Quand Peter Sauber sauva son écurie en 12 heures chrono
Dix ans après le retrait brutal de BMW, l'écurie bâtie par Peter Sauber est toujours une force vive du plateau F1. Une réalité que la structure suisse doit à la prise de risque de son fondateur.
Nick Heidfeld, BMW Sauber C29
Sutton Motorsport Images
Rétro : Dans l'Histoire des sports méca
Sur deux ou quatre roues, replongez-vous dans l'Histoire des sports mécaniques, celle qui a écrit la légende des hommes et des machines durant des décennies.
Il avait été aux commandes de son écurie de Formule 1 pendant 17 ans, dont les quatre dernières passées en tant que discret partenaire du nouveau (dépensier) propriétaire BMW. Mais en 2010, Peter Sauber dut prendre une grande décision : celle de laisser de côté ce qui aurait pu être, à 66 ans, une retraite méritée, pour ne pas perdre l’immense héritage de sa brave équipe indépendante et laisser l’intégralité de ses employés ainsi que l’usine suisse sur le carreau. Directeur d'équipe ayant su éviter de jouer les Parrains dans le rude Piranha Club, il dut pourtant faire sienne la phrase de Michael Corleone : "Alors que je pensais tout juste en être sorti, ils me tirent de nouveau dedans !"
Cette équipe formée en 1970, Peter Sauber ne pouvait la laisser dépérir. Bien entendu, reprendre les affaires seul, pour l’homme au cigare, n’avait rien de simple, à l’heure où tant de monde souffrait de la crise : il y avait bien une raison derrière les départs de Renault, BMW, Toyota, Honda et Bridgestone, après tout ! Dans un contexte économique morose, Sauber le pionnier n’a pourtant pas eu à réfléchir et a pris le risque d’y aller de sa poche, comme un certain Ross Brawn l’avait fait avant lui avec l’équipe Honda, revendue à Mercedes après l’aventure que l’on connaît.
Un sauveur discret et pragmatique
"C'est gros", admettait Sauber au sujet de son pari et des implications financières personnelles. Avant le rachat des mains de BMW, le patron ne disposait que de 20% des parts. "Le risque est plus élevé que je ne le souhaiterais", souriait-il, fataliste. "Mais il s’agit de la seule manière de sauver l'équipe, car il était clair que BMW allait fermer l’usine. Je n’avais pas de temps : peut-être 12 heures pour prendre la décision ! Ce fut donc une décision prise avec mon cœur plus qu’avec ma tête."
Derrière sa placidité légendaire, Sauber est un grand passionné, mais revenir était un devoir, pas un besoin. "Faire face à la possibilité de voir l'équipe mourir était vraiment dur. Ni les gens à l’intérieur ou à l’extérieur du team ne pouvaient ne serait-ce qu’imaginer ce que cela signifiait pour moi de reprendre le risque financier et la responsabilité." Mais en homme humble et discret qu’il est, Sauber ne rend pas public ce point outre-mesure et n’insiste pas en jetant des chiffres sensationnels. Beaucoup, à sa place, en auraient au moins exploité une image de preux chevalier, sauveur de foyers.
Et pour relancer l'écurie dans le contexte de 2010 et donner une chance aux autos et combinaisons blanches de Kamui Kobayashi et Pedro de la Rosa de se parer de sponsors, une seule méthode, toujours la même : valeurs conservatrices, modestie, et attention de tous les instants aux détails.
"L’approche pragmatique est la seule manière de survivre en F1", estime-t-il. "Nous l’avons vu auparavant. Entre 1990 et 2005, environ 28 équipes ont quitté la F1 ; c’est plus que ce à quoi l’on s’attend. Les équipes anglaises se moquaient de moi à l’époque et disaient : 'Peter ne veut pas gagner de courses'. Mais nous avons gagné des courses contre les Jaguar de Tom Walkinshaw en Groupe C et ce n’était pas évident. Je sais ce que c’est que de remporter de grandes courses – Le Mans, par exemple – contre sept constructeurs. J’aime gagner, mais je ne suis pas un rêveur. Certaines des équipes qui m’ont critiqué ne sont plus en F1… Je ne suis pas seulement un compétiteur, je suis un entrepreneur, et c’est plus important que le fun", rappelle-t-il avec gravité.
Un instinct conservateur somme toute pimenté de décisions bien audacieuses : c’est tout de même Sauber qui a lancé les carrières F1 de Kimi Räikkönen depuis la Formule Renault UK ou de Felipe Massa depuis la F3000 Brésilienne. Et malgré la perte du moteur BMW et de ses immenses ressources il y a dix ans, Sauber est encore bel et bien là aujourd'hui et a su se réinventer un modèle avec Alfa Romeo. Lui a de nouveau pris du recul, sa mission de sauvetage accomplie : "Après avoir décidé de revenir, il était important de se montrer positif. J’en avais fini avec la F1, mais j’en conservais de bons souvenirs. Vous ne m’avez jamais entendu dire de choses négatives sur la F1 ou les gens en F1."
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