Opinion

Pourquoi un retour des moteurs hurlants n'est pas si impensable

Il n'y a pas que la lutte entre Verstappen et Hamilton qui oppose les patrons de Red Bull et de Mercedes : la nature des moteurs 2025 de Formule 1 fait également l'objet de désaccords. Mais les espoirs d'avoir des unités de puissance bruyantes, sources d'émotions fortes tout en étant respectueuses de l'environnement ne sont pas forcément opposés.

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Les vidéos YouTube ne peuvent pas rendre justice au niveau sonore des vieux moteurs V8 et V10 de Formule 1. Quant on était sur le circuit en chair et en os, ils n'agressaient pas seulement nos tympans (rendant les bouchons d'oreille indispensables lors de chaque week-end de F1), mais nous faisaient vibrer au plus profond de nous, ce que les moteurs actuels sont incapables de faire.

Je me souviens de nombreuses fois où j'ai regardé la piste de Monaco dans le tunnel, et où je me tenais derrière un distributeur de boissons gazeuses bien placé pour me protéger des vibrations et de la force des moteurs projetés par les voitures qui passaient à quelques mètres de moi. Vous pouviez sentir les monstres de 20'000 tr/min marteler votre poitrine et traverser votre torse à chaque passage.

C'est exactement le genre de réaction émotionnelle que recherche Christian Horner, le patron de l'écurie Red Bull. Il espère que la prochaine génération de moteurs en F1 pourra faire revenir certains fans lorsqu'elle sera lancée à partir de 2025. En effet, si les turbo-hybrides actuels ont accompli des choses magiques (en faisant progresser la technologie de récupération d'énergie et en améliorant les rendements thermiques à des niveaux jamais vus sur les moteurs de route), ils ont également apporté avec eux de gros points négatifs.

Les coûts de développement de ces unités de puissance étaient astronomiques, et leur complexité technique a tourmenté les constructeurs qui n'ont pas fait les choses correctement dès le départ. Il suffit de voir le temps qu'il a fallu à Honda pour passer du désastre de la première année avec McLaren, en 2015, à la course au titre avec Red Bull cette saison. Mais si ces questions étaient des problèmes isolés pour les constructeurs, il y avait aussi des facteurs plus larges en jeu, qui ont dégoûté les fans.

Les constructeurs et les patrons de la F1 n'ont pas fait un bon travail de marketing pour porter le message positif de la poussée de l'hybride, et le fait que l'ancien président du championnat, Bernie Ecclestone, n'ait jamais soutenu le concept n'a certainement pas aidé. Et puis, la bataille des relations publiques a été perdue dès le premier jour, la nouvelle génération de moteurs étant trop silencieuse.

La disparition de l'aspect émotionnel, qui avait rendu les V8 et V10 si excitants, était un élément que la F1 n'avait peut-être pas suffisamment reconnu comme un problème lorsqu'elle a formulé les plans de ses nouvelles règles à partir de 2014. Au fur et à mesure que les performances des moteurs ont augmenté, le bruit s'est amélioré, bien qu'il reste loin des niveaux de la vieille époque.

C'est donc un retour aux sensations fortes du passé qui motive la dernière initiative d'Horner. Mais est-il possible, dans un monde où la durabilité devient essentielle au quotidien, de revenir à quelque chose que les écologistes attaqueraient sans retenue ?

Nous ne serions pas du tout en phase avec l'évolution du monde, et nous détournerions probablement tous les partenaires commerciaux de la F1 si nous nous en tenions aux moteurs à combustion interne qui hurlent, même si nous les aimons bien.

 Toto Wolff

Du point de vue des constructeurs, la réponse est un non catégorique. Ces derniers doivent relever d'énormes défis pour atteindre les objectifs gouvernementaux en matière de réduction des émissions, et leur implication en F1 dépend de leur engagement en faveur d'un avenir plus neutre en carbone.

Il serait difficile pour un constructeur d'essayer de vendre le nec plus ultra des voitures de route vertes si, le dimanche, il était impliqué dans un sport dépeint comme un spectacle gourmand en carburant. Le patron de Mercedes, Toto Wolff, pense que même les sponsors de la F1 sont plus intéressés par le potentiel de la discipline en matière de développement durable. "Les discours des sponsors ne sont plus axés sur le public et sur le nombre de photos que vous pouvez prendre avec Lewis Hamilton", a-t-il déclaré. "Ils posent en fait des questions sur notre politique environnementale et sur ce que nous faisons en matière de contribution."

C'est pourquoi Wolff craint que si la F1 revenait à une unité de puissance plus bruyante, cela serait mauvais pour l'ensemble de la discipline, bien qu'une telle idée plaise aux fans. "Je pense que nous perdrions toute crédibilité auprès de nos partenaires, de nos sponsors et de nos principales parties prenantes, si nous ne tenions pas compte de l'environnement et de l'impact que nous avons", a-t-il ajouté. "Je crois que nous ne serions pas du tout en phase avec l'évolution du monde, et nous détournerions probablement tous les partenaires commerciaux de la F1 si nous nous en tenions aux moteurs à combustion interne qui hurlent, même si nous les aimons bien."

Mais si un retour aux unités de puissance traditionnelles était totalement impensable il y a quelques années, l'intérêt croissant pour les carburants durables a légèrement ouvert la porte à cette idée. La F1 est convaincue qu'elle peut être à l'avant-garde du développement de la technologie permettant de créer des carburants neutres en carbone, sachant que les voitures de route fonctionneront encore avec des moteurs à combustion pendant de nombreuses années.

Et si la F1 peut atteindre cet objectif (le plan étant que le carburant 100% durable soit un composant essentiel des nouvelles unités de puissance de 2025), alors, en fin de compte, cela n'aurait pas trop d'importance si le moteur était un petit V6 turbo hybride ou un plus gros V8 hurlant ou guttural.

Comme Horner l'a déclaré lors du Grand Prix de Grande-Bretagne : "Je pense que le moteur à combustion a un avenir, alors pourquoi ne pas introduire des moteurs à haut régime qui ont un son fantastique et qui sont respectueux de l'environnement ? Je pense que le biocarburant et les carburants durables permettent de le faire."

Bien sûr, un moteur plus simple à développer (sans les complications supplémentaires liées à la mise au point de systèmes de récupération d'énergie de haute technologie) convient parfaitement à l'agenda de Red Bull, qui devient un fabricant de moteurs. Après tout, l'entreprise ne veut pas qu'un budget R&D extrêmement coûteux vienne soudainement s'ajouter à ses résultats.

Mais, même ainsi, le souhait général d'un moteur plus bruyant doit être un must au moment où les constructeurs de F1 se réunissent pour formuler les règles. Un retour direct aux anciens V10 n'est pas envisageable, mais l'objectif de proposer quelque chose qui agresse les sens doit être une priorité.

Il y a une voie claire à suivre pour la F1, qui peut cocher les facteurs de durabilité, avec des carburants verts et des systèmes hybrides de récupération d'énergie, tout en les jumelant avec une unité de puissance plus nerveuse et à plus haut régime, qui fait vibrer et ramène une part d'excitation auditive aux Grands Prix.

Sauver le monde ne doit pas être ennuyeux. Quel beau message pour la F1 si elle pouvait proposer les voitures de course les plus rapides, les plus bruyantes et les plus spectaculaires du monde, fonctionnant avec des carburants entièrement durables, dans le cadre d'un championnat de courses neutres en carbone. Ce serait une victoire pour les constructeurs, une victoire pour les sponsors et, surtout, une victoire pour les fans.

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