Analyse

Red Bull et Verstappen en mission : le temps est-il compté ?

Red Bull avait promu son jeune prodige Max Verstappen vers les plus hauts échelons de la Formule 1 avec l'objectif d'en faire le plus jeune Champion du monde de l'Histoire. Mais alors que le phénomène néerlandais fête aujourd'hui ses 23 ans et que Red Bull peine à produire une monoplace capable de concurrencer Mercedes, le temps manque pour mener à bien cette mission.

Dossier Max Verstappen

Photo de: GP Racing

Il y a six mois, dans un monde et une vie qui étaient très différents de ce que l'on connaît actuellement, Max Verstappen et Christian Horner évoquaient leurs chances de réussite pour la saison à venir lors d'une rencontre avec les médias à Londres, dans les locaux britanniques de Red Bull. Horner décrivait alors une écurie "en position de concurrencer Mercedes" tandis que Verstappen déclarait : "Nous voulons vraiment lancer un défi à Mercedes et je pense que nous pouvons le faire". Aujourd'hui, alors que le championnat a été bouleversé par le coronavirus, les perspectives de Red Bull Racing semblent bien différentes.

Dix Grands Prix ont été disputés jusqu'à présent, Mercedes en a gagné huit, Lewis Hamilton six. Si l'on met de côté la course à rebondissements de Monza, Verstappen a été le seul à proposer parfois une réelle forme de résistance à Mercedes. Il a remporté une victoire à Silverstone, mais ce résultat était aussi la conséquence d'une écurie Mercedes exposée par les choix de gommes et par une forte chaleur. L'histoire de l'ère turbo hybride se répète : Mercedes est devant, Red Bull redouble d'efforts, accroche une victoire, mais échoue finalement.

Il y a toutefois une autre dimension à cette histoire d'ambitions non accomplies. Consultant sportif de Red Bull, Helmut Marko a fixé l'objectif de faire de Verstappen le plus jeune champion de l'Histoire de la Formule 1, décrivant même cette volonté à l'aube de la saison comme "notre grand objectif pour Max". Ce record est détenu par un autre pilote Red Bull. Sebastian Vettel avait 23 ans et 134 jours lorsqu'il a remporté son premier titre mondial avec l'écurie, en 2010. Verstappen est né le 30 septembre 1997, le calcul est donc simple : s'il veut battre le record, il faudra que Red Bull domine toute la fin de saison.

Dans des circonstances normales, c'est peu probable. Et en l'état actuel des choses, c'est pratiquement impossible. La crise du coronavirus a entraîné des changements de réglementation : de sérieuses restrictions quant aux modifications qui peuvent être apportées aux monoplaces et à leurs moteurs ont été instaurées pour cette saison et la prochaine. Il reste un certain potentiel de développement, mais Mercedes a une avance importante. Quid de Red Bull et de ses ambitions ? Que nous dit cet échec, à la fois sur l'écurie et sur l'avenir de son plus grand atout qu'est Verstappen ?

Qu'est-ce qui a mal tourné ?

Les signes avant-coureurs étaient perceptibles lors des essais hivernaux chez Red Bull. Verstappen et Albon ont multiplié les tête-à-queue, à chaque fois en milieu de virage. À l'époque, l'équipe et les pilotes l'ont minimisé, affirmant qu'il s'agissait d'un cas de figure normal à l'heure d'explorer les limites de la nouvelle voiture. Mais les observateurs se sont interrogés sur l'éventuelle preuve d'une instabilité générale de la monoplace, ce qui a semblé se révéler exact une fois la saison lancée. "La voiture ne se comporte pas comme prévu pour le moment", a admis Horner lors du Grand Prix d'Espagne. "C'est assez variable. Nous avons changé beaucoup de choses sur la voiture et nous cherchons à régler nos problèmes."

