Cette règle vieille de 40 ans qui a rendu folle la F1

Un paragraphe anodin du Règlement Sportif de la Formule 1, inchangé depuis plus de 40 ans, a été à l'origine d'une grande controverse au Grand Prix de Belgique.

Cette règle a suscité un débat si violent que le président de la FIA, Jean Todt, a confirmé quelques jours plus tard que le sujet serait abordé lors de la prochaine réunion de la Commission F1, le 5 octobre. Mais de quelle règle parlons-nous ? Dans le Règlement Sportif de la Formule 1, assez grand pour nous tenir éveillés plusieurs heures, il est indiqué que seuls deux tours d'un Grand Prix peuvent être effectués (sans préciser la nature de ces tours) pour que des demi-points soient attribués. C'est pourquoi les dix premiers pilotes ont reçu des points après n'avoir complété que deux tours derrière le Safety Car à Spa-Francorchamps.

Lire aussi :

Le top 10 était donc un copier-coller de la grille de départ, avec pour seul changement le recul de Sergio Pérez, qualifié septième, à la suite de sa sortie de piste dans le tour de reconnaissance. Mais même ceux qui ont marqué des points semblaient être gênés par la situation, admettant qu'ils n'avaient pas l'impression qu'eux ou quelqu'un d'autre avait vraiment mérité ces points.

"Je ne pense pas mériter de points pour ce que j'ai fait aujourd'hui", avait déclaré à l'arrivée Pierre Gasly, classé sixième. "Je suis un peu surpris. J'ai l'impression qu'ils nous ont mis en piste dans des conditions pires à la fin pour faire ces trois tours derrière la voiture de sécurité alors que c'était pire qu'avant, juste pour permettre à ces points d'être attribués..."

"C'est n'importe quoi", avait dénoncé Sebastian Vettel, cinquième. "Je crois que si l'on veut récompenser les qualifications, il faut donner des points pour les qualifications. Qu'avons-nous fait aujourd'hui ? Je pensais qu'il fallait faire 25% de la course pour marquer des points."

Comme beaucoup d'autres, Vettel pensait à tort que la règle avait été modifiée à un moment donné, et que le minimum requis pour attribuer la moitié des points avait été revu à la hausse. Mais en réalité, rien n'a été changé depuis plus de quatre décennies.

En faisant quelques recherches dans les précédentes bibles réglementaires de la FIA, nous sommes tombés sur un paragraphe particulièrement intéressant de l'édition 1980. Il est indiqué que si une course de F1 est arrêtée entre deux tours et 75% de la distance, la moitié des points est attribuée. Une autre édition, celle de 1976, ne comportait pas encore de section spécifique à la F1 mais un ensemble de règles applicables à tous les championnats de la FIA. Un paragraphe stipulait que des demi-points seraient attribués si une course était arrêtée entre 30% et 60% de la distance.

Ce règlement a été appliqué lors des Grands Prix d'Espagne et d'Autriche de l'année précédente, les deux premières courses de F1 de l'Histoire où des demi-points ont été donnés. Nous ne savons pas exactement en quelle année le règlement a changé, probablement entre 1977 et 1980 car lors de la conclusion prématurée du Grand Prix de Monaco 1984, la règle spécifiant l'attribution de demi-points entre deux tours et 75% était déjà en place.

GP de Monaco 1984 : 37 ans avant le GP de Belgique 2021, la règle des deux tours était déjà en vigueur.

GP de Monaco 1984 : 37 ans avant le GP de Belgique 2021, la règle des deux tours était déjà en vigueur.

Pourquoi la F1 est passée de 30% à deux tours ? La raison demeure inconnue. Cependant, nous pouvons toujours faire des suppositions. Par exemple, à la fin des années 1970, Bernie Ecclestone était fortement impliqué dans les contrats de promotion des Grands Prix, même s'il n'était pas encore dans la position de force qu'il a eue plus tard. Il est donc possible que, sur ordre d'Ecclestone, la règle ait été modifiée pour qu'une course puisse se décider sur deux tours et que les organisateurs de Grand Prix n'exigent pas de remboursement en cas de course tronquée.

Lire aussi :

En effet, de nombreux pilotes et observateurs ont suggéré que les enjeux économiques du Grand Prix de Belgique ont motivé la tentative de relance derrière le Safety Car pour satisfaire l'exigence contractuelle de fournir une course (d'un minimum de deux tours donc) au promoteur de Spa-Francorchamps.

Une autre question se pose également. Combien de courses les contrats de diffusion spécifient pour que les chaînes de télévision ne demandent pas un remboursement ? L'année dernière, le nombre magique était de 15 cependant, dans certains cas, il a été ajusté à 20 pour cette saison en raison de la pandémie, ce qui explique pourquoi d'énormes efforts sont employés pour ne pas descendre sous ce chiffre. Selon Stefano Domenicali, nouveau patron de la F1, ne pas déclarer officiellement le Grand Prix de Belgique comme une course n'aurait pas eu d'impact commercial.

