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Didier Pironi, celui qui devait être le premier Champion F1 français

Il y a 35 ans aujourd'hui, Didier Pironi se tuait accidentellement dans une course offshore. Retour sur la carrière d'un pilote à qui le titre mondial de Formule 1 semblait promis, avant qu'un destin tragique n'en décide autrement.

Didier Pironi, Ferrari 126CK

LAT Images

Didier Pironi était fait pour l'ère des Formule 1 à effet de sol. Sa bravoure était aussi illimitée que l'adhérence offerte par ces voitures. En réalité, il y avait bien une limite, mais elle était excessivement élevée. De plus, il savait constamment progresser, affinant d'année en année un talent brut. Était-il un génie absolu ? Non... Et pourtant, en 1982, il semblait voué à devenir le premier Champion du monde français de Formule 1. Jusqu'à ce que le destin – certains diront le karma – ne lui fasse perdre cette opportunité. 

Dans un contraste marqué avec son comportement généralement froid en dehors d'une voiture de course, Pironi sortait de sa voiture le visage violet, transpirant et apparemment épuisé. Ce n'était guère inhabituel du temps de l'effet de sol, à une époque où les écuries devaient utiliser des suspensions très résistantes pour maintenir la hauteur de caisse des voitures. Avec la montée d'adrénaline, Didier était capable d'effacer la fatigue provoquée par ces autos monstrueuses de brutalité et, comme Alan Jones, il pouvait amener une voiture à effet de sol proche d'une limite qu'il parvenait encore à ressentir malgré les engourdissements.

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Il se dit que Pironi serait peut-être devenu Champion du monde en 1981 s'il avait choisi de rester chez Ligier plutôt que de partir chez Ferrari. Au lieu de ça, son unique saison dans l'écurie de Guy Ligier, en 1980, fut celle qui confirma qu'il était un talent de premier plan. Coéquipier du solide, expérimenté et parfois très rapide Jacques Laffite, il y avait bien des jours où le plus jeune, alors dans sa troisième saison de F1, devait céder la place à son aîné. Mais dans ses meilleurs jours, Pironi était à un autre niveau. En fait, cette année-là il était à un autre niveau par rapport à presque tous les autres, exception faite de Gilles Villeneuve, qui pilotait alors la Ferrari 312T5, et des deux hommes en lutte pour le titre mondial, Alan Jones (Williams FW07B) et Nelson Piquet (Brabham BT49). 

Didier Pironi a remporté les 24 Heures du Mans 1978 sous les couleurs de Renault.

Didier Pironi a remporté les 24 Heures du Mans 1978 sous les couleurs de Renault.

Son talent était tel que s'il avait fait équipe avec Jones ou Piquet, on n'aurait pas voulu parier sur qui aurait émergé de facto comme le leader, car Didier semblait combiner les meilleurs traits de chacun : la détermination de Jones sur la longueur d'une course ainsi que son rythme, l'enthousiasme et le flair de Piquet. Si Ligier avait réussi à disposer d'une monoplace régulière en 1980, la lutte pour le titre aurait pu se faire à trois, mais ce n'était pas le chemin promis à l'équipe, y compris durant ses plus belles années. En 1979, sa JS11 avait remporté trois des cinq premiers Grands Prix et signé quatre pole positions, mais après le premier tiers de la saison elle avait perdu son avantage, n'ayant ni le rythme de Williams ni la régularité de Ferrari. En 1980, remplacer une Ferrari par une Brabham reviendrait à avoir une idée de ce à quoi Pironi était confronté avec la nouvelle voiture, la JS11/15. Son concepteur Gérard Ducarouge avait amélioré les propriétés aérodynamiques de la monoplace mais l'appui était tel qu'une pression croissante s'exerçait sur les éléments de suspension. 

Pironi connut aussi sont lot de malchance. Malgré l'altitude d'Interlagos qui donnait l'avantage aux voitures dotées d'un bloc turbo, Didier avait réussi à placer sa Ligier à moteur Cosworth en première ligne du Grand Prix du Brésil. Malheureusement en course, une crevaison l'avait contraint à chuter au quatrième rang. À Zolder il avait dominé, menant la course depuis le départ et s'imposant avec 47 secondes d'avance. C'était il y a quarante ans jour pour jour. Par la suite, tout espoir de faire de même à Monaco fut anéanti lorsque, après avoir signé la pole et dominé les trois quarts de la course, Pironi perdit un rapport de boîte avant de sortir de la piste au Casino, contraint à l'abandon. 

