Analyse

Pourquoi l'objectif de Hamilton n'est pas d'être le plus grand

Lewis Hamilton a battu le record de victoires de Michael Schumacher et égalé ses sept titres mondiaux de Formule 1 en 2020. Mais comme il l'explique à Motorsport.com dans un entretien exclusif, il est plus important pour lui d'apporter le changement que de partir en quête de records.

Le vainqueur Lewis Hamilton, Mercedes-AMG F1, soulève son trophée sur le podium

Photo de: Steve Etherington / Motorsport Images

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Se garant dans le parc fermé après avoir remporté le Grand Prix de l'Eifel, Lewis Hamilton s'est pris la tête dans les mains. Au volant d'une voiture dont la couleur promouvait une cause plus chère à son cœur que le record qu'il venait d'égaler, le pilote Mercedes venait d'atteindre la marque de 91 victoires de Michael Schumacher.

Voilà huit ans que Hamilton a remplacé Schumacher chez Mercedes, et il a aussi égalé au Grand Prix de Turquie les sept titres mondiaux du Baron Rouge. Le pilote britannique et la marque à l'étoile continuent de réécrire la définition du succès en F1 : ensemble, ils ont remporté 74 victoires, deux de plus que Schumacher avec Ferrari, et obtenu six titres mondiaux – ainsi qu'un autre pour la structure de Brackley avec Nico Rosberg en 2016. Actuellement, Mercedes est irrésistible.

Le Hamilton de 35 ans, en revanche, est différent de celui qui a rejoint Mercedes à 27 ans. Il s'est redécouvert au sein de cette équipe, avec davantage de liberté pour exprimer sa personnalité. Et quitte à verser dans les clichés, il est simplement un pilote plus complet qu'en 2013. L'ancien Hamilton a remporté deux titres consécutifs au début de l'ère hybride, mais a ensuite subi une douloureuse défaite face à Rosberg, ayant perdu des points notamment sur la fiabilité mais aussi parfois à cause de mauvais départs, là où son rival excellait.

World Champion Nico Rosberg, Mercedes AMG F1 shakes hands with team mate and race winner Lewis Hamilton, Mercedes AMG F1

Hamilton a donc dû revoir son approche et tenter de devenir irréprochable dans tous les domaines. Des membres de l'écurie révèlent que depuis ce titre perdu, Hamilton a travaillé pour ne rien laisser au hasard quant à ses performances, notamment afin de se protéger d'éventuels problèmes de fiabilité – avec succès par exemple lorsqu'il a subi une crevaison au Grand Prix de Grande-Bretagne 2020 et gagné sur trois roues.

"Je fais vraiment partie des gens qui pensent que les défaites rendent plus forts que les victoires", répond Hamilton lorsque Motorsport.com lui demande s'il est motivé par les défaites, citant cet échec face à Rosberg. "Je dirais vraiment que les courses les plus dures sont celles dont on apprend le plus. Et ce n'est pas que du côté du pilote, c'est aussi avec tous les ingénieurs et les mécaniciens – nous ressentons [la défaite] pendant des jours. Et cela motive vraiment à revenir se battre plus vite et plus fort la fois d'après."

Depuis lors, Hamilton est invaincu au championnat, alors que l'avance de Mercedes sur Ferrari s'est fortement réduite en 2017 et en 2018 notamment. L'Anglais a vaincu Sebastian Vettel en le dépassant à la force du poignet à Barcelone et à Austin en 2017, sans oublier sa victoire depuis la 14e place de la grille à Hockenheim l'année suivante. Trois courses plus tard, avec une nouvelle manœuvre audacieuse, il a fait user ses pneus plus que de raison à Kimi Räikkönen dans un duel passionnant à Monza. Et en 2019, un relais de 64 tours en pneus mediums lui a permis de triompher à Monaco face aux gommes dures de Max Verstappen.

Max Verstappen, Red Bull Racing RB15, makes contact with leader Lewis Hamilton, Mercedes AMG F1 W10, in the closing stages of the race

Ces performances laissent imaginer qu'un pilote continue de progresser même dans ses meilleures années. "Je mentirais si je disais que je ne m'améliore pas", admet l'intéressé. "Si je n'obtenais pas les résultats, peut-être que ce serait le cas, mais là, je suis vraiment obligé de… Je ne peux pas rester les bras croisés. Personne ne reste les bras croisés dans ce sport, la technologie évolue constamment."

Les pilotes n'ont pas la tâche facile de nos jours, avec les F1 les plus rapides de tous les temps, qui sont très pointues technologiquement, et des pneus Pirelli fragiles. Hamilton estime donc que ces athlètes ne sont pas suffisamment respectés : "Je pense qu'il y a une charge de travail sous-estimée pour ceux qui travaillent en coulisses ainsi que pour les pilotes dans l'interprétation des outils que nous avons. Les détails avec lesquels nous essayons d'ajuster ces petites choses – un millimètre par-ci, un demi-millimètre par-là, pour la hauteur de caisse ou l'inclinaison de l'aileron avant par exemple. Mais chaque année, j'ai ces nouveaux outils et je dois étudier pour les maîtriser, comme tout le monde, et essayer de devancer les autres pilotes."