D'autres nous ont invité à faire une distinction entre un "événement" et une "course". De nombreux documents utilisent la première expression, et étant donné que l'événement commence par les essais libres du vendredi, on pourrait en conclure qu'il n'est pas nécessaire qu'une course ait lieu pour que les obligations contractuelles soient remplies.

Au-delà de la très passionnante situation juridique, l'attribution de points était un résultat réglementaire inévitable, même si le classement final s'est basé sur l'ordre de passage à la fin du premier tour. Retenons qu'en 40 ans, la distance minimale n'a jamais été remise en question. Avant le week-end dernier, le résultat du Grand Prix le plus court de l'Histoire, en Australie en 1991, avait été prononcé après 14 tours sans neutralisation, la voiture de sécurité n'existant pas à cette époque.

Arrêté après 24 minutes, le GP d'Australie 1991 était la course de F1 la plus courte de l'Histoire.

Arrêté après 24 minutes, le GP d'Australie 1991 était la course de F1 la plus courte de l'Histoire.

Et c'est un point important. Lorsque la règle des deux tours a été introduite en catégorie reine, personne ne pouvait imaginer un scénario dans lequel aucun tour de course à allure compétitive n'était effectué. Même après l'introduction de la voiture de sécurité, en 1993, la question ne s'est jamais posée et la règle est donc restée telle quelle, comme une bombe à retardement, qui a fini par exploser dans les Ardennes belges en août 2021.

"Ce n'est pas l'idéal, mais si l'on ne peut pas récompenser quelqu'un pour la course, récompensons-le pour sa bravoure en qualifications", a justifié Ross Brawn, directeur général de la F1. "En l'absence de course complète, un tour comme celui qu'a fait George Russell devrait être récompensé. Comme je l'ai dit, ce n'est pas idéal, mais nous en sommes là. La météo n'était tout simplement pas avec nous dimanche."

Le podium de Russell, et la moisson de points de Williams, est un beau rayon de soleil dans une journée très morose pour la F1. De plus, Vettel, Daniel Ricciardo et Nicholas Latifi étaient inhabituellement haut dans le classement grâce à leur excellente prestation en qualifications. Et sans aucun doute, la victoire de Max Verstappen a contribué à apaiser les dizaines de milliers de spectateurs néerlandais qui ont passé la journée sous la pluie, sans rien voir. Imaginez leur réaction et l'impact sur les demandes de remboursement si Lewis Hamilton avait été en pole et le pilote Red Bull hors du top 10...

Nous aurions pu aussi avoir des qualifications sur le sec, avec les abonnés des premières lignes à l'avant et les "anomalies" comme Russell, Ricciardo ou Vettel à l'arrière. Récompenser les performances du samedi aurait été moins évident. À l'inverse, en cas de grille de départ établie par les Qualifications Sprint (qui récompensent déjà les trois premiers), attribuer des points aux autres pilotes du top 10 n'aurait pas été si problématique.

Bonne nouvelle pour l'avenir, la FIA et la F1 ont réagi rapidement. Les questions des deux tours, des trois heures entre le départ et l'arrivée, et même des horaires dans les pays connus pour leur mauvais temps seront étudiées par la Commission F1 le mois prochain.

Un changement possible consisterait à ajuster la règle des deux tours de manière à ce qu'au moins un tour sous drapeau vert ait lieu pour qu'une course soit déclarée officielle et que des demi-points soient attribués. Une autre option serait de casser le lien entre résultats et points. Ainsi, si le scénario du Grand Prix de Belgique venait à se répéter, Verstappen et Red Bull seraient crédités dans les livres d'Histoire avec une victoire mais ne marqueraient aucun point.

Car en devançant Hamilton de deux places, Verstappen a inscrit "gratuitement" cinq points de plus que son rival et est revenu à trois unités du pilote Mercedes au classement général. Il y a également eu une inversion des positions à la troisième place du classement des constructeurs, McLaren repassant devant Ferrari. Plus bas, Williams a pris 17 points d'avance sur Alfa Romeo, et il est certain que l'équipe de Hinwil ne pourra pas refaire son retard.

Ce qui s'est passé à Spa-Francorchamps le dimanche 29 août 2021 ne s'était jamais produit auparavant dans l'Histoire du Championnat du monde de Formule 1. Et si les règles sont modifiées, cela ne se reproduira plus. Nous ne connaissons pas encore le véritable impact du Grand Prix de Belgique, et il ne sera connu que lors la finale d'Abu Dhabi, en décembre. Mais avec des millions de dollars en jeu pour chaque position au classement des constructeurs, certaines structures pourraient perdre gros.

Rejoignez la communauté Motorsport

Commentez cet article
Article précédent Hamilton comprend que les Néerlandais le huent
Article suivant Räikkönen : "Beaucoup, beaucoup de saisons où j'ai failli arrêter"

Meilleurs commentaires

Il n'y a pas de commentaire pour le moment. Souhaitez-vous en écrire un ?

Abonnez-vous gratuitement

  • Accédez rapidement à vos articles favoris

  • Gérez les alertes sur les infos de dernière minute et vos pilotes préférés

  • Donnez votre avis en commentant l'article

Motorsport Prime

Découvrez du contenu premium
S'abonner

Édition

France