Analyse

Dossier - Fernando Alonso, le champion vu de l'intérieur

Dans l'entourage technique et personnel de Fernando Alonso depuis plus de huit ans, Andrea Stella offre une analyse en profondeur du pilote qu'est l'Espagnol et s'essaie à une comparaison entre son approche de la F1 et celle de Michael Schumacher.

Fernando Alonso, McLaren

Fernando Alonso, McLaren

Zak Mauger / Motorsport Images

Dossier spécial : Fernando Alonso

Motorsport.com se penche sur le style de pilotage de Fernando Alonso ainsi que sur ses choix de carrière en F1, avec un accent tout particulier sur son passage chez Ferrari ou encore son retour chez McLaren.

Stella travaille depuis 2010 avec Fernando Alonso. L'Italien a été l'ingénieur de course du double Champion du monde lors de son passage au sein de la Scuderia Ferrari. Il a donc vécu avec lui les moments heureux et les échecs cruels des campagnes 2010 et 2012. Il a aussi assisté à la lente décomposition de la relation d'Alonso avec l'écurie de Maranello, jusqu'au divorce de 2014. Et après cet épisode, Stella a suivi Alonso dans l'aventure McLaren-Honda, qui a rapidement tourné au chemin de croix.

Celui qui est aujourd'hui le directeur de la performance de la structure de Woking a paradoxalement sans doute été présent lors de la période la moins faste de l'Asturien sur le plan des résultats et de la récolte de trophées mais aussi lors de celle où il a le plus été au sommet de ses capacités, mêlant à son talent naturel les bienfaits de la maturité et de l'expérience. Et si la question de son attitude hors piste interroge toujours, au point d'être aujourd'hui largement considérée comme une des raisons de son incapacité à trouver refuge au sein d'une écurie de pointe, pour Stella il est clair que le reste ne souffre pas des mêmes questionnements.

Diaporama :

S'exprimant dans le cadre d'un dossier de la BBC retraçant la carrière de Fernando Alonso, il déclare en préambule et en référence à la longue disette de titres et de victoires de son pilote : "Fernando, c’est l’un de ces cas où on ne peut pas regarder ses trophées pour le placer dans l’Histoire de la Formule 1. Si c’était du golf, si c’était du tennis, ça serait une autre histoire. Mais en F1 ce n’est pas possible. [...] Malheureusement, il ne peut pas vraiment démontrer [qu'il a progressé depuis ses débuts]. Mais pour moi, il suffit de voir où se situe McLaren au championnat constructeurs."

L'écurie britannique figure en effet à une sixième place qui peut paraître tenir du miracle. Certes, il faut préciser d'emblée qu'une position a été gagnée sur tapis vert quand tous les points de Force India avant le GP de Belgique ont été effacés. Mais tout de même, la MCL33 n'a pas brillé par son rythme intrinsèque et cela ne s'est pas amélioré au fil de la saison : sans parler des positions sur la grille, qui peuvent toujours prêter à confusion en raison des pénalités infligées, le classement en qualifications est éloquent. Alonso n'a signé que deux top 10, en Espagne et à Monaco. Le reste du temps, il faut aller au-delà de la Q3, et parfois bien au-delà, pour trouver trace du numéro 14.

Et dans le marasme de McLaren, Alonso a inscrit 50 des 62 unités récoltées par l'écurie en course, lui permettant de devancer à la régulière Sauber et Toro Rosso.

L'Alonso de l'intérieur et l'Alonso de l'extérieur

Amené à évoquer la personnalité de l'ancien pilote Renault et Ferrari, Stella estime que l'une de ses grandes qualités est sa capacité à travailler sur ses faiblesses, à se remettre en question, même s'il admet volontiers que cela ne transparaît pas toujours. "Tout d’abord, il faut comprendre que piloter une voiture n’est pas différent de jouer du violon, dans le sens où il est possible de le faire à différents niveaux. Vous pouvez être le meilleur violoniste et faire les meilleurs concerts, et vous pouvez presque être à ce niveau et la plupart des gens ne feront pas la différence entre être le meilleur violoniste et ne pas en être très loin."

"Pour gravir la dernière marche, tout d’abord, il faut être humble et penser : ‘Ce n’est pas suffisant. Je dois progresser’. Et ensuite : ‘Comment vais-je faire ça ?’ Et même si Fernando peut sembler avoir une personnalité dure, c’est plus une posture. C’est plus quand il participe à une compétition. Quand il est au sein d’un groupe d’ingénieurs, il devient très à l’aise. Il est le premier à dire : ‘Comment je peux m’améliorer ?’"

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Une quête de l'excellence parfois déroutante pour ses ingénieurs : "Quand il est arrivé chez Ferrari, il m’a dit des choses que je ne pouvais pas comprendre. Comme ‘Je ne suis pas un bon pilote sur le mouillé. Je ne suis pas bon à Hockenheim. Je ne suis pas bon [dans ceci, dans cela]…’ Et je me suis dit : ‘Quoi ? Je pensais que tu étais meilleur que ça.’ Il était très ouvert."

"Le processus consistant à être humble, à connaître l’écart qui le sépare de la perfection, est sa grande caractéristique ; je comprends que de l’extérieur ça puisse ne pas être perceptible. Mais dans l’entourage, l’équipe, c’est en fait assez développé. Au fil des années, il a travaillé sur ses faiblesses."

 

"Difficile pour Fernando d'accepter d'être plus lent"

La recherche de la perfection s'est muée pour Alonso en une capacité à se montrer très performant dans de nombreux domaines, en course particulièrement, et en dépit de monoplaces parfois moins véloces. "L’essence de ses qualités est qu’il est très complet. Vous avez du mal à trouver une faiblesse, fondamentalement, sur le plan des capacités de haut niveau. La préparation technique en termes de pilotage. La capacité à composer avec une variété de situations. L’intelligence ; juste la capacité à comprendre la situation dans laquelle il se trouve dans ou en dehors de la voiture."