"Personnellement, je ne me dis pas 'j'ai déjà [sept] titres mondiaux'. Je pourrais me détendre et me dire que je suis très bon. Mais mon esprit ne fonctionne pas ainsi. Je me demande : 'Bigre, ces gars-là me poursuivent, comment rester devant ? Comment garder un temps d'avance ? Comment aider l'équipe à garder un temps d'avance ?'. Et c'est un processus conséquent, car il est facile pour nous d'emprunter le mauvais chemin si nous nous reposons sur nos lauriers."

Hamilton apprécie clairement de pouvoir se battre face aux Max Verstappen et Charles Leclerc de la nouvelle génération, lui qui a précédemment affronté des Champions du monde tels que Fernando Alonso, Kimi Räikkönen et Sebastian Vettel. Mais pour ce faire, éradiquer ses faiblesses est indispensable. Or, en 2019, Hamilton n'a signé "que" cinq pole positions, alors que sur les cinq autres saisons depuis 2015, il en obtient 11 en moyenne. Son objectif était donc de redresser la barre dans ce domaine l'an dernier.

"Si l'on regarde [2019], ne pas évoluer au maximum de mes capacités le samedi a grandement compliqué les courses pour moi", analyse-t-il. "La pression était encore plus élevée le dimanche, et cette pression était parfois inutile. Ayant pu travailler là-dessus [en 2020] avec Bono [Peter Bonnington, son ingénieur de course, ndlr] et les ingénieurs pour assurer de meilleures performances le samedi, ça m'a soulagé en diminuant non pas la difficulté mais la pression du dimanche."

Polesitter Lewis Hamilton, Mercedes F1

Hamilton a donc signé dix pole positions en 2020, cinq de plus que Bottas. Lance Stroll en Turquie et Max Verstappen à Abu Dhabi sont les seuls autres pilotes à avoir réalisé cette performance. Le pilote Mercedes détient le record du nombre de poles – 98 depuis le début de sa carrière – et a récemment réalisé le tour le plus rapide de l'Histoire de la F1 : 264,363 km/h de moyenne à Monza.

"Ce qui m'impressionne le plus, c'est qu'en tant qu'être humain, il se développe année après année, et le Lewis Hamilton que nous voyons aujourd'hui n'a rien à voir avec le Lewis Hamilton que j'ai rencontré en 2013", estime Toto Wolff, directeur d'équipe. "Il s'améliore dans la voiture et en dehors."

Citant l'exemple du Grand Prix de Singapour 2015, où Hamilton a été contraint à l'abandon lorsque l'échangeur s'est désolidarisé de la chambre de tranquillisation, causant une perte de pression, le designer en chef John Owen estime que "son cerveau est inconsciemment si connecté à la voiture qu'il en fait presque partie" ; selon lui, c'est ainsi que Hamilton peut faire des choses qu'il ne peut pas expliquer, sans réfléchir. Mais cela peut être un désavantage à l'occasion : la W06 n'atteignait pas sa puissance maximale ce jour-là, Hamilton n'appuyant pas à fond sur l'accélérateur, car son cerveau était convaincu que c'était déjà le cas. Il aurait pu appuyer davantage, mais le problème lié au boost empêchait la voiture d'accélérer pleinement.

"Il lui a probablement fallu éplucher les données pendant une semaine pour se rendre compte que la pédale d'accélérateur pouvait aller jusqu'au fond et qu'il n'appuyait simplement pas assez fort", explique Owen. "Et c'est véritablement incroyable. Franchement, il aurait parié sa fortune sur le fait que ce ne soit pas le cas. C'est dire à quel point la voiture et lui ne font qu'un."

Si Hamilton a un défaut récurrent depuis le début de sa carrière, c'est sa tendance à se démoraliser s'il a le sentiment que les choses vont contre lui. C'était le cas chez McLaren en 2011, alors qu'il subissait notamment des problèmes personnels, ainsi que face à Rosberg en 2016. La relation saine entretenue avec Bottas depuis quatre ans réduit toutefois le risque de souci : les deux hommes se respectent et ne s'accrochent que très rarement.

Valtteri Bottas, Mercedes-AMG F1, 2nd position, and Lewis Hamilton, Mercedes-AMG F1, 3rd position, congratulate each other on the grid

Le respect envers Hamilton vient de Mercedes en général, l'écurie lui ayant laissé la liberté de satisfaire ses divers intérêts en dehors de la Formule 1. Cela a mené à des collections de mode, à un featuring musical sous le pseudonyme de XNDA et à un statut de célébrité qui surpasse de loin celui de ses pairs. À cet égard, il promeut la Formule 1 à merveille, notamment avec ses 22 millions d'abonnés sur Instagram. Mais rien ne montre davantage ce à quoi Mercedes est prêt pour Hamilton que la W11, monoplace non seulement couronnée de succès mais aussi parée d'une robe noire à la demande de son pilote pour soutenir la campagne antiraciste Black Lives Matter.

