Pirro évoque les "insultes" et la "blessure" après l'affaire Vettel

Emanuele Pirro occupera à nouveau le rôle de commissaire-pilote lors du Grand Prix de Belgique de F1. L'ancien pilote, vainqueur au Mans, retrouvera cette fonction pour la première fois depuis Montréal, où avait éclaté la polémique sur la pénalité infligée à Sebastian Vettel.

Emanuele Pirro, commissaire FIA

Photo de: Alexander Trienitz

Ce week-end, Emanuele Pirro revient aux affaires. Quintuple vainqueur des 24 Heures du Mans et auteur de 37 départs en Formule 1, cette figure du sport automobile mondial aborde pourtant le Grand Prix de Belgique avec une certaine tension, mais pas forcément liée à ce que l'on peut croire : "C'est la première fois depuis le Canada, et plusieurs choses ont changé sur la manière d'interpréter certains épisodes, alors je ne suis pas très détendu", a-t-il confié dans un long entretien pour FormulaPassion.it. "Mais je suis en paix avec ma conscience et j'avance. Tant que j'aurai la sérénité nécessaire pour faire mon devoir, je continuerai, sinon je quitterai cette fonction."

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Cette sérénité, elle a sans doute durement été mise à l'épreuve au mois de juin dernier. L'Italien avait été bien malgré lui l'un des acteurs de la polémique qui avait suivi la course du Grand Prix du Canada 2019. Officiant alors comme commissaire-pilote, aux côtés des autres commissaires de course, Pirro avait participé à la décision rendue sur le cas Vettel. Pour rappel, dans la première chicane du 48e tour de course, alors qu'il menait de moins d'une seconde face à Lewis Hamilton, l'Allemand avait commis une erreur l'obligeant à couper dans l'herbe. À son retour en piste, il s'est trouvé sur la trajectoire de la Mercedes qui tentait de le dépasser, forçant le quintuple Champion du monde à freiner et à sortir de piste pour l'éviter.

Chacun se sera fait sa propre opinion sur l'action en elle-même, mais en fin de compte, les commissaires sont les seuls habilités à trancher en vertu du règlement et en fonction des faits. Et ils avaient à l'époque décidé d'infliger cinq secondes de pénalité à la Ferrari #5, jugeant Vettel coupable d'un retour en piste dangereux. Le pilote avait fait part de sa colère à la radio, estimant s'être fait "voler" la victoire, mais aussi en dehors du cockpit, avec l'épisode désormais célèbre de l'échange des panneaux dans le parc fermé. La Scuderia l'avait soutenu en demandant la révision de cette décision, mais celle-ci avait été rejetée deux semaines plus tard, devant la faiblesse des arguments avancés par l'écurie.

Une "blessure" qui ne "cicatrisera" peut-être pas

Pour Pirro, que la réalisation internationale avait cru bon de mettre en avant pendant la course, en compagnie de ses homologues, au moment où la décision se prenait, la suite a malheureusement été marquée par de nombreuses insultes et menaces provenant de supporters mécontents. Nombreux, également, ont été les pilotes actuels et anciens à se prononcer, parfois de manière véhémente, contre le jugement rendu, certains ne s'appuyant sur rien d'autre que leur vision du monde de la compétition et faisant fi du reste.

Pourtant, quand il lui est demandé s'il serait prêt à reprendre cette décision, Pirro assure que ce serait le cas : "J'ai basé non seulement ma carrière auto mais aussi ma vie en elle-même sur le fait de me remettre en question et je n'ai jamais eu le moindre doute quant au fait que la pénalité était juste. Si je l'avais eu, je ne l'aurais pas attribuée. En y repensant toute la nuit qui a suivi le GP du Canada, j'en suis toujours arrivé à la conclusion que la pénalité de Vettel était méritée. Heureusement, elle n'a jamais été remise en question [par les instances]."

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Toutefois, il ne cache pas que sur le plan personnel, ce qu'il a vécu ensuite l'a "changé" : "Le président de la fédération [Jean Todt] m'a appelé [le lendemain du GP] pour savoir comment j'allais et pour témoigner de son soutien et de sa solidarité. À ce moment-là, les insultes étaient déjà assez connues et divulguées. La perception de ce qui s'est passé a été tellement négative que dans cet épisode c'est un peu toute la Formule 1 qui a perdu, y compris Mercedes, parce que malheureusement beaucoup n'ont pas compris ma décision et celle des trois autres commissaires qui étaient avec moi. Alors, étant donné que la santé du sport auto est ce qui me tient le plus à cœur, je me suis dit : 'Si je revenais en arrière, je ne le referais pas. Parce que je n'ai pas rendu service au sport auto. J'ai rendu service à la justice du sport, mais pas à l'image des courses'. Je l'ai dit au président, et Todt m'a fait une réponse qui m'a fait chaud au cœur : 'Ne vois pas les choses comme ça, car le plus important, c'est de faire ce qui est juste. Même si cela peut coûter cher. Il faut toujours être en paix avec sa conscience. Rappelle-toi : la meilleure chose que l'on puisse faire, c'est ce qui est juste'. Ce sont des mots qui m'ont touché. Bien entendu, même si beaucoup de temps a passé, je ne peux pas dire que je repense à ces insultes avec le sourire."

