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Romain Grosjean et le rôle du pilote en Formule 1

Arrivant peut-être au terme de sa carrière en Formule 1, Romain Grosjean revient sur l'évolution du métier de pilote depuis la fin des années 2000.

Romain Grosjean, Haas F1

Photo de: Andy Hone / Motorsport Images

"Je suis passé de deuxième pilote à rookie, à pilote expérimenté, à leader d'équipe…" De Renault à Haas en passant par Lotus, Romain Grosjean a connu une longue carrière en Formule 1, marquée par 175 départs en Grand Prix et dix podiums.

Les débuts dans l'élite n'avaient pas été faciles pour le Français, promu chez Renault aux côtés de Fernando Alonso en cours de saison 2009 pour remplacer Nelson Piquet Jr, un an à peine après ses premiers tours de roue au volant d'une Formule 1. Ces derniers avaient eu lieu sur la courte version Stowe du circuit de Silverstone, au volant de la Renault R27 de l'année précédente.

"C'était extraordinaire", se remémore Grosjean. "Je me souviens du bruit, des vibrations. La sensation bizarre que j'avais, c'est que j'avais regardé tellement de caméras embarquées que j'avais l'impression de déjà connaître la voiture avant de l'avoir pilotée. En roulant, en entendant le son, comme on entend à travers les caméras embarquées, j'avais l'impression d'avoir déjà vécu cette scène, même si ça n'avait pas été le cas."

Le jeune pilote avait eu, de son propre aveu, "la chance" de gravir les échelons à une époque où certains éléments pouvaient être développés en Formule 3, alors qu'à notre époque, les monoplaces des formules de promotion sont devenues strictement monotypes. "On avait le choix de tester les mono et double suspensions à l'avant, des pièces aéro, etc., c'était super intéressant", détaille-t-il.

"Aujourd'hui, pour les jeunes, c'est un peu la limitation : ce ne sont que des formules monotypes où tu n'as plus le droit de faire évoluer les voitures. Je pense que maintenant, quand on arrive en Formule 1, il faut vraiment essayer d'apprendre au maximum d'un pilote expérimenté. Je pense que pour une équipe, avoir deux jeunes pilotes qui arrivent, ce serait se tirer une balle dans le pied."

Apprendre d'un pilote expérimenté, c'est ce qu'a fait Grosjean aux côtés de Fernando Alonso lors de ces sept derniers Grands Prix de la saison 2009, mais les circonstances étaient loin d'être idéales pour celui qui était alors candidat au titre GP2 et qui n'a pas marqué le moindre point jusqu'à la fin de la saison, perdant son volant pour 2010 avec la vente de l'écurie par le Losange.

Romain Grosjean, Renault F1 Team R29

Pourtant, à l'époque, le GP2 et la Formule 1 étaient plus proches en termes de chronos, avec un écart (en prenant chaque pole position comme référence) qui avoisinait les sept secondes sur tous les circuits sauf Monaco et Spa-Francorchamps. Onze ans plus tard, entre la F1 et la F2, c'est plutôt le double : les monoplaces de la catégorie reine sont plus rapides que jamais, celles de son antichambre sont légèrement moins véloces qu'avant.

"C'est rigolo de parler avec des jeunes de la Formule 2, parce qu'ils disent : 'Oh, la Formule 1 c'est moins physique, nous on n'a pas de direction assistée, etc.'", s'amuse Grosjean. "Je rigole doucement, parce qu'oui, c'est vrai, sur les bras, la Formule 1, c'est plus facile. Mais les g qu'on prend, et dix secondes au tour, ce n'est quand même pas négligeable aujourd'hui. C'est un gros step."

Il nuance cependant : "Conduire la voiture, tu t'y fais : ça va plus vite, effectivement il y a des différentiels, les récupérations d'énergie, etc., il y a pas mal de choses à comprendre. Après, il y a quatre roues et un volant, il faut freiner tard et accélérer tôt. Mais jusqu'en Formule 2, tu payes pour rouler, c'est un peu toi le 'client'. Tu passes en Formule 1, tu deviens l'employé."

"Qui dit employé dit pas mal de contraintes : beaucoup plus de médias, beaucoup plus de marketing, beaucoup plus de demandes à droite et à gauche. Beaucoup plus de choses à gérer dans ce que tu dis, ce que tu fais, ta façon d'être. Et en plus de ça, conduire les voitures les plus rapides au monde. Je dirais que c'est l'ensemble des tâches qui fait que ça en demande beaucoup."

Romain Grosjean, Haas F1 dans le paddock

Actuel pilote Haas après être repassé par la structure d'Enstone de 2012 à 2015, Grosjean admet volontiers qu'il n'apprécie pas toutes les facettes de son job. "Nous sommes des employés d'une entreprise, nous devons représenter les sponsors, nous n'avons pas le droit de dire ce que nous pensons tout le temps. Des choses qui font que c'est aujourd'hui un petit peu aseptisé et que nous manquons, je trouve, un peu d'épices d'un certain côté. Mais ça, c'était là depuis le début."

