Le dramatique comeback de Mark Donohue en F1

Mark Donohue, sorti de sa retraite pour mener l'écurie de Formule 1 de Roger Penske, semblait être un partenaire idéal. L'opération s'est transformée en véritable tragédie.

Mark Donohue, March 751

Photo de: Sutton Motorsport Images

Lorsque Mark Donohue est décédé à la suite du Grand Prix d'Autriche 1975, la course automobile a perdu non seulement un pilote extrêmement performant, mais aussi quelqu'un qui aurait sûrement connu une carrière longue et productive en tant que directeur d'équipe.

Diplômé en génie mécanique et issu d'un milieu aisé du New Jersey, Donohue a tout gagné sur la scène américaine, dans toutes les catégories majeures. De 1966 à sa mort, il a entretenu une amitié forte et une relation de travail étroite avec Roger Penske. Ensemble, ils formaient un duo formidable.

La tournure tragique de l'histoire tient du fait qu'il soit sorti de sa retraite pour concourir en tant que débutant de 38 ans dans la seule arène qu'il lui restait à conquérir : celle des Grands Prix. Malheureusement, le monde de la F1 ne verra jamais à quel point il était bon.

"Mark était un type très discret, très terre à terre", déclarait Emerson Fittipaldi, qui a fait sa connaissance dans la série IROC. "Il était très intelligent. Je dirais que c'était un talent incroyable, un pilote très technique, très concentré. Il était extrêmement rapide et régulier, l'un des meilleurs pilotes contre lesquels j'ai couru. Il a tout commencé avec Roger, et c'était une relation très forte. C'était similaire à Colin Chapman et Jim Clark."

Donohue était bien plus que le simple pilote : il faisait partie intégrante de l'organisation Penske, aidant à poser les bases de la structure qui gagne encore aujourd'hui. Des décennies avant que l'étude de la télémétrie et des données ne devienne la norme, il a creusé plus profondément dans les domaines des réglages des voitures que quiconque avant lui, toujours à la recherche de ce qu'il appelait "l'avantage injuste" (ou "unfair advantage") ; le nom qu'il a donné au livre qui a contribué à cimenter son image de pilote de course réfléchi.

Il était célèbre pour son habitude d'utiliser un skidpad (une piste circulaire spécialement conçue pour tester la maniabilité d'une voiture) afin d'explorer les limites mécaniques d'une voiture, même pour les monoplaces sans ailerons, tout en essayant d'affiner la suspension.

"Il était très brillant et très réfléchi", disait Don Cox, ancien ingénieur de Penske. "Et il avait vraiment un bon feeling avec la voiture. Il travaillait très dur dans la voiture, et il travaillait très dur en dehors avec l'équipe, en essayant d'organiser les choses. Il travaillait sans relâche, jour et nuit. Roger et Mark étaient parfaitement assortis."

 

Au fil des ans, ce bourreau de travail s'éparpillait, s'engageant dans trop de catégories différentes, et son premier mariage s'effondrait sous la pression.

Après avoir remporté le titre Can-Am en 1973, il annonçait sa retraite à la fin de la saison. Il trouvait tout de même le temps de remporter la série inaugurale IROC sur une Porsche 911, qui se terminait en février 1974, en battant des concurrents comme Fittipaldi, AJ Foyt, Richard Petty, Denny Hulme et Bobby Unser.

À cette époque, il était très impliqué dans son nouveau rôle de président de Penske Racing, où il était responsable de tous les projets de course et d'ingénierie. Il avait déjà réalisé une grande partie de ce travail, laissant à Roger le soin de développer ses autres activités. Malgré tout, il trouvait cela difficile d'être de l'autre côté du muret des stands, travaillant avec des pilotes qui comprenaient moins bien la technologie.

Au début de 1974, Penske a relevé l'un de ses plus grands défis en lançant un projet en F1. Il y avait eu une brève incursion auparavant, lorsqu'il avait loué une McLaren d'usine et que Donohue avait terminé troisième lors d'un Grand Prix du Canada humide en 1971. C'était une superbe performance pour ses débuts, mais il était déçu, frustré de ne pas avoir été en mesure de régler la voiture.

"Tout le monde m'a dit que c'était génial que je finisse troisième dans ma première course de F1", écrivait Mark dans The Unfair Advantage. "Mais ce n'était pas si génial pour moi. C'était seulement à cause de la pluie. J'étais quand même déçu de la voiture, et de mon manque de capacité à la faire évoluer."

