout, c'est l'unité de puissance qui faisait la plus grande différence en matière de performance lorsque la nouvelle réglementation moteur est entrée en vigueur – avec un tel avantage pour Mercedes que Toto Wolff ne voulait pas être trop loin devant !

"Bien sûr, le challenge était de réduire la taille du groupe propulseur [par rapport aux V8 atmosphériques]", analyse Andrea Dolfi, directeur R&D des solutions technologiques chez Petronas. "De plus, ce n'était plus un simple moteur à combustion interne : l'unité de puissance, c'est vraiment la combinaison d'un moteur à combustion interne, d'un MGU-H et d'un MGU-K comme systèmes de récupération d'énergie. Sans oublier le turbo qui permet de passer d'un V8 à un V6 et d'un 2,4l à un 1,6l. Nous avons beaucoup modifié la stratégie de gestion de la température, de combustion et de lubrification."

"Avec une approche holistique, sans être timide, parmi les trois organisations – HPP [High Performance Powertrains, le département moteur de Mercedes], MGP [l'écurie Mercedes] et Petronas – nous avons vraiment trouvé la meilleure combinaison en matière de performance et de fiabilité. N'oublions pas : on peut être outrageusement rapide, mais si l'on ne dure pas, si l'on ne franchit pas la ligne d'arrivée, on n'a pas accompli grand-chose. Bien sûr, cette tendance n'était pas aussi stricte ou définie par le passé, mais la réglementation évolue pour faire de plus en plus avec moins : l'unité de puissance doit durer plus longtemps, les pièces doivent durer plus longtemps. Avec beaucoup de travail et un peu de chance, nous avons trouvé la bonne formule dès le début de l'ère V6."

Nico Rosberg, Mercedes F1 W05 Hybrid, devant Lewis Hamilton, Mercedes F1 W05

Ce n'était pourtant pas facile, en raison de la présence de ces deux systèmes de récupération d'énergie dans cette unité de puissance : le MGU-K (qui recouvre l'énergie cinétique du freinage) et le MGU-H (dont l'énergie provient de la turbine du turbocompresseur). "Ces pièces sont évidemment assez délicates à gérer en matière de lubrification, de gestion de l'énergie", précise Dolfi. "Ce sont des pièces avec des alliages spéciaux. La compatibilité des matériaux joue un rôle, surtout pour le MGU-K. Il y a donc beaucoup de choses à aborder, ce n'est pas du gâteau."

"Encore une fois, la fiabilité est la priorité : il faut s'assurer que la performance ne compromette pas le matériel. Parfois, on trouve quelque chose qui apporte une super performance, mais on ne peut pas le mettre en œuvre car le risque en matière de durabilité est trop important pour être pris. Avec le temps, avec l'expérience, nous avons quand même beaucoup de choses sous le coude que nous pouvons faire à l'avenir."

Petronas fournit son carburant et ses lubrifiants à toutes les écuries motorisées par Mercedes, dont Aston Martin, Williams et désormais McLaren. Les ingénieurs de l'entreprise malaisienne s'entretiennent régulièrement avec ceux de Mercedes High Performance Powertrains pour mener à bien leur tâche, mais pas forcément au quotidien.

"Même si je les aime bien, je ne voudrais pas leur parler tous les jours !" s'esclaffe Dolfi. "Cependant, nous avons une équipe intégrée qui est évidemment constituée de personnes de HPP, MGP et Petronas. Cette équipe principale se connaît depuis plus de dix ans, même si je n'en ai pris la responsabilité qu'en 2012 ou 2013. L'équipe principale n'a pas beaucoup changé, ce qui nous donne un avantage : nous savons exactement ce que nous voulons dire quand nous nous exprimons et nous essayons de trouver la meilleure solution."

Lewis Hamilton, Mercedes W12, Daniel Ricciardo, McLaren MCL35M

"Nous pouvons faire des réunions à deux ou en petit groupe à tout moment, et nous faisons des réunions mensuelles : tous les mois, nous nous rassemblons pour une demi-journée. Puis nous faisons des réunions trimestrielles, où nous nous rassemblons pour trois jours. Avant le COVID, nous en faisions une au circuit, le plus souvent à Monza ou à Singapour, ainsi qu'une réunion à Kuala Lumpur, une à Brackley et une à Brixworth [où sont basés Petronas, Mercedes AMG F1 et Mercedes HPP respectivement, ndlr]. Bien sûr, maintenant, c'est virtuel, mais la Formule 1 est un tapis roulant : elle ne s'arrête jamais, que ce soit pendant la saison ou l'intersaison."