Dossier Max Verstappen

En début d'année, Red Bull avait planifié trois phases majeures de développement : à Melbourne, en Espagne et en Autriche. Toutes ont été combinées en raison du report du début de saison, et introduites lors de la manche d'ouverture sur le Red Bull Ring. C'est là que les choses ne se sont pas tout à fait déroulées comme prévu. "En passant d'une évolution pour un premier Grand Prix à une évolution de mi-saison sans ces étapes intermédiaires, sans la récolte de données en piste, peut-être que la réalité n'a pas reproduit ce que nous attendions via nos outils", concède Horner. "Nous aurions eu ces données piste pour vérifier chaque étape d'introduction. Il fallait débloquer un peu tout ça et je pense que nous l'avons compris, ainsi que tout ce que nous avons apporté à la voiture."

Dans le même temps, comme Horner le dit, "Mercedes a fait de gros progrès durant l'hiver, particulièrement avec son unité de puissance. Ils ont fait un travail impressionnant avec leur voiture aussi. Ils n'ont pas remporté les six précédents titres mondiaux pour rien, ils ont fait dans la continuité, c'est une très grosse machine". Mercedes attribue en fait environ deux tiers de sa progression au châssis, et seulement un tiers au moteur. De quoi faire peur à quiconque n'est pas employé ou fan de Mercedes ! En moyenne, la Mercedes est 0"875 plus rapide que la Red Bull en qualifications (sans tenir compte des qualifications sur piste humide en Styrie), soit 0"387 de plus qu'en 2019.

"Nous savons que Mercedes est la cible", insiste Horner. "Ils font du très, très bon boulot actuellement. Ils placent la barre très haut et nous devons relever ce défi. Tout le monde dans l'équipe et chez Honda est extrêmement motivé pour le faire, et évidemment Max l'est aussi. Ce ne sera pas facile, la F1 n'est pas facile. Mais je crois en notre personnel, en nos capacités, et je pense que nous finirons par être capables de vraiment nous mesurer à eux. Ils sont arrivés avec une très bonne voiture cette année, et il y a un gros changement de réglementation pour 2022, mais je crois qu'avant ça, il y a énormément d'opportunités."

Tout ceci met en lumière la qualité du pilotage de Verstappen cette année. Non seulement il est le seul pilote à parfois battre les Mercedes frontalement le dimanche, mais il est aussi le seul à s'accrocher à elles le samedi. Jusqu'à son abandon à Monza, il était même entre les deux pilotes de l'écurie allemande au championnat. "C'est une performance phénoménale", confirme un Horner qui ne tarit pas d'éloges. "Il pilote brillamment cette année. Il est très complet. Il a la vitesse, le contrôle, le flair et la ténacité qu'il a toujours eus, mais il a couplé tout ça avec l'expérience. C'est ce qui le rend énormément compétitif."

En dépit de la situation délicate de Red Bull en matière de compétitivité, il faut noter l'attitude détendue que conserve Verstappen. Il y a certes eu un petit épisode de frustration après son deuxième abandon consécutif survenu au Mugello, mais les choses ont rapidement été remises en ordre. "Je ne suis pas frustré", assure-t-il. "J'ai accepté la situation dans laquelle je suis. Beaucoup de gens voudraient être dans ma voiture. Nous nous battons toujours pour des podiums. C'est une excellente position. Nous continuons à nous améliorer, mais Mercedes fait juste un travail incroyable et il faut l'accepter. Ça ne veut pas dire que je ne veux pas les battre. Je saisirai chaque chance que j'aurai."

Ce sang-froid avec lequel Verstappen gère sa saison ne surprend pas Horner : "Il ne laisse rien passer. Max pilote avec une attitude où il se dit : 'Je ne suis certainement pas le favori, je ne m'attends pas à l'être'. Et il aborde chaque course comme une finale. Il a été incroyablement mature dans sa façon de gérer ça. Ces deux dernières années, depuis que Daniel [Ricciardo] a quitté l'équipe et qu'il est devenu le leader, il a vraiment fait un pas dans cette direction. Il a pris ces responsabilités au sérieux. Il a vraiment fait un super boulot à cet égard."

Qu'est-ce que cela dit sur Red Bull ?

Les échecs répétés de Red Bull à concurrencer Mercedes sur l'intégralité d'une saison posent inévitablement des questions quant aux carences de l'écurie. Le début de championnat dominateur de Mercedes, couplé aux difficultés de Red Bull et aux progrès de Racing Point grâce à sa copie de la Mercedes 2019, conduisent à s'interroger sur la philosophie de conception de la monoplace.