"Disons que d'une certaine manière cet épisode m'a un peu changé la vie. La blessure qui s'est ouverte, je ne sais pas si elle cicatrisera un jour. Mais ce qui m'a le plus déçu durant l'après-Canada, ce sont les insultes. Je ne les justifie pas et ne les comprends pas. À mon sens, il faut maintenir un certain niveau d'éducation, même face aux pires personnes que l'on pense avoir devant soi. Un manque d'éducation de ce niveau n'est jamais justifié. Je crois que tous ceux qui ont écrit ces choses-là pensaient vraiment que cette décision était à côté de la plaque ou que j'étais une personne soit de mauvaise foi soit incompétente, sinon les deux."

"Ce que je peux dire avec beaucoup de force c'est que je suis une personne intègre. Quant à savoir si je suis compétent ou non, ce n'est pas à moi de le dire", lance-t-il, espérant malgré tout avoir fait ses preuves tout au long de sa vie et aussi dans des fonctions qu'il occupe toujours aujourd'hui au sein de la Commission des pilotes de la FIA ou de la Commission de sécurité notamment. "Ma vie parle pour moi. La crédibilité que j'ai et toutes les fonctions que j'occupe."

"Un bon arbitre ne doit pas forcément être un bon footballeur"

Aussi, il tient à rappeler une vérité fondamentale : si sa carrière de pilote de Formule 1 a été modeste sur le plan des résultats, il ne s'agit pas pour autant d'un critère pour juger de sa compétence à connaître et appliquer un règlement. "Si je suis le pilote qui a le plus de GP en tant que commissaire, alors que d'anciens Champions du monde n'ont plus été invités, cela doit vouloir dire quelque chose… Un bon arbitre ou un bon entraîneur ne doit pas forcément être un bon footballeur. Pour être un bon commissaire, il faut être quelqu'un qui a fait et vu beaucoup de choses, pas nécessairement quelqu'un qui a beaucoup gagné."

Il s'en prend notamment à l'ancien pilote Mark Webber, qui avait publiquement remis en cause sa qualité au moment de la décision. "J'ai par exemple été dérangé par un tweet de Mark Webber dans lequel il disait : 'Comment fait quelqu'un qui n'a jamais été un top pilote en Formule 1 pour prendre une décision de ce genre ?' À mon avis, en dehors du manque de respect du point de vue sportif – mais ça, c'est son choix –, c'est une équation qui ne tient pas."

Il ne manque également pas de souligner le rôle de certains médias dans l'embrasement de la situation et le pourrissement du débat. "Ce qui m'a vraiment déçu, et qui d'une certaine manière m'a ouvert les yeux, c'est le peu de compétence et la superficialité avec laquelle une partie des médias a décrit l'affaire, en rapportant des faits différents de la réalité. Et sans même vouloir mieux comprendre, à froid, calmement, ce qu'il y avait derrière ma décision et celle des trois autres commissaires."

"C'est même venu de gens qui ont beaucoup d'auditeurs et de lecteurs. Cela m'a fait mal, mais pire encore, j'en ai été navré pour le sport auto, qui me tient plus à cœur que moi-même. Pour moi, la substance a toujours été plus importante que l'apparence. Je n'ai pas basé ma vie sur la recherche d'approbation, mais sur la correction et la qualité du comportement."

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A-t-il quelque chose à dire à ces gens ? "À ceux qui sont de mauvaise foi, qui, dans un style disons footballistique, ont écrit et parlé en cherchant seulement la polémique ou l'approbation facile et évidente de la part des fans de Ferrari, je ne dis absolument rien. Parce que ce que j'aurais à dire, ils ne voudraient pas l'entendre. À ceux qui ont écrit ou dit ce qu'ils ont dit parce qu'ils n'en savaient pas plus, je dirais certaines choses. Premièrement, tout le monde a mon numéro de téléphone et tout le monde peut me joindre. S'il y a quelque chose qu'ils pensent ne pas avoir compris ou qu'ils veulent approfondir, ils peuvent m'appeler. Ainsi, ils ne se limitent pas à faire des commentaires en se basant sur des impressions superficielles, mais en approfondissant les questions. J'ai passé de nombreuses heures à répondre à chacun des inconnus qui, avec éducation, m'ont demandé des explications."

Avec Léna Buffa 

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