La pandémie de COVID-19 n'empêche pas les techniciens de Petronas de se rendre sur les Grands Prix, intégrés à chacune des écuries en en portant la tenue, afin d'assurer le bon déroulement des opérations et éviter toute infraction. "Nous fournissons des services au circuit pour l'analyse du carburant et des lubrifiants", détaille Dolfi. "Le carburant, c'est principalement pour des raisons réglementaires, juste pour assurer que chaque bidon que nous utilisons, que nous fournissons à nos écuries clientes, soit en accord avec la réglementation de la FIA."

"De mauvaises choses peuvent se produire – on ne sait pas, et on ne veut pas de disqualification. Il peut y avoir une erreur humaine, une contamination, n'importe quel type de mauvais événement durant le transport. Puis nous analysons l'huile usée – l'huile de la boîte de vitesses, l'huile moteur, l'huile hydraulique, le liquide de refroidissement – pour voir quelles sont la fiabilité et la durabilité des pièces. Bien sûr, nous assurons ce service pour les équipes clientes également. Notre laboratoire analyse tous les échantillons des équipes clientes au circuit."

Stephanie Travers, ingénieur Petronas Mercedes AMG F1, et Lewis Hamilton, Mercedes AMG F1

Stephanie Travers (ingénieure Petronas) avec Lewis Hamilton (pilote Mercedes)

Au fil de cette quasi-décennie passée par Andrea Dolfi chez Petronas, le manufacturier a évidemment permis des gains de performance notables. "Vous seriez surpris de ce que cela peut être !" s'exclame-t-il. "Réfléchissez-y : le carburant est la première source d'énergie. L'énergie de la voiture ne vient pas de l'air – enfin, on utilise de l'oxygène, donc elle vient aussi de l'air, mais c'est la chimie du carburant qui est la source première d'énergie. Je suis chimiste, j'ai un doctorat en biophysique, il a donc fallu que j'obtienne certaines connaissances en ingénierie mécanique."

"Pour moi, le moteur n'est rien d'autre qu'un réacteur chimique, c'est ainsi que je le vois. Cette réaction doit être aussi efficiente que possible. Bien sûr, ce point de vue est très simplifié, mais cela a porté ses fruits en matière de résultats. Je ne veux pas tourner en dérision l'ingénierie mécanique, simplement je vois le moteur comme le réacteur chimique, et c'est ainsi que nous avons tant accompli. En matière de lubrification, la perte de friction est relativement importante pour une unité de puissance en quête de performance. Cependant, je le répète, la fiabilité est primordiale. Il faut donc trouver cet équilibre délicat entre aller plus vite et préserver le matériel. Voilà la science qu'apporte Petronas."

Peut-on désigner une avancée majeure réalisée sur cette période ? "C'est vraiment difficile – presque impossible – de vous répondre à cause de la confidentialité, à vrai dire." Dolfi ajoute toutefois : "Quand on voit le rythme, et les sept titres mondiaux consécutifs que nous sommes arrivés à remporter… Réaffirmons que notre contribution a été très conséquente."

Désormais, quid de l'avenir ? Dès l'an prochain, les unités de puissance devront utiliser du carburant E10, avec 10% d'éthanol, et les discussions sont en cours pour décider ce à quoi ressembleront les groupes propulseurs de la prochaine ère moteur, à partir de 2025. "Passer à un carburant complètement durable n'est pas facile, surtout si l'on veut conserver ce niveau de performance", souligne Dolfi. "Il faut qu'il soit durable non seulement du point de vue de l'environnement et des émissions mais aussi des finances. Il ne sert à rien de faire quelque chose de vert s'il faut des efforts énormes pour le réaliser."

"C'est comme de nos jours avec les accélérateurs de particules : bien sûr, on peut faire quelque chose comme ce que voulait réaliser l'alchimiste, transformer le plomb en or. Bien sûr, on peut bombarder le plomb avec un accélérateur de particules, on aura de l'or, mais on n'en aura pas beaucoup et ce sera radioactif à l'extrême ! Ça peut être fait, oui. Cela a-t-il du sens ? Pas vraiment. Le challenge en matière de durabilité est vraiment de trouver le compromis parfait en matière de performance, de coût et de disponibilité."

Bref, aura-t-on un biocarburant intégral en Formule 1 ? "C'est le plan. C'est l'objectif ambitieux, avoir en piste quelque chose d'écologique à près de 100%." Rendez-vous dans quatre ans !

Lance Stroll, Aston Martin AMR21, Lewis Hamilton, Mercedes W12

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