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Qualifs sur un tour : l'échec d'une idée qui avait du bon

Apparues en 2003 en Formule 1, les qualifications sur un tour suscitèrent controverse et bricolage absurde. Pourtant, elles auraient pu faire la part belle à quelques principes malheureusement vite oubliés.

Juan Pablo Montoya, Williams BMW FW25

Photo de: Sutton Motorsport Images

Si le format des courses a résisté à l'épreuve du temps pendant sept décennies de Formule 1, celui des qualifications a subi beaucoup de changements, à chaque fois au nom du spectacle. Autrefois simple ustensile pour déterminer l'ordre de départ (et éliminer les plus lents), les qualifications se sont retrouvées à l'épreuve d'impératifs commerciaux afin de devenir incontournables.

Lorsque les Grands Prix ont vu le jour, les positions sur la grille étaient déterminées par tirage au sort. Il s'agissait d'un système faussement équitable, et parfois même exposé à des risques de tricherie. Le Grand Prix de Monaco 1933 est considéré comme la première épreuve majeure lors de laquelle la grille de départ a été déterminée par des chronos, alors réalisés pendant les essais libres. Les années suivantes, le système évolua pour avoir une ou deux séances spécifiquement dédiées à la constitution de la grille de départ : d'abord pour le bonheur des personnes présentes sur place, puis avec l'objectif d'accroître les audiences télévisuelles.

Comme toute personne de l'univers de la télévision vous le dira, ce qu'il faut pour le spectacle, c'est un élément d'incertitude. Ou encore mieux, du risque. Pour la diffusion du sport automobile, cela implique une question philosophique : où placer la frontière entre divertissement et pureté de la course ? Les qualifications sur un seul tour, introduites en 2003 puis modifiées au fil des saisons, allaient probablement trop loin au-delà de cette frontière, mais l'idée de base n'était pas dénuée de bon sens.

Michael Schumacher, Ferrari

Cette idée avait vu le jour en raison d'un problème majeur : les qualifications étaient devenues une séance d'une heure packagée pour la télévision en 1996, mais la plupart des concurrents restaient au garage jusqu'à la fin. La stratégie habituelle était de laisser les moins rapides gommer la piste, attendre que les conditions évoluent favorablement puis en profiter dans les dernières minutes. Une logique évidente d'un point de vue sportif, mais perdante pour la télévision.

La domination de Ferrari au début des années 2000 accentua la volonté de changer les choses, et le président de la FIA Max Mosley se positionna lui-même en première ligne pour que le spectacle soit amélioré. Dans le cadre du nouveau système sur un tour introduit en 2003, une nouvelle séance fit donc son apparition le vendredi, avec là aussi un seul tour rapide pour chaque pilote, dans l'ordre du classement du championnat. Ces chronos permettaient ensuite de déterminer l'ordre de départ des qualifications du samedi, le pilote le moins rapide s'élançant en premier. Autre nouveauté, chaque voiture devait embarquer la quantité de carburant avec laquelle elle débuterait la course. Après les qualifications, les monoplaces passaient sous régime de parc fermé, poussant les écuries à se qualifier en configuration de course.

Sur le plan théorique, il s'agissait d'une solution quasi parfaite et l'on peut comprendre pourquoi elle séduisait Mosley. Elle garantissait de voir des voitures en piste pendant une heure et, chaque pilote ne disposant que d'une seule tentative, le risque était constamment présent. Le nouveau format supprimait également certains coûts exorbitants (comme le recours à un moteur spécial pour les qualifications). Mosley se félicita de son coup lorsque les McLaren de David Coulthard et Kimi Räikkönen terminèrent première et troisième du Grand Prix d'ouverture de la saison 2003, après des tours de qualifications ratés qui les avaient relégués hors du top 10. Certaines voix étaient toutefois plus mesurées, à l'image de Ron Dennis, patron de McLaren, qui suggéra de laisser les voitures se qualifier avec le minimum de carburant.

Les écuries de milieu de grille se mirent rapidement à jouer avec les niveaux de carburant afin de bousculer la hiérarchie. En roulant avec peu d'essence, il était possible de décrocher sur la grille une place peut-être meilleure que la valeur réelle de la voiture. Cette position en piste pouvait ensuite s'avérer avantageuse, surtout en cas de déploiement précoce de la voiture de sécurité. Ainsi, les qualifications sur un tour commençaient déjà à s'éloigner de la notion de pureté. Quant à leur équité, elle demeurait relative puisqu'un pilote pouvait être désavantagé par un soudain changement de conditions de piste.

Michael Schumacher essaie de dépasser Kimi Raikkonen

Il est amusant de constater que Bernie Ecclestone – pourtant souvent en adéquation avec Mosley – était tellement opposé à ce système qu'il proposa à la mi-saison le recours à un tirage au sort. En essayant de fabriquer et de distribuer le spectacle sur une heure complète plutôt que de générer des circonstances qui auraient naturellement mené vers un moment fort, Mosley avait fait fausse route. C'est peut-être le principal défaut des qualifications sur un tour : non seulement elles étaient détestées par le détenteur des droits commerciaux et par les équipes, mais les fans ne s'y intéressaient pas non plus particulièrement, bien que l'effet perturbateur qu'elles avaient sur la grille leur plaisait.

Avec Ecclestone et de nombreuses équipes contre lui, ce système n'allait pas pouvoir tenir longtemps sous sa forme originale. Les rafistolages réalisés par la suite l'éloignèrent définitivement du concept, au point de le rendre absurde : en 2004, les deux séances avaient lieu le samedi et les positions de départ étaient déterminées par le classement de la course précédente. Cela ouvrait la voie à des abus supplémentaires, comme l'illustra Michael Schumacher en partant délibérément en tête-à-queue à Silverstone en Q1 afin de s'élancer parmi les premiers en Q2 parce que la pluie menaçait.

Les qualifications sur un tour connurent le sommet de l'absurdité en 2005, avec une séance réservoir vide le samedi et une séance avec le carburant pour la course le dimanche matin. Les positions sur la grille étaient déterminées en faisant la somme des deux chronos. Déconcertant pour les observateurs comme pour les concurrents, ce format fut logiquement boudé, au point de disparaître dès la mi-saison. Pour les courses restantes, la F1 était revenue à l'idée initiale, mais avec une seule séance lors de laquelle les pilotes s'élançaient dans l'ordre inverse du classement de la course précédente.

Les années suivantes, la F1 se mit à tâtonner pour arriver peu à peu jusqu'au format à élimination qui existe aujourd'hui, et qui assure un scénario allant crescendo jusqu'à la fin de chaque séance. Il a toutefois fallu résister aux attaques des bricoleurs, avec la nouvelle invention d'Ecclestone qui ne dura que deux Grands Prix en 2016.

Quelles leçons faut-il en tirer ? Certainement que les solutions, surtout quand elles sont mal pensées, peuvent aggraver les problèmes perçus auparavant. Pourtant, le format de qualifications sur un tour a en partie rempli son rôle. D'abord, il bouleversait les grilles de départ au beau milieu d'une domination de Ferrari qui nuisait aux audiences. Il assurait aussi à chaque équipe d'être exposée à la télévision. Il permettait à des pilotes de briller sous la pression de la chance unique. Et puis il offrit quelques belles histoires, comme le doublé des Minardi de Justin Wilson et Jos Verstappen à Magny-Cours en Q1 lors de la saison 2003. Peut-être mieux encore, jamais pendant son existence on entendit parler de trafic ou de drapeaux bleus…

Justin Wilson

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