Opinion

Pourquoi Hamilton soulève une contradiction fondamentale des règles aéro

Lewis Hamilton estime que les changements aéro 2021 ont été faits pour "freiner" Mercedes. Si ces propos forts risquent surtout de susciter des réactions négatives après sept ans de domination, ils permettent de rappeler une contradiction fondamentale entre les modifications imposées aux écuries et leur justification initiale...

Lewis Hamilton, Mercedes W12

Photo de: Charles Coates / Motorsport Images

Quand vous sortez d'une domination de sept années, lors de laquelle vous avez remporté six de vos sept titres mondiaux, 73 de vos 95 victoires et signé 67 de vos 98 poles, et que vous commencez à dire que l'on essaie de vous "freiner" en utilisant le règlement, vous allez rarement trouver des alliés, au contraire. C'est la rançon du succès qui dure.

Toutefois, il y a dans les propos tenus par Lewis Hamilton au sortir des qualifications du Grand Prix de Bahreïn 2021, que l'on partage son avis ou non, la matrice d'une question qui n'a que trop peu été posée depuis quelques mois alors même qu'une double contradiction fondamentale est progressivement, mais sans faire beaucoup de bruit, apparue : pourquoi a-t-on modifié le règlement aéro entre 2020 et 2021?

L'interrogation peut tout à fait paraître étonnante car la réponse a été donnée il y a déjà longtemps et unanimement acceptée. C'est vrai, mais plongeons-nous tout de même dans ses origines avant de remonter à la surface.

Sécurité !

Retour en mai 2020 : face aux conséquences économiques prévisibles de la crise sanitaire, la Formule 1 annonce une série de mesures historiques. Parmi elles : report de la réglementation technique 2021 à 2022, abaissement du futur plafond de dépenses, gel d'un certain nombre de pièces des voitures entre 2020 et 2021 ou encore gel du développement des unités de puissance.

Parmi l'ensemble des règles annoncées, passant dans un premier temps inaperçue dans la masse de nouveautés majeures évoquées, celle qui vise à réduire la taille et simplifier les fonds plats des monoplaces version 2021. L'objectif est alors de casser l'augmentation naturelle de la charge aéro sur les pneus 2019 (eux aussi annoncés maintenus en 2021) pour éviter de courir des risques sur le plan de la sécurité. Les estimations tablent sur une réduction du temps au tour d'environ 0,5 seconde.

Le but est louable et se double d'un autre objectif, qui l'est tout autant : éviter à Pirelli d'engager des dépenses supplémentaires pour refaire une nouvelle gamme de pneus 13 pouces, alors même que le manufacturier a déjà beaucoup investi en vue du passage aux pneus 18 pouces reporté lui aussi à 2022.

Août 2020 : la saison a finalement été lancée et plusieurs problèmes de pneus apparaissent au Grand Prix de Grande-Bretagne, quatrième manche de la campagne. Les instances voient à raison dans cette situation inquiétante la validation des craintes sur les pneus 2019 qui ont justifié la découpe du fond plat, et estiment qu'il faut aller plus loin. À la mi-août, de nouvelles modifications sont décidées au niveau des écopes de frein arrière et du diffuseur. C'est à ce moment-là que Nikolas Tombazis, directeur technique monoplace de la FIA, annonce le chiffre référence, à savoir une réduction d'appui "d'environ 10%".

Protéger et maintenir

Mais le plus éclairant étaient ses propos sur la justification de ces changements, fin août. "Je voudrais juste souligner que la sécurité n'implique en aucun cas que les pneus ne sont pas sûrs. La voiture et les pneus sont une unité, une seule unité qui travaille de concert. Nous aurons les pneus l'année prochaine pour la troisième année consécutive, ce qui est une anomalie, bien sûr, en raison de la crise COVID et du programme de course très intense que nous avons maintenant, qui a rendu tout essai impossible pour les nouvelles constructions. Et en attendant, les équipes aérodynamiques de chaque écurie de F1 travaillent dur pour rendre les voitures plus compétitives, et trouvent de l'appui."

"C'est donc la raison de notre intervention, et nous pensons que cela va plus ou moins faire en sorte que les voitures de l'année prochaine aient légèrement moins d'appui que cette année, mais pas beaucoup moins après tout le développement. Et donc, ce sera un peu plus sûr que cette année, mais certainement beaucoup plus sûr que si nous nous étions abstenus de toute intervention."

Cette exigence de sûreté est aussi mise en avant dans une lettre envoyée par la FIA aux écuries en août, et qui a surtout fait parler parce qu'elle annonçait la fin des modes moteurs de qualifications (mais qui donc pouvait bien être visé par cette nouvelle règle, d'ailleurs ?). Y était indiqué : "Nous sommes reconnaissants du soutien que nous avons reçu de Pirelli en tant que discipline et nous notons que nous leur avons demandé de continuer à fournir les mêmes spécifications de pneus pour une troisième saison consécutive."

Début septembre, je m'étonnais d'ailleurs dans un article d'opinion du "jeu dangereux" joué par les instances en voulant à tout prix maintenir des pneus vieux de trois ans alors même que Pirelli avait publiquement fait part de sa capacité à agir et à proposer un produit plus robuste.