Après des années à peaufiner les machines des autres, Penske voulait cette fois construire son propre châssis. Il faisait alors l'acquisition de l'ancienne usine de Formule 5000 Leda/McRae à Poole comme base européenne, et engageait l'ancien concepteur de chez Brabham, Geoff Ferris.

Jochen Mass était d'abord pressenti comme pilote, mais après avoir essayé la nouvelle PC1 sur la piste, Donohue acceptait de sortir de sa retraite et de piloter la voiture. Dans son livre, il reconnaît qu'il "mettait à nouveau sa vie en jeu". Il était excité par le défi, et savait que cela prendrait du temps. Mais il est clair qu'il avait lutté pour justifier sa décision, à la fois pour lui-même et pour son entourage.

 

"Bien sûr, je pilote à nouveau des voitures de course", a-t-il écrit. "Mais ce n'est pas tant que j'ai changé d'avis, c'est que je recommence à zéro. C'est un championnat différent, sur des pistes différentes, dans des pays différents, avec des pilotes différents dans des voitures différentes, et cela demande une approche différente. J'ai même une attitude différente."

Et d'ajouter : "Et pour être tout à fait honnête, j'ai besoin d'argent."

Après de nombreux essais, la PC1 faisait ses débuts au Canada en 1974. Le même week-end, l'écurie rivale Parnelli faisait également son entrée en F1, avec Mario Andretti (de trois ans son cadet) au volant. Un début discret, puisque la Penske terminait 12e à Mosport, puis abandonnait avec un problème de suspension à Watkins Glen.

Cet hiver-là, Donohue épouse sa petite amie, Eden White, mannequin et mondaine originaire d'Atlanta, qu'il a rencontré alors qu'il se remettait d'un énorme accident de Can-Am en 1972. C'était vraiment le début d'une nouvelle vie. Le couple s'installait dans un appartement loué à Bournemouth pour que Donohue puisse être proche de l'usine de Poole. Lorsqu'il ne faisait pas de tours de piste, White trouvait le temps de vendre des antiquités dans le quartier de Portobello Road.

La saison 1975 de F1 commençait par une septième place en Argentine, un abandon après que l'aileron arrière ait commencé à se désagréger au Brésil, et une huitième place en Afrique du Sud. À son grand regret, Donohue ne se qualifiait jamais plus haut que 15e, ce qui était décevant pour un homme si habitué à imposer son rythme.

De retour en Europe, les choses ne se sont pas arrangées. À la Race of Champions, il luttait contre des problèmes de maniabilité, et finissait par abandonner après deux tours. Il obtenait une sixième place solide lors de l'International Trophy, mais s'est ensuite accidenté à Montjuïc Park (sur de l'huile) et à nouveau à Monaco (où la suspension avant avait commencé à fléchir). Il terminait ensuite à une piètre 11e place à Zolder, dans une voiture mal équilibrée.

À ce moment-là, il fut même suggéré que Penske, qui avait passé le mois de mai à superviser ses efforts pour les 500 Miles d'Indianapolis, perdait son intérêt.

Donohue n'arrivait pas à mener la PC1 là où il la voulait, et les choses se compliquaient en passant régulièrement d'un châssis à l'autre, et en expérimentant des versions à empattement long/court et à piste large/étroite. Pour une fois, son arme secrète, le skidpad, n'a pas aidé.

"Les pneus auxquels je suis habitué montent à la température de fonctionnement et y restent", avait-il déclaré à Pete Lyons pour Autosport cet été-là. "Mais ces pneus deviennent de plus en plus chauds sur le pad, et vous n'arrivez pas à calmer la voiture."

 

Il avait également eu du mal à s'adapter au rythme des week-ends de course de F1. Le calendrier ne lui permettait pas d'effectuer le kilométrage nécessaire pour adapter la voiture et son pilotage aux circuits qu'il découvrait pour la première fois.

En outre, Penske était une petite équipe composée d'une seule voiture et, malgré le sponsoring très médiatisé de la Citibank, le budget était serré. Nick Goozee, alors mécanicien/fabricant, et qui deviendra plus tard le patron de Penske Cars, possédait un point de vue intéressant.

"Bien qu'il ne soit pas du tout un chercheur d'attention, Mark était habitué à être le centre de l'attention", disait-il. "Mais les équipes de F1 américaines de 1975 étaient considérées comme des seconds couteaux dans le paddock. Mark avait l'habitude de se promener dans la voie des stands et de regarder ses adversaires – qui considéraient probablement cela comme un honneur – et de constater les différences techniques entre les voitures. La communauté de la F1 n'était pas accueillante à cet égard, ni à aucun autre. Il y avait énormément de différences entre le pilotage d'une F1 et celui des Can-Am et IndyCar de l'époque. Mark était frustré par ses performances et celles de la voiture."

