Analyse

Pourquoi la F1 peut s'inspirer de la reprise de la Bundesliga

La Formule 1 reprend enfin, mais elle va devoir surmonter certains obstacles majeurs. Elle peut toutefois s'inspirer de ce qu'a réussi à faire la Bundesliga et en tirer des leçons cruciales .

Lewis Hamilton, Mercedes AMG F1 W10, le poleman Charles Leclerc, Ferrari SF90, et Max Verstappen, Red Bull Racing RB15 se rendant au Parc Fermé

Photo de: Steven Tee / Motorsport Images

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Les Jeux olympiques et l'Euro de football tous les deux reportés à 2021, la Formule 1 est le premier sport d'envergure internationale à reprendre à l'occasion du Grand Prix d'Autriche, cette semaine. Ce ne sera toutefois pas le premier championnat de haut niveau à se relancer, puisque plusieurs pays ont vu le football reprendre ses droits dans des circonstances très inhabituelles.

Pour espérer repartir, la F1 a dû résoudre des problématiques majeures, principalement en raison de son caractère international avec des équipes et du personnel disséminés en Europe. Cependant, de nombreux obstacles étaient très similaires à ceux rencontrés dans le football. C'est pourquoi il était fascinant, lors de l'eConference FIA, d'écouter les propos de Christian Seifert, directeur général de la ligue de football allemande (DFL). Il y a évoqué les enjeux de la reprise de la Bundesliga, et les parallèles avec la F1 sautent aux yeux. Voici les sujets cruciaux qui ont dû être abordés, et les leçons principales qu'il faut en tirer. 

La survie des équipes en jeu

Carlos Sainz Jr., McLaren MCL34, leads Daniil Kvyat, Toro Rosso STR14, Robert Kubica, Williams FW42, and George Russell, Williams Racing FW42

Lorsque le sport s'est arrêté et que le monde a connu le confinement, la déception a été immense pour les fans. Il était donc évident que la première pensée des organisations sportives était de se relancer pour redonner du bonheur aux gens.

"Personnellement, j'étais convaincu dès le départ que nous devions nous battre pour reprendre, car en Allemagne, à l'heure actuelle, environ 200'000 personnes ont été testées positif, mais comme dans chaque pays, environ 80 millions de gens avaient le virus à l'esprit", explique Seifert. "J'étais donc convaincu que ça avait du sens de reprendre. Apporter quelque chose d'autres aux gens à la télévision, un sujet de discussion, de quoi parler avec les amis et avoir une certaine distraction par rapport à la situation."

Cependant, pour le football comme pour la F1, la suspension des épreuves n'était pas qu'une question de divertissement, car des milliers d'emplois étaient aussi en jeu. C'est pourquoi la Bundesliga a adopté la même politique que la F1 et la FIA en faisant tout son possible pour que les choses reprennent, craignant de voir des équipes disparaître.

"Nous n'avions pas d'autre choix que de réfléchir fortement à la manière de reprendre", ajoute Seifert, dont le rôle consiste à superviser les 36 clubs de football masculin et féminin. "Lorsque nous avons interrompu le championnat à la mi-mars, nous savions qu'en six à huit semaines, un tiers des clubs allait connaître d'énormes difficultés financières. Globalement, la Bundesliga porte 56'000 emplois en Allemagne, et j'ai envie de dire que ça valait la peine de se battre."

"De plus, de par la structure de notre sport, nous avions l'opportunité de reprendre, car la billetterie représente moins de 50% du chiffre d'affaires des clubs. Environ 60% proviennent des droits TV et du sponsoring. Alors revenir à l'écran permettait de régler la source des revenus TV, tout en donnant de la valeur pour les sponsors qui avaient déjà payé."

Faire confiance aux dirigeants

Jean Todt, President, FIA

En temps de crise, un leadership fort est nécessaire. Tout comme la FIA a donné à son président Jean Todt des pouvoir supplémentaires pour prendre des décisions sans attendre le soutien unanime des équipes, les clubs de Bundesliga ont fait confiance à Seifert pour régler les problèmes.

"Les 36 clubs de Bundesliga et Bundesliga 2 m'ont permis d'évoluer vers une organisation relativement forte. J'avais le plein soutien des plus grands clubs en Allemagne, à savoir le Bayern Munich et le Borussia Dortmund, mais aussi de tous les autres clubs. Cela m'a permis d'être dans une position de force lorsque je discutais avec les politiques, et de prendre des engagements forts. Mais je sais que la ligue était également derrière moi lorsque je parlais publiquement. Plus l'unité est forte, plus cela entraîne tous les niveaux de gestion qui existent et qu'il faut mettre en place. C'est certainement ce que nous avions : une organisation relativement forte."