Forcément, les pilotes évoluent dans tous les compartiments au fil de leur carrière. Chacun prend en confiance, acquiert un certain bagage technique, apprend à interpréter l'impact des réglages et des conditions de piste. "Quand tu arrives rookie, la seule chose sur laquelle tu te concentres, c'est essayer d'aller vite, d'apprendre de l'autre pilote et voir comment il évolue, tout en apprenant aussi quelles sont les demandes de la Formule 1 : aller vite, c'est une chose, mais ce n'est malheureusement pas tout. Les médias, le marketing, etc.", énumère Grosjean.

Même en se cantonnant à l'aspect technique, il est clair que l'apprentissage de la F1 n'a rien d'évident. La gestion des pneus Pirelli à dégradation rapide est un art qu'il faut généralement un certain temps pour maîtriser, même si l'utilisation de gommes aux caractéristiques similaires en F2 y contribue. Les unités de puissance hybrides présentes depuis 2014, bien sûr, sont d'un niveau de complexité bien supérieur aux groupes propulseurs atmosphériques précédents. Les pilotes de l'élite s'y sont toutefois rapidement habitués.

Romain Grosjean, Haas VF-20

"Je dirais que le Pirelli fait que c'est complexe [côté technique]", estime Grosjean. "Le début du KERS, c'était compliqué. Maintenant, les choses sont assez stables. La seule chose, c'est que nous passons beaucoup de temps à essayer de comprendre le pneu, à savoir comment le piloter, le faire rouler, l'optimiser en course. C'est un petit peu frustrant, parce que nous aurions juste envie d'attaquer, de rouler et de ne pas forcément se poser la question : 'Si je patine à la sortie du virage 5, le virage 6 et le virage 7 vont être compliqués, comment je vais faire ?'"

Au fur et à mesure qu'il prend de l'expérience et endosse davantage l'envergure d'un leader, un pilote doit donc gérer tous ces aspects, mais pas seulement. Et les attentes évoluent, elles aussi. "Il faut aussi essayer de penser toujours un pas en avant pour savoir dans quelle direction il faut développer la voiture, quels sont les pas à faire pour le futur, quelles sont les caractéristiques qu'il faut améliorer sur la voiture, et essayer toujours d'être la locomotive de l'équipe et de montrer l'exemple : ne pas baisser les bras quand à certains moments les choses ne vont pas."

"Et puis on pardonne beaucoup moins, quand tu as de l'expérience, les petites erreurs. Du moins, ce n'est pas normal de ne pas être au top, on va dire." Grosjean sait de quoi il parle : il fait partie des pilotes qui reçoivent le plus de moqueries, en particulier sur les réseaux sociaux, lorsqu'il commet certaines boulettes, comme son accident sous Safety Car à Bakou en 2018 ou son tête-à-queue à la sortie des stands de Silverstone l'an dernier. Ces quolibets peuvent être considérés comme l'héritage d'une saison 2012 difficile où le tricolore avait connu plusieurs incidents, dont le tristement célèbre carambolage de Spa-Francorchamps, qui lui a valu une suspension d'un Grand Prix.

Romain Grosjean, Lotus E20 Renault, Sergio Perez, Sauber C31 Ferrari, Fernando Alonso, Ferrari F2012, et Lewis Hamilton, McLaren MP4-27 Mercedes

À la suite de cet événement, Grosjean a fait appel aux services d'une psychologue, ce qui s'est avéré bénéfique au point qu'il la consulte toujours, huit ans plus tard. "Je travaille encore avec cette personne", révèle-t-il. "Cela fait huit ans. Je pense que plus généralement que pour la Formule 1, cela aide à devenir quelqu'un de meilleur : un meilleur papa, une meilleure personne, un meilleur mari, et évidemment un meilleur pilote de Formule 1."

"Personnellement, j'ai besoin d'un déclic pour faire quelque chose. Spa 2012 a été ce déclic, mais je suis très content d'avoir poursuivi ce travail : devenir père une première, une deuxième et une troisième fois, être mari pendant dix ans ainsi que pilote de Formule 1… tout cela, ce sont des défis. Les relever d'une meilleure manière, ça aide vraiment. Je pense vraiment que voir un psychologue est quelque chose de très utile dans le monde pour les sportifs, pour les athlètes, mais aussi dans la vie en général, parce que je pense que la vie en général est un défi." Et que Grosjean s'ouvre sans tabou à ce sujet revêt une importance particulière, à l'heure où notre société en général mais aussi le monde du sport accordent davantage d'intérêt à la santé mentale, thème récemment abordé en profondeur par Daniel Ricciardo également. Peut-être d'autres pilotes vont-ils y réfléchir davantage à l'avenir ?

Romain Grosjean, Haas F1

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