"J'étais stupéfait que l'équipe m'écoute", souffle Hamilton. "Elle a écouté ce que j'avais à dire, a ouvert les yeux, a vu ce qui se passait dans le monde et a agi. Il y a beaucoup de gens qui refusent de croire à l'injustice sociale et au racisme systémique. Il y en a qui refusent d'y croire même si on le leur met sous le nez. J'étais donc incroyablement fier. Non seulement nous sommes la meilleure équipe… Je dirais que cette année plus que jamais, nous avons montré que la meilleure équipe n'était pas seulement l'équipe qui gagne. C'est aussi l'équipe qui creuse pour avoir le meilleur impact afin de changer le monde. Et je pense vraiment que se battre pour les droits humains est l'une des plus grandes choses que nous puissions faire."

L'on retiendra également que le septuple Champion du monde a fondé la Commission Hamilton, qui a pour but de comprendre les raisons pour lesquelles les personnes de couleur sont rares en sport automobile et d'y trouver des solutions ; il a également incité Mercedes à résoudre ce problème dans ses propres rangs. Ailleurs, Hamilton a fondé son écurie X44 en Extreme E, championnat de rallye-raid pour SUV électriques. Plus que jamais, il semble profiter de la vie au jour le jour.

Avant même le début de la saison 2020, Hamilton a indiqué que ce titre mondial serait plus spécial que les autres non seulement à cause de la pandémie de COVID-19 mais surtout en raison de l'attention portée aux inégalités raciales dans le monde entier. Il s'est efforcé de maintenir les projecteurs vers cette thématique, avec la manifestation des pilotes devenue habituelle sur la grille de départ, bien que trouvant cette entreprise "énergivore".

"À de nombreuses reprises dans ma vie, j'ai essayé d'en parler, mais maintenant il faut que j'en parle bien davantage et je dis souvent la même chose – cela requiert beaucoup de conversations, les mêmes conversations avec différentes personnes qui ne comprennent pas. Ce serait super de pouvoir le faire à plus grande échelle, mais les conversations en tête-à-tête sont celles qui sont vraiment productives – c'est là qu'on déconstruit les choses, puis on peut avancer. Et cela signifie que beaucoup de conversations sont similaires."

Lewis Hamilton, Mercedes-AMG F1, 1st position, celebrates after securing his 91st F1 race win, equalling the record of Michael Schumacher

Cependant, Hamilton ne laisse pas cette mission influencer ses performances en piste. Il approche des 100 victoires en Grand Prix, mais n'a plus qu'un objectif, et ce dernier n'est pas une simple statistique, ni l'envie d'être le plus grand pilote de tous les temps : "Le véritable objectif principal, c'est la raison pour laquelle je fais la Commission Hamilton. C'est essayer de quitter ce sport avec des changements qui le rendront, j'espère, plus diversifié à l'avenir. De manière à ce que, si je viens dans cinq ou dix ans, je ne sois plus la seule personne de couleur dans le paddock. Il s'agit d'avoir un sport qui reflète la société et le monde extérieur."

"Oui, notre monde est multiculturel – plein de couleurs différentes et de religions différentes – et on ne voit pas beaucoup de femmes non plus ici. J'espère que dans les années à venir on verra des femmes dans des rôles haut placés, on verra des personnes de couleur qui peuvent aussi avoir des rôles haut placés – des mécaniciens à la restauration en passant même par les commissaires, car on n'en voit pas. Il y a beaucoup de travail à faire."

"C'est question de responsabilité en premier lieu. Même dans votre [média], je crois que depuis le début de ma carrière, j'ai vu un seul noir. Certes, il y a quelques reporters derrière la caméra, mais j'espère juste que dans dix ans [ce sera différent]. C'est ma mission, c'est ma raison d'être ici. Gagner, c'est bien, mais c'est un peu le moins important."

Voilà ce qui sépare Hamilton des autres légendes de la F1. Son héritage sportif sera constitué de ses innombrables records, qui vont certainement demeurer hors d'atteinte un certain temps. Mais il essaie de changer un monde qui ne lui a pas toujours été favorable, lui qui a subi le racisme dans l'enfance comme à l'âge adulte dans le sport qu'il aime. Même sans considérer ce qu'il a accompli dans sa carrière, cette approche témoigne de sa grandeur. Ses critiques pointeront du doigt sa fortune et son privilège, certains considéreront qu'un pilote de course ne peut être qu'hypocrite dans ce contexte, mais il a choisi de ne pas rester les bras croisés et renforcé sa position de plus grand pilote de F1 de sa génération – voire de tous les temps.

Race Winner Lewis Hamilton, Mercedes-AMG F1 celebrates in Parc Ferme

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