Je ne résiste d'ailleurs pas au plaisir coupable de citer un passage de cette chronique : "On insistera sur le fait que malgré le contexte économique, Pirelli souhaitait (et souhaite toujours) travailler sur des pneus 13 pouces modifiés, sans doute conscient du risque en termes d'image de la reproduction d'une situation similaire à celle de Silverstone."

"Dernier paramètre à prendre en compte : la réduction de l'appui est également un moyen de réduire l'avantage des monoplaces qui en ont beaucoup. D'aucuns ont vu dans l'interdiction des modes moteur qualifs une mesure "anti-Mercedes" mais insister sur la réduction de l'appui, alors que la W11 est sans doute une des voitures les plus chargées aérodynamiquement, pourrait ne pas sembler totalement fortuit..."

Et la justification s'envole...

Les Ferrari équipées de pneus Pirelli prototypes lors des EL2 du GP du Portugal

Les Ferrari équipées de pneus Pirelli prototypes lors des EL2 du GP du Portugal

Au même moment, Pirelli annonçait d'ailleurs de futurs tests, lors des Grands Prix suivants, de pneus prototypes, avec l'aval de la FIA. À partir de là, tout s'est brusquement accéléré : alors qu'entre mai et août, il était évident et clairement établi que les instances souhaitaient le maintien des pneus 2019, base sur laquelle se fondaient les modifications aéro annoncées, la firme de Milan a conçu, puis testé ses pneus proto sur une seule séance avant d'arrêter la construction retenue fin octobre. Un dernier galop d'essai fut organisé au Grand Prix de Bahreïn, début décembre.

Bien entendu, il était bien trop tard pour faire machine arrière sur les changements aéro annoncés depuis mai et pour lesquels les écuries avaient déjà travaillé et dépensé de l'argent. Mais voilà : en quelques semaines entre septembre et novembre, la découpe du fond plat et les autres changements avaient en fait, dans une certaine indifférence, perdu leurs justifications d'origine. D'une intersaison qui devait être celle d'un gel des châssis et d'un maintien des pneus 2019 pour des raisons économiques, il y avait finalement un changement aéro important car s'attaquant à des zones fondamentales des monoplaces actuelles et de nouveaux pneus.

La question des pneus n'est en effet qu'une des deux branches de la problématique, mais nous ferons court sur la seconde. Par leur positionnement sur la voiture et ce qu'ils signifiaient en termes de cohérence globale des concepts aéro des F1, les changements n'ont pas été perçus comme mineurs (certains responsables d'équipe avaient alerté sur cette question dès l'été 2020) et n'ont donc pas été indolores financièrement.

Certes, une partie des voitures a été maintenue entre 2020 et 2021, mais pour pouvoir être compétitif, il était tout bonnement impossible de faire l'impasse sur la meilleure intégration possible de ces modifications dans leur concept global. Et le travail aéro n'entrait pas dans les restrictions prévues par le gel... Pour faire simple : dans une période de tension économique et de gel, les équipes ont payé pour intégrer des changements aéro dont le motif (économique lui aussi) a fini par s'évaporer du simple fait de l'introduction de nouveaux pneus.

Pas question de dire, toutefois, que les introductions des pneus et/ou des modifications aéro ne sont pas justifiées en elles-mêmes ou de concert, mais le fait qu'elles interviennent en parallèle ne correspond tout simplement pas à ce qui a été présenté.

Peu après les tests hivernaux de Bahreïn, Mario Isola, le directeur de la compétition de Pirelli, constatant que les écuries avaient déjà retrouvé une partie de l'appui perdu, avait évoqué ces questions. Étonnamment, il avait déclaré : "Je suis également heureux que nous ayons décidé l'année dernière, avec la FIA, la F1 et les équipes, de travailler dans deux directions parallèles : l'une pour réduire l'appui sur les voitures et l'autre pour trouver une structure [de pneus] capable de faire face aux charges supplémentaires qui vont probablement se produire dans la deuxième partie de la saison." Au mieux, au vu de la chronologie de 2020, ces directions ont pourtant été abordées l'une après l'autre, et non de front...

Ne favoriser ou défavoriser personne ?

Alors, en fin de compte, pourquoi a-t-on modifié le règlement aéro entre 2020 et 2021 ?

Pas pour donner l'avantage à une philosophie de conception sur une autre, a-t-on assuré du côté du directeur technique de la Formule 1, Pat Symonds, qui déclarait en août : "Je pense que nous avons fait un travail très approfondi sur ce sujet. Nous avons fait beaucoup de simulations. Nous avons examiné beaucoup d'options différentes, pas seulement les quatre, y compris le découpage du fond plat, qui ont finalement été sélectionnées."

"Nous les avons étudiées dans plusieurs situations. Il ne s'agit donc pas simplement de l'appui en ligne droite. Nous avons examiné les conditions en virage, nous avons examiné différentes hauteurs de caisse. Et par-dessus tout, nous avons, en connaissance de ce que nous appelons les différentes philosophies de conception aérodynamique, essayé de sélectionner des éléments qui ne favoriseront ou ne désavantageront aucune équipe en particulier. Je pense que c'est un aspect assez important."

Pas sûr que Lewis Hamilton soit totalement d'accord.

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