Goozee ajoutait que Ferris, le concepteur de la PC1, s'était retrouvé sur la touche alors que Donohue prenait seul en charge les questions d'ingénierie. Cette équipe avait l'habitude d'acheter une voiture et de la perfectionner, plutôt que de travailler avec celui qui l'avait créée.

"En Amérique, les choses étaient différentes", expliquait Goozee. "Là-bas, le chef mécanicien était omnipotent et faisait partie d'un triumvirat entre lui, le pilote et le propriétaire de l'équipe, qui assumaient ensemble la responsabilité des performances et du développement de la voiture qu'ils pilotaient."

En dehors de la piste, Donohue a bénéficié d'un coup de boost lorsque son fils aîné Michael lui a rendu une visite estivale au Royaume-Uni, bien que, comme toujours, le travail ait eu la priorité.

"Dès que j'ai atterri, nous sommes allés à une séance d'essais à Silverstone", se souvient Donohue Jr. "Lui et ma belle-mère vivaient dans un appartement à Bournemouth. Je ne pense pas qu'il se souciait beaucoup de l'endroit où il vivait – c'était juste à proximité des voitures de course."

 

 

"J'ai traîné avec eux pendant quelques semaines, mais la seule course à laquelle je suis allé était Zandvoort. On a fait une excursion d'une journée en Italie pour voir un fabricant de volants ! Je ne pense pas qu'ils soient revenus souvent aux États-Unis, l'argent manquait."

Donohue récoltait les premiers points de Penske avec une cinquième place en Suède, et terminait huitième aux Pays-Bas, bien qu'il se qualifiait toujours entre la 16e et la 18e place.

Il était temps de repenser la situation, en partie pour satisfaire un sponsor titre impatient. Le lendemain de la course de Zandvoort, Penske appelait personnellement Autosport pour confirmer qu'il avait acheté une nouvelle March 751, après avoir envisagé l'acquisition d'une Hesketh.

Il insistait sur le fait que c'était uniquement pour donner à Donohue et à l'équipe une base de référence pendant qu'ils travaillaient au développement de la PC1, et qu'il n'y avait aucune intention de la faire courir.

L'optimisme était de mise à Silverstone, lorsque le châssis nouvellement fourni tournait 2,5 secondes plus vite que la Penske. Il est rapidement apparu que Donohue allait effectivement courir avec la March, et que la PC1 serait mise en veilleuse. Hélas, les essais ne se sont pas avérés concluants lors du week-end du Grand Prix de Grande-Bretagne. Donohue était plus satisfait de la 751 (elle semblait bien répondre à son pilotage), mais il avait de nouveau du mal à se mettre dans le rythme, se qualifiant 15e.

En course, il gagnait deux points supplémentaires en se classant cinquième, bien qu'il ait été l'un des nombreux pilotes à sortir sous la pluie avant le drapeau rouge. Après Silverstone, le châssis endommagé devait être reconstruit en grande partie avant le Nürburgring, où Mark s'élançait 19e.

"En Allemagne, nous n'arrivions pas à garder les pneus avant sur la voiture", se souvenait Karl Kainhofer, chef mécanicien de Penske. "Nous avions perdu l'avant gauche au premier tour, puis au tour suivant, nous avions perdu l'avant droit, et c'était la fin, car il n'a pas pu rentrer aux stands."

Au début du mois d'août, Donohue faisait un rare retour aux États-Unis pour mener à bien un projet sur lequel il travaillait avec Penske depuis un certain temps : une tentative de record du monde sur circuit fermé avec une Porsche 917-30K Can-Am modifiée.

 

 

Après avoir tiré de précieuses leçons d'une tentative avortée à Daytona plus tôt dans l'année, et après avoir retouché le package, le pilote tournait à Talladega à plus de 355 km/h. Mission accomplie.

Donohue s'est alors rendu à l'Osterreichring, encouragé par cet exploit, comme le notait Lyons : "Il était encore sous l'emprise d'une sorte d'euphorie tranquille à ce sujet en Autriche. 'C'est la seule chose que j'ai accomplie cette année', disait-il dit avec un petit sourire."