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Mais aussi en une volonté farouche de réussir qui, dans de mauvaises circonstances et un mauvais environnement, peut ne pas porter ses fruits, au contraire. "L’implication. Chaque pilote est impliqué. Chaque pilote vous dira : ‘Je suis le plus impliqué’. Mais il est vraiment difficile pour Fernando d’accepter qu’il puisse être plus lent que quiconque. C’est vraiment essentiel dans sa nature. Ça a potentiellement pu créer des problèmes quand il n’était pas suffisamment mature pour gérer cet aspect fondamental de son identité."

"Pour gérer cette caractéristique, il faut se développer soi-même en tant qu’humain et il faut également des gens autour de vous pour vous aider à absorber ce problème. J’ai vu ça avec Michael [Schumacher]. Il avait un entourage très solide, dans lequel il y avait l’équipe elle-même, pour en quelque sorte absorber son ambition intérieure d’être le meilleur. Cet aspect de Fernando n’est clairement pas inférieur à celui de Michael, mais il s’exprime de façon différente."

Schumacher-Alonso : ambition similaire, approche différente

La référence à Michael Schumacher ne doit pas être sous-estimée. Andrea Stella, avant de travailler avec Fernando Alonso, a longtemps côtoyé l'Allemand. À différents postes entre 2000 et 2006, il a eu l'occasion d'observer de près celui qui deviendra septuple Champion du monde. Et au moment de tenter de dresser une comparaison, l'Italien prend appui sur l'image d'une représentation circulaire des qualités des pilotes : dans un tel schéma, leur niveau dans chacun des domaines du pilotage serait marqué par un point situé sur des mesures verticales positionnées en cercle et il suffirait ensuite de relier chacune de ses mesures pour obtenir une vision d'ensemble.

"Si vous prenez un cercle de qualités, Fernando est très haut [à tous les niveaux] mais il n’est potentiellement le meilleur dans aucune d’entre elles. Je pense que Michael était possiblement le meilleur dans certaines d’entre elles, mais dans d’autres il était moins bon que Fernando. Donc [le graphique de] Michael serait plutôt en forme d’étoile, alors que celui de Fernando plutôt un cercle parfait, mais potentiellement pas au niveau d’excellence que certains pilotes ont montré [dans certains des domaines]."

Des qualités différentes et des approches opposées. Stella illustre cela en insistant sur deux domaines : le pilotage et les retours techniques. "Michael était un pilote d’attaque. Il approchait les choses en allant au-delà de la limite, [avant d']essayer de revenir vers la limite. Fernando part plutôt sous la limite [et] va vers la limite."

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"Par exemple, la capacité de Michael à contrôler l’arrière et à piloter une voiture survireuse était juste incroyable. Mais parfois, ça devenait sa faiblesse. Parce qu’il pilotait une voiture qui était si survireuse en essais libres que, quand les qualifications arrivaient, là où vous poussez pour ce pour cent supplémentaire, il pouvait avoir trop de survirage, ou trop de dégradation des pneus arrière en course."

"Donc, avec Michael, les ingénieurs devaient avoir un rôle actif pour essayer de contrôler sa capacité et dire : ‘Michael, quand fais-tu cela et quand la voiture fait-elle ceci ? Nous avons besoin de plus de choses venant de la voiture et de moins venant de toi’."

"Fernando comprend mieux ses propres limites, et il est très bon au niveau de la compréhension des domaines dans lesquels il contribue et de ceux où la voiture contribue. Grâce à ça, il peut très bien préparer la voiture pour la course."

"Une autre différence intéressante est que Michael était très analytique et dialectique [dans ses retours]. Nous passions beaucoup de temps à parler de la voiture. Fernando est une personne concise. Quand il revient au stand, dans les trois premiers mots de son retour, il a donné 95% de son avis."

"Avec Michael, la technique était plutôt de filtrer l’essence des détails. Avec Fernando, il s’agit plus d’utiliser beaucoup de questions spécifiques pour obtenir une image suffisamment détaillée."

Pour finir, Stella tient à appuyer sur la sensibilité et la capacité d'adaptation d'Alonso. "Sa sensibilité vis-à-vis de la voiture est exceptionnelle. Il s’agit juste de savoir à quel niveau vous vous sentez à l’aise en tant que pilote. Il se sent à l’aise quand il sait que nous nous attaquons à 90% du problème."

"Avec Fernando, quand il y a un problème, il tend à se retrouver dans tous les virages. Ainsi, s’il y a trop de survirage, vous le percevez plus ou moins partout. Alors que certains pilotes peuvent parler de sous-virage ici et de survirage là."

"C’est une question de prise de conscience. Vous pouvez créer votre propre sous-virage, par exemple. Si la voiture est un peu nerveuse, vous n’allez pas vous engager pour tourner suffisamment tôt, ou tourner suffisamment. Donc vous retardez le virage, et alors vous allez toujours avoir une voiture sous-vireuse à mi-virage."

"Mais tous les pilotes ne réalisent pas que cet équilibre en milieu de virage est en grande partie le résultat de ce qui s’est passé dans les 50 mètres précédents. Et c’est très délicat pour un ingénieur, parce si vous suivez le pilote, vous vous perdez, car vous courez toujours après ce sous-virage en milieu de virage."

Fernando Alonso a pris le départ à Abu Dhabi de son 312e et, peut-être, dernier Grand Prix en Formule 1.

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