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La mésaventure aurait pu être réparée lors du Grand Prix à domicile de l'écurie, sur le Paul Ricard, mais Pironi n'était pas parvenu à y battre Jones. Signe de l'ampleur de son ambition, il avait dupé son coéquipier Jacques Laffite avant la course, lui disant que les pneus plus larges qu'il avait testés auparavant ne faisaient aucune différence. Laffite l'avait pris au mot avant de constater que les pilotes Williams ainsi que Pironi avaient opté pour ces gommes. Mécontent de la situation, Laffite avait terminé à une demi-minute de Jones et à 25 secondes de Pironi. 

Une semaine plus tard, c'était au tour de Pironi de faire la pole avant une nouvelle course qui aurait dû tourner à son avantage. Mais après avoir mené jusqu'au 19e tour, il se retrouva dernier suite à une crevaison et un tour au ralenti. Lancé dans une remontée vers la cinquième place, il signa un nouveau record du tour qui ne fut battu que trois ans plus tard par un plateau largement constitué de F1 à moteur turbo.  

Il y eut une nouvelle opportunité gâchée lors du dernier Grand Prix de la saison, à Montréal, où Pironi vola le départ. Ce n'était pas grand-chose lorsque l'on replace l'incident dans le contexte de l'époque, et l'on peut se demander si le fait de l'avoir pénalisé d'une minute n'était pas dû au fait qu'il puisse se mettre en travers des deux candidats au titre, Jones et Piquet. Bien que première à franchir la ligne avec 40 secondes d'avance sur la concurrence, la Ligier #25 fut ainsi classée troisième. 

Ce fut une conclusion insatisfaisante pour l'unique année que Pironi passa au sein de l'équipe française, mais il savait que cela n'aurait aucune incidence sur son avenir. Son pilotage brillant au Brésil, en début de saison, avait convaincu Enzo Ferrari qu'il avait le potentiel pour remplacer Jody Scheckter, et un accord fut trouvé durant l'été. Pironi n'avait pas prévenu Guy Ligier, celui-ci apprenant la nouvelle en lisant le magazine Autosport ! Néanmoins, la réflexion pragmatique de Didier était judicieuse. Profondément ambitieux et tout aussi perspicace, il estimait qu'il lui fallait une voiture dotée d'un turbo en 1981 et savait que la Scuderia, délaissant finalement le moteur atmosphérique flat-12, serait en mesure de concevoir un châssis à effet de sol. 

Deux années chez Tyrrell ont permis à Pironi de décrocher ses premier podiums et de se faire une réputation.

Deux années chez Tyrrell ont permis à Pironi de décrocher ses premier podiums et de se faire une réputation.

Comme ce fut le cas de Patrick Depailler chez Tyrrell en 1978, puis de Jacques Laffite chez Ligier en 1980, Pironi avait conscience qu'en rejoignant Ferrari, il entrait dans le sanctuaire d'un titulaire qui y était chéri, en la personne de Gilles Villeneuve. Mais il se sentait prêt à prouver sa valeur. Il n'était pas du genre à être intimidé par un tel environnement. 

Après avoir remporté le Volant Elf en 1972, Pironi avait décroché le titre 1974 en Formule Renault puis gagné le championnat Super Renault en 1976. En 1977, il fut battu par son compatriote et coéquipier René Arnoux en Formule 2, avant de revenir en F3 pour remporter la prestigieuse course annexe du Grand Prix de Monaco. C'est là qu'il avait tapé dans l'œil de Ken Tyrrell, dont l'équipe était sponsorisée par Elf. 

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Pour sa première saison, Pironi fut rarement au niveau de son coéquipier Patrick Depailler. Didier écouta les conseils du sage Oncle Ken – et ses réprimandes lorsqu'il pliait la voiture – pour récolter quelques points (attribués uniquement aux six premiers de chaque course à cette époque). La principale satisfaction de Pironi en 1978 fut sa victoire aux 24 Heures du Mans avec Renault, aux côtés de Jean-Pierre Jaussaud. Le constructeur français voulait alors enrôler le pilote de 26 ans dans son écurie de F1 pour 1979, mais aucune clause dans le contrat de deux ans entre Pironi et Tyrrell ne le permettait. 