Mercedes et Red Bull ont des approches aérodynamiques très différentes. Red Bull utilise le "high rake", avec cette monoplace piquée vers l'avant, tandis que Mercedes fait le contraire avec le "low rake". Il s'agit de deux méthodes différentes pour finalement atteindre le même but : pour générer de l'appui, les équipes veulent créer une zone à basse pression sous la voiture afin d'accélérer le flux d'air. Avec le "high rake", cela se fait en augmentant la masse du flux d'air. Dans le cas inverse (low rake), le procédé réduit la zone où l'air doit passer, à l'image d'un tuyau d'arrosage dont on presse ou non l'extrémité.

Dossier Max Verstappen

Emblématique directeur technique de Red Bull, Adrian Newey est convaincu des bienfaits du "high rake" depuis des décennies. L'idée est que la distance accrue entre le diffuseur et la piste génère beaucoup d'air à travers le fond plat. Là où c'est intéressant dans le contexte de cette année, c'est que Red Bull a modifié la philosophie à l'avant de sa monoplace, et donc la manière dont le flux d'air se met en place vers l'arrière. Pendant des années, Red Bull a utilisé des "J-vanes" – des ailettes verticales placées sous le nez – afin de contrôler le flux d'air en provenance de l'aileron avant. Cette saison, l'équipe a adopté la fameuse cape, cette pièce horizontale située sous le museau et d'abord imaginée par Mercedes.

Red Bull a débuté le championnat avec une voiture plus lente que celle de 2019. Il a fallu six Grands Prix avant de voir la monoplace 2020 signer des chronos plus rapides que sa devancière en qualifications. Pendant que Red Bull est en moyenne 0"309 plus rapide que l'an passé sur les mêmes tracés, Mercedes affiche une progression de 0"761. Cependant, Horner rejette l'idée selon laquelle Red Bull aurait fait fausse route. Il admet que le changement de philosophie à l'avant de la voiture a entraîné "des anomalies que nous devons comprendre". Mais il se dit en "désaccord" avec l'idée selon laquelle il faudrait abandonner le "high rake", faisant remarquer que Mercedes a surélevé l'arrière de sa voiture au fil des dernières saisons. Ce qui est vrai mais n'enlève rien au fait que les distinctions entre les deux voitures restent importantes.

"Sur le plan aérodynamique, ces voitures sont incroyablement complexes", ajoute Horner. "Il suffit de regarder les éléments qui composent un déflecteur, un aileron avant, ou le dessous d'un aileron avant. Parfois, on peut avoir des choses qui ne fonctionnent pas en parfaite harmonie, ou dans des conditions différentes. Nous avons une compréhension raisonnable de ce qui ne se comporte pas bien sur la voiture, et il y a de bonnes choses dans les cartons. La voiture n'a pas toujours aimé certaines conditions, et je crois que nous en comprenons désormais la cause. Nous travaillons pour corriger ça."

Quelle sera la suite ?

Cyril Abiteboul, patron de Renault et donc ex-motoriste de Red Bull, estime que l'écurie autrichienne a "raté quelque chose" dans l'ère moderne de la F1 et que l'attelage avec Honda forme "une organisation châssis et une organisation moteur qui sont si distinctes" que ça ne suffit pas pour "se battre pour la victoire régulièrement". "Il faut être un groupe unique, une équipe avec un même état d'esprit", ajoute-t-il. "Nous avons échoué le faire ensemble. On dirait qu'ils ne sont pas capables de faire bien mieux avec Honda. Cela montre juste qu'il y a un niveau de complexité et de perfection qui est requis en Formule 1 pour gagner, et en particulier pour vaincre Mercedes."