Autre élément essentiel, les dirigeants étaient déterminés à ne pas rester les bras croisés. Todt a évoqué une "nouvelle donne" pour le sport automobile et pris des mesures rapides et immédiates, ce qu'a également fait la Bundesliga.

"Quand nous avons stoppé le championnat le 13 mars, dans la nuit du 15 j'ai défini les choses à la maison. Comme Ross [Brawn] le sait, il y a eu des périodes où le sommeil était rare car énormément de choses vous passent par la tête. J'étais réveillé la nuit et j'ai défini six axes de travail, que nous avons suivis de manière assez disciplinée."

"Le 16 mars, nous avons commencé à mettre en place les premières visioconférences pour réunir une équipe médicale qui serait capable de définir un concept de reprise. Entre l'interruption et le début du travail, il s'est passé trois jours. Il n'y a pas eu de perte de temps avec des discussions sur la stratégie ou autre. Les temps de crise sont des temps de leadership. Il faut faire quelque chose, et c'est exactement ce que nous avons fait."

Combattre l'intérêt personnel

Mattia Binotto, Team Principal Ferrari

Quand la FIA et Liberty Media ont fait pression pour une réduction des coûts draconienne et pour un plafonnement budgétaire accentué, les plus grandes écuries ont d'abord rechigné. En particulier Ferrari, qui ne voulait pas abaisser le plafond sous les 145 millions de dollars pour 2021, redoutant de trop nombreuses pertes d'emplois.

La Bundesliga a également fait face à la réticence de certains clubs quant à la reprise de la saison, mais il s'agissait davantage de raisons sportives. Pour ceux qui risquaient une relégation si la saison allait à son terme, il y avait un intérêt évident à voir le championnat annulé.

"Des clubs auraient pu bénéficier de l'arrêt du championnat, car nous avons un système de promotions et de relégations", précise Seifert. "Si nous avions stoppé le championnat, annulé la saison ainsi que les promotions et les relégations, certains clubs en auraient probablement profité. Il y a eu des rumeurs et des discussions, pas publiques mais en coulisses au départ, selon lesquelles des clubs n'étaient peut-être pas motivés pour terminer le championnat. C'est quelque chose que nous avons dû régler en premier, et ça a marché."

L'autre point clé était de faire en sorte que les stars – dans ce cas précis les joueurs de Bundesliga – soient heureuses de reprendre. "Au tout début, quand personne ne savait comment tout ça allait se terminer, les joueurs ont eu très peur. Je comprends parfaitement, et c'était notre devoir envers eux et leurs familles de les convaincre du mieux possible quant au concept médical que nous avions, quant au fait qu'ils étaient absolument en sécurité à l'entraînement ou en jouant les uns contre les autres."

Expliquer clairement les choses

Michael Masi, Race Director, Andrew Westacott, Australian Grand Prix Corporation CEO and Chase Carey, Chairman, Formula 1 talks to the press

À l'heure où le monde s'accommode d'une "nouvelle normalité", il était inévitable de voir les opinions diverger sur l'importance de la reprise du sport. Des fans veulent que cela reparte, d'autres estiment que ce n'est pas le bon moment pour relancer un divertissement alors que des milliers de personnes meurent chaque jour. Seifert reconnaît qu'il s'agit d'un problème auquel la Bundesliga s'est heurtée.

"Naturellement, il y a un état d'esprit ambiant en temps de crise, quand des gens meurent, selon lequel ce n'est pas le moment d'aller s'amuser sur un terrain. Il a été assez difficile de surmonter cet obstacle. Nous avons communiqué avec franchise dès le début pour dire que ce n'était pas une question d'argent et que les joueurs avaient besoin d'un objectif plus important que ça. Le but n'était pas de jouer pour l'argent car la plupart d'entre eux en a déjà suffisamment."

"Il s'agissait de mettre des clubs à l'abri, de sauver des emplois et de protéger ceux qui travaillent dans les bureaux, ceux qui filment, les photographes, les secrétaires, ceux du département marketing ou quoi que ce soit d'autre. Je crois que définir cet objectif plus grand était très important pour nous, pour l'extérieur, afin que les gens comprennent pourquoi nous reprenions, pourquoi ce n'était pas qu'une question d'argent."

Faire face aux fausses informations

Fans outside the paddock

La F1 a été critiquée lors de certaines décisions difficiles à prendre comme les annulations de course ou le choix d'épreuves disputées à huis clos. De la même manière, la Bundesliga a été visée par ceux qui estimaient la reprise prématurée.

Tout sport de haut niveau aura toujours ses sceptiques, et dans une période de mauvaises nouvelles, il était facile pour les plus mécontents de souligner qu'il était plus important de soigner les malades que de divertir les foules. La Bundesliga a ressenti ce frein généré par ces informations négatives, avec parfois des accusations sans fondement.