Le refus de Ken Tyrrell de le laisser partir contraria Pironi mais n'affecta pas ses performances au volant de la Tyrrell 009, avec laquelle il décrocha ses deux premiers podiums tout en prenant progressivement l'ascendant sur son coéquipier Jean-Pierre Jarier. Prendre le dessus sur JPJ lui donna confiance au moment de rejoindre Ligier pour une troisième saison en F1 qui renforça encore cette assurance. 

La première victoire de Pironi, à Zolder en 1980 sous les couleurs de Ligier.

La première victoire de Pironi, à Zolder en 1980 sous les couleurs de Ligier.

Avec Villeneuve, c'était une tout autre affaire, et il ne fait aucun doute que la difficulté à dompter la Ferrari 126CK de 1981 amplifia l'écart entre les deux hommes. Pour la première fois de sa carrière en F1, Pironi disposait d'une voiture vraiment délicate, avec une latence au niveau du turbo et un châssis conçu par un ingénieur, Mauro Forghieri. À un moment où l'aéro devenait le facteur prédominant pour la compétitivité d'une voiture, ce n'était peut-être pas l'idéal. Harvey Postlethwaite, qui allait concevoir les Ferrari lors des six années suivantes, estima que la 126CK n'avait qu'un quart de l'appui aérodynamique dont disposait une Williams ou une Brabham. C'était sans doute exagéré, mais la voiture demeurait tout de même une bête sauvage. Villeneuve avait suffisamment de confiance pour la maîtriser, alors que Pironi, ne souhaitant pas contrarier son nouvel employeur, était beaucoup plus circonspect. 

En 1981, l'ascension de Pironi ralentit en raison d'une Ferrari 126CK indomptable.

En 1981, l'ascension de Pironi ralentit en raison d'une Ferrari 126CK indomptable.

Ce qui ne veut pas dire que c'était sans espoir : loin de là. À cinq reprises – bien que trois d'entre elles impliquent des circonstances particulières – Didier devança Gilles en qualifications lors des 15 épreuves de la saison 1981. En course, il impressionna à Imola, Zolder et Silverstone. Mais à côté de ça, il y avait des week-ends comme Monaco, où il s'accidenta en essayant de rivaliser avec Villeneuve en qualifications puis, parti 17e sur la grille, céda un tour à son coéquipier victorieux. Gilles termina la saison avec deux victoires, à la septième place du championnat, tandis que Pironi signa son meilleur résultat lors de ce fameux week-end monégasque en prenant la quatrième position. 

La 126C2 conçue par Postelthwaite pour 1982 constituait une grosse amélioration par rapport à sa devancière, bien que pas encore au niveau d'une Renault tout en étant plus fiable, et pas aussi agile que les (trop) légères Brabham et Williams à moteur Cosworth. Pironi et Villeneuve étaient encouragés par les énormes progrès du département châssis et savaient que Postelthwaite allait continuellement faire évoluer sa machine au fil de la saison. 

Un terrible accident en essais sur le Paul Ricard, dû à une défaillance de suspension, aurait pu faire perdre confiance à Pironi, qui donnait encore le sentiment de ne pas être au niveau de son coéquipier. Mais le tournant allait survenir lors du quatrième Grand Prix, à Imola. Pas en qualifications, où Villeneuve était plus d'une seconde au tour plus rapide, mais lorsque Didier leurra son coéquipier en course en lui faisant croire qu'ils ne faisaient que jouer pour le plaisir du public. 

Chez Ferrari et jusqu'à Imola, Villeneuve voyait Pironi comme un ami.

Chez Ferrari et jusqu'à Imola, Villeneuve voyait Pironi comme un ami.

L'accord en vigueur chez Ferrari était de ralentir et de maintenir les positions une fois que la première et la deuxième place paraissaient assurées. Ce cas de figure se présenta lorsque Renault capitula et que Villeneuve devançait Pironi. Compte tenu des inquiétudes de Ferrari à gérer le carburant sur ce circuit très gourmand, Villeneuve baissa la cadence. Il n'avait pas de problème avec l'idée de voir Didier faire semblant de se battre avec lui pour le plaisir de la foule, mais il s'alarma en voyant le Français augmenter le rythme, l'obligeant à faire de même pour récupérer la première place et ralentir à nouveau. En entrant dans le dernier tour, Gilles était de retour en tête et presque en roue libre lorsque son coéquipier lui reprit la tête au virage de Tosa sans jamais la lui rendre. 