Dossier Max Verstappen <

Horner contredit pourtant cette théorie. "Je dirais que nous sommes aussi intégrés que possible avec Honda", plaide-t-il. "C'est un véritable partenariat, plus intégré que nous ne l'avons jamais été avec Renault dans l'ère V6. Nous avons remporté quatre championnats du monde et une soixantaine de courses en achetant nos moteurs à Renault. Je nie donc cela : la relation avec Honda est un partenariat, et non une relation fournisseur/client. […] Cela prendra du temps. Dans la configuration actuelle, il n'y a pas de faille dans l'armure de Mercedes. Rien n'est éternel, et nous devons continuer à travailler, à faire ce que nous pouvons pour les maintenir sous pression tout en nous améliorant. Les relations avec Honda ne font que se renforcer et n'ont cessé d'être meilleures ces douze derniers mois. Espérons que cela nous positionne bien aussi pour l'avenir."

En fin de saison dernière, Verstappen a signé un nouveau contrat qui l'engage avec Red Bull jusqu'à fin 2023. Ce nouveau bail a vu le jour à l'initiative du pilote, prenant des airs de vote de confiance envers son équipe ainsi qu'envers Honda. Le Néerlandais reste pour le moment détendu sur cette question. "Je ne comprends pas pourquoi les gens pensent que je serais démotivé", s'étonne-t-il. "J'ai l'un des meilleurs métiers du monde, je pilote pour être troisième ou deuxième. Pourquoi ne serais-je pas motivé ? J'adore piloter la voiture. Je veux évidemment les concurrencer [Mercedes], mais si ce n'est pas possible, je vise le meilleur résultat avec la voiture que j'ai, et j'aime ça."

Sur le papier, tout semble en place pour que Red Bull et Honda construisent ensemble un projet qui parvienne un jour à satisfaire leurs ambitions, grâce à la stabilité dans l'équipe et au meilleur pilote de sa génération dans la voiture. D'inévitables questions demeurent toutefois. La première concerne Honda. Le motoriste a signé l'an passé une prolongation avec Red Bull, mais d'une seule année, soit jusqu'à la fin de saison 2021. Ce n'est donc pas l'affirmation pleine d'un engagement durable. À l'époque, cela correspondait au terme de la première année de la future réglementation, mais celle-ci a été repoussée d'un an. Est-ce que Honda prendra l'engagement de rester au-delà de cette échéance, et si oui, quand ?

L'autre question concerne Verstappen. Pour le moment, il n'a nulle part ailleurs où aller. Ferrari a un contrat longue durée avec Charles Leclerc jusqu'en 2024, sans parler du fait que ce n'est pas une destination très attrayante dans l'immédiat. Quant à Mercedes, une prolongation de contrat avec Lewis Hamilton pour au moins deux saisons supplémentaires reste l'hypothèse la plus probable. Mais après ? Au début de la saison prochaine, Hamilton aura 36 ans, et l'on sait que Mercedes s'intéresse à Verstappen. Fin 2022, le Néerlandais n'aura plus qu'un an de contrat avec Red Bull, et c'est lui qui sera maître des négociations, plus que son équipe.

Est-ce que Verstappen a confiance en Red Bull et Honda pour un jour décrocher le titre ?  "J'y crois", assure-t-il. "Bien sûr, pour l'année prochaine ce pourrait être un peu compliqué, car la réglementation sera la même, mais ensuite il y aura de nouvelles règles et une nouvelle opportunité pour tout le monde."

"Max est jeune", conclut Horner. "Il est plein de talent, il n'y a qu'une autre voiture devant la nôtre actuellement. Je ne sais pas ce que fera Lewis Hamilton lors des prochaines semaines, mais Max partage avec nous la détermination pour finalement le battre un jour. Nous aimerions remporter un titre avec lui, et je crois que la réciproque est vraie. Cela reste l'objet absolu de notre concentration et de notre attention."

Dossier Max Verstappen

Rejoignez la communauté Motorsport

Commentez cet article
Article précédent Les pilotes critiquent les points de pénalité qu'avait eus Hamilton
Article suivant Häkkinen : "Difficile de se souvenir de toutes les règles"

Meilleurs commentaires

Il n'y a pas de commentaire pour le moment. Souhaitez-vous en écrire un ?

Abonnez-vous gratuitement

  • Accédez rapidement à vos articles favoris

  • Gérez les alertes sur les infos de dernière minute et vos pilotes préférés

  • Donnez votre avis en commentant l'article

Motorsport Prime

Découvrez du contenu premium
S'abonner

Édition

France