De retour dans sa F1, les choses ne se sont pas déroulées aussi tranquillement. Il a plu durant une grande partie du samedi et, incapable de réaliser un temps plus rapide, Donohue devait se contenter de la 21e place, établie dans une brève fenêtre sèche en début de journée. Avec Zolder, c'était sa pire position sur la grille de départ de la saison.

Kainhofer pensait que Donohue essayait un réglage avec de faibles pressions de pneus : "Mark étant l'ingénieur, c'est lui qui a pris les décisions concernant les réglages. Il a vraiment essayé de faire fonctionner la voiture en ajustant le châssis et les pressions des pneus. Nous avons eu un problème avec l'avant de la voiture. Quand vous essayez si fort de la faire fonctionner, vous allez forcément dans la mauvaise direction. Les basses pressions des pneus créent beaucoup de chaleur."

Tôt lors du warm-up matinal du dimanche, Donohue approchait de la courbe à droite rapide au-delà des stands, quand il subit une défaillance de son pneu avant gauche, fortement chargé dans le virage précédent.

La March percuta la barrière de protection, qui plongea sous la voiture et contribua à la faire passer par-dessus la barrière et à l'envoyer dans un panneau publicitaire. "J'ai vu qu'il était sorti et j'ai arrêté ma voiture", se souvenait Fittipaldi. "Je suis allé là-bas et il m'a reconnu. Il avait l'habitude de m'appeler 'Emmy', pas Emmo. Il m'a dit : 'Emmy, Emmy'. J'ai dit : 'Mark, ça va ?'. Il a dit, 'Je vais bien, je vais bien'."

Donohue semblait indemne, mais il avait reçu un coup sur la tête, soit d'un poteau de grillage, soit d'une structure soutenant un panneau publicitaire. Les haubans de l'arceau orientés vers l'avant, marque de fabrique de March, qui étaient pliés, l'avaient au moins protégé dans une certaine mesure.

 

 

"Nous avons enlevé le casque, et il était assis dans une position tout à fait normale", expliquait Fittipaldi. "Et puis nous l'avons accompagné jusqu'à l'ambulance, moi et Rolf Stommelen, peut-être à 150 mètres. Il a marché à côté de moi. Je lui tenais la main, il était un peu étourdi, mais nous avons marché. L'ambulance était juste là où j'avais garé ma voiture."

Donohue a d'abord été emmené à l'unité médicale mobile des Grands Prix, qui se déplaçait à chaque course, où plusieurs personnes lui ont parlé, dont Kainhofer et Andretti. Après s'être plaint de maux de tête et avoir été désorienté, il a été transporté par un hélicoptère militaire vers un hôpital situé à environ 80 km de là, à Graz, un établissement connu pour son expertise en neurochirurgie.

Pendant ce temps, Kainhofer ramenait White à l'hôtel sur le scooter de Donohue. Ils ont récupéré la Porsche 911 prêtée à Donohue et ont foncé jusqu'à l'hôpital. L'état du pilote s'était détérioré dans l'hélicoptère après la formation d'un caillot de sang, et il s'est retrouvé en chirurgie alors que les médecins tentaient de soulager la pression. Son père, sa belle-mère et Penske ont tous pris l'avion des États-Unis dans la nuit de dimanche à lundi.

Il est clair que la situation était grave, et le mardi soir, Donohue perdait son combat pour la vie. Un commissaire, Manfred Schaller, décédait également des suites des blessures subies dans l'accident.

Au début de 1976, une action en justice a été lancée par la succession de Donohue, affirmant que le pneu était défectueux. En 1984, la cour supérieure de Rhode Island infligeait une amende de 19,5 millions de dollars à Goodyear et, après un appel, l'affaire a finalement été résolue deux ans plus tard par un règlement à l'amiable dont les termes sont restés secrets.

Toute cette affaire s'est avérée décevante pour tous ceux qui avaient travaillé avec Donohue, qui était parfaitement conscient des risques qu'il courait chaque fois qu'il prenait place dans une voiture de course. Il est facile d'imaginer Donohue, un mois plus jeune que Penske, travaillant encore avec l'organisation qu'il a contribué à créer. Quant à son héritage, il réside dans l'extraordinaire succès obtenu par l'équipe, qui fête son 55e anniversaire en 2021.

"J'ai travaillé pour Roger Penske pendant un certain nombre d'années", racontait Michael Donohue. "Il s'est tourné vers moi une fois et m'a dit : "Tu sais, ton père m'a appris à gérer. Il faisait bien plus que ce que les pilotes font aujourd'hui'."

 

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