Pironi devance Villeneuve à Imola en 1982.

Pironi devance Villeneuve à Imola en 1982.

Villeneuve était furieux, Pironi clama publiquement son innocence, et lors des qualifications du Grand Prix suivant à Zolder, Gilles se tua sans jamais avoir pardonné un homme qu'il considérait auparavant comme son ami (en dépit des avertissements de sa femme Joann, selon qui Didier était quelqu'un de politique). Ferrari déclara forfait pour le Grand prix de Belgique avant de faire son retour à Monaco avec une seule voiture pour Pironi. Il se retrouvait désormais sans la présence de quelqu'un de plus rapide dans la voiture sœur, avant que Villeneuve ne soit finalement remplacé par Patrick Tambay

Dans les derniers instants du Grand Prix de Monaco, Didier étaient en lice pour la victoire mais il tomba en panne d'essence à la sortie du tunnel. Il fut classé deuxième puis enchaîna avec un nouveau podium à Détroit. Au Canada, il signa la pole position mais cala au départ : l'Osella du débutant Riccardo Paletti heurta la Ferrari, provoquant la mort du jeune Italien. 

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Pironi, qui avait tenté d'aider le médecin de la F1, Sid Watkins, à secourir Paletti, allait maîtriser ses émotions pour prendre le deuxième départ au volant d'un mulet qui nécessita quelques ajustements à la mi-course, lui faisant perdre trois tours et toute possibilité d'inscrire des points. Mais le Français était incroyablement rapide, réalisa le meilleur tour en course, et lors de l'épreuve suivante il s'imposa facilement à Zandvoort. 

Puis il y eut les essais libres à Hockenheim, où le ciel tomba sur la tête de Ferrari pour la seconde fois en quatre mois. Sur le sec, Pironi avait signé ce qui allait être la pole position, mais lors d'une séance sous la pluie il testa les pneus Goodyear. En arrivant vers le Stadium, il pensa que la Williams de Derek Daly s'écartait devant lui pour le laisser passer, mais l'Irlandais évitait en fait les projections de la Renault d'Alain Prost. D'une manière rappelant l'accident fatal à Villeneuve à Zolder avec Jochen Mass, Pironi heurta de plein fouet l'arrière de la voiture de Prost et s'envola avant d'atterrir violemment, subissant de graves blessures aux jambes. 

Illustration de la Ferrari 126C2 de Didier Pironi (1982).

Illustration de la Ferrari 126C2 de Didier Pironi (1982).

Enzo Ferrari promit à Pironi, alors âgé de 30 ans, qu'un baquet l'attendrait dès qu'il serait prêt à reprendre la compétition. Mais 33 opérations plus tard, ce n'était toujours pas le cas. Quatre ans après son accident, Pironi réalisa des essais pour AGS et Ligier et, bien qu'affichant tous les signes d'un pilote légitimement rouillé, il envisageait de faire son retour en F1 avec l'équipe Larrousse-Calmels. Finalement, il décida de se consacrer aux courses offshore, jusqu'à y perdre la vie dans un accident terrible en août 1987, au large de l'île de Wight.

Lorsqu'il est question d'établir une liste des plus grands pilotes de F1 n'ayant jamais été Champion du monde, Pironi est souvent oublié alors qu'il semblait évident qu'il allait atteindre ce but ultime en 1982. Peut-être est-ce parce qu'il n'a remporté que trois Grands Prix et signé quatre pole positions, mais il ne disputait alors que sa cinquième saison en F1. Peut-être est-ce parce qu'il n'a pas été à la hauteur des performances de Villeneuve... mais qui le serait ?

Après la mort de Gilles, il y eut de nombreux pilotes d'un niveau équivalent au sommet de la F1, bien qu'ayant des qualités différentes : Alain Prost, Niki Lauda, René Arnoux, Keke Rosberg et Nelson Piquet. Il faudrait être courageux pour laisser entendre que Didier Pironi n'avait pas sa place parmi eux.

Profitant de l'évolution de la Ferrari 126C2, Pironi se dirigeait vers le titre en 1982...

Profitant de l'évolution de la Ferrari 126C2, Pironi se dirigeait vers le titre en 1982...

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