"Nous sommes devenus un sujet politique", explique Seifert. "En fait, nous avons dû composer avec de nombreuses fausses informations pendant des semaines, qui ont aussi touché les fans. Nous constatons que les audiences ne sont pas revenues au niveau d'avant. C'est parce que nous avons dû combattre les informations selon lesquelles nous privions les infirmières et les médecins de capacités de test, nous étions inconscients, nous étions insensibles, ou bien nous ne devrions pas jouer car les enfants n'y étaient pas autorisés. Tout cela a été très, très difficile à surmonter."

Ne pas s'attendre à ce que tout soit parfait

Charles Leclerc, Ferrari SF90, and Max Verstappen, Red Bull Racing RB15 and the field are waiting for the start

Dans un monde idéal, le sport peut reprendre grâce à toutes les précautions mises en place afin de ne pas subir d'épidémie ou d'infections dans le football ou en F1, mais en réalité, il y aura probablement des cas isolés. Vouloir que tout soit parfait est une illusion. En assumant la réalité avec une approche rationnelle et en disposant des bonnes stratégies contrairement à ce qui a manqué lors du Grand Prix d'Australie, il y a de meilleures chances de voir les activités reprendre.

"Je me suis dit : nous devons boucler neuf journées de championnat", raconte Seifert. "Donc pour huit semaines de sept jours, si chaque jour 600 personnes sont testées positif et qu'il y a environ 10% de cas non déclarés, cela voudrait dire qu'il y a 0,4% de cas positifs en dix mois. Si je remets ça au niveau de 1000 joueurs, cela voudrait dire quatre joueurs testés positif. Et si l'on a 99,6% de chances de réussir, on devrait le faire. Notre concept devrait dépasser ce pourcentage. Dès le départ, je me suis dit : 'OK, c'est une situation difficile, mais il ne faut pas devenir hystérique. Si je regarde les chiffres, nous avons de bonnes chances de terminer le championnat'."

Pas de public, c'est mieux que pas de sport

Empty grandstands

Quand l'idée d'organiser des épreuves de football ou de F1 à huis clos a pris de l'épaisseur, il y a eu un retour de bâton inévitable. La réalité pourtant, c'est que si le sport attendait le retour du public, cela voulait dire qu'il ne se serait rien passé du tout.

"Quelqu'un qui ne veut pas de matchs à huis clos doit accepter que dix à 15 clubs feront faillite tôt ou tard", avance Seifert. "Nous avons essayé de brosser un tableau plus large. Oui, on voit des millionnaires jouer sur un terrain, mais au bout du compte, des milliers d'emplois sont créés dans leur ombre. Et ce ne sont pas des millionnaires."

Ne pas avoir de public ajoute des problématiques. La conséquence la plus évidente est le manque d'ambiance dans les stades. Comment la Bundesliga a-t-elle abordé cet aspect ? "Nous avons changé un peu les angles des caméras, nous avons modifié un peu le concept audio avec les micros, et dès le départ c'était plutôt bien. En Allemagne, Sky a proposé une bande sonore artificielle tirée des mêmes matchs des saisons précédentes, ce qui a plutôt bien fonctionné. Mais soyons francs : pour tout match diffusé, vous verrez du football mais les gens constaterons aussi qu'il y a un truc qui cloche."

Les avantages prennent le dessus sur les inconvénients

Valtteri Bottas, Mercedes AMG W10

En fin de compte, malgré des audiences en baisse, des critiques et des plaintes venant des fans au sujet de l'ambiance, la reprise de la Bundesliga peut être considérée comme un succès. Cela devrait donner un peu de courage à la F1 pour continuer sur la voie d'une reprise de la compétition en estimant qu'il s'agit globalement de la bonne chose à faire.

Les pour ont-ils pris le dessus sur les contre ? "Dans l'ensemble je dirais clairement oui, car en tant que directeur général mon travail est de diriger ces deux institutions allemandes que sont la Bundesliga et la Bundesliga 2 avec leurs 36 clubs", répond Seifert. "Franchement, ce n'est pas mon boulot et je ne peux pas garantir que chacun de ces 36 clubs survivra à la crise. Mais je peux espérer mener ces deux marques à travers la crise avec mes collègues. Et selon moi, c'est ce que nous faisons."

"D'un autre côté, nous voyons actuellement que les gens parlent de nouveau de la Bundesliga, ils la suivent et ils parlent d'autre chose [que du coronavirus]. Je crois que pour le public, pour la santé mentale, c'était un petit pas vers un retour à la normale. Alors globalement, c'était vraiment quelque chose de positif à faire. Bien que, jusqu'à ce que cela se produise, je peux vous dire que j'ai reçu beaucoup de merde au visage."

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