Analyse

Technique - Ce que dissimule la controverse des suspensions

On sait que les monoplaces de Formule 1 de l’écurie Mercedes AMG disposent depuis longtemps de suspensions de haute technologie. Une controverse à ce sujet a toutefois éclaté lors du récent Grand Prix d’Abu Dhabi.

Un mécanicien Red Bull Racing

Photo de: Alessio Morgese

Les analyses techniques F1 de Giorgio Piola

Éminent expert technique de Formule 1, Giorgio Piola suit les Grands Prix depuis les années 1960. Sur Motorsport.com, ses analyses et illustrations se penchent sur toutes les nouveautés aperçues en F1 au fil des Grands Prix.

À cette occasion, une conversation radio entre Daniel Ricciardo et les ingénieurs de Red Bull Racing au sujet des réglages de la voiture et de l’impact de la suspension sur la performance aérodynamique a fait sourciller les membres des écuries rivales. En effet, et si les suspensions effectuaient un autre travail que celui d’amortir la voiture ?

Cette idée de faire effectuer un travail aérodynamique à la suspension a incité Ferrari à réagir et à écrire une note à la FIA dans laquelle la Scuderia demande de clarifier ce qui est autorisé par le règlement, et ce qui ne l’est pas.

Une telle requête adressée à Charlie Whiting, directeur de course F1, n’est pas rare. Les équipes peuvent ainsi demander si tel système est légal, comment fonctionnent les dispositifs d’autres voitures ou signaler qu’une écurie semble exploiter une faille de règlement.

Dans sa demande, Ferrari questionne l’utilisation d’un système de suspension plus complexe que celui, tout à fait légal, de Mercedes. Ce dernier permet d’emmagasiner une certaine quantité d’énergie pour la déployer plus tard et améliorer la performance aérodynamique quand cela est nécessaire.

Si Mercedes et Red Bull Racing utilisent déjà un tel dispositif, songent-ils à poursuivre dans cette voie en 2017 ou bien la demande exprimée par Ferrari sert-elle à le faire interdire avant d’investir des sommes d’argent énormes dans le développement de son propre système ?

La disparition du FRIC

 

Système FRIC de la Mercedes W04
Système FRIC de la Mercedes W04

Photo de: Giorgio Piola

 

Toute cette controverse est une conséquence de l’interdiction du dispositif FRIC (qui relie les suspensions avant et arrière) lors du Grand Prix de Hongrie 2014.

En fait, les effets de la suspension sur l’aérodynamique d’une voiture remontent au fameux amortisseur de masse développé par Renault lors des titres acquis par Fernando Alonso, puis au FRIC imaginé par Mercedes.

À l’époque, on avait bien cru qu’interdire le FRIC allait donner un coup de frein aux performances des Mercedes. Mais les monoplaces argentées étaient tellement supérieures aux autres que cette interdiction n’a pas vraiment altéré ses performances.

En F1, les connaissances ne sont jamais perdues. Alors même si le FRIC a été interdit, les ingénieurs ont quand même profité de ce qu’ils avaient appris, parvenant à connecter les suspensions avant et arrière sans l’emploi d’un circuit hydraulique.

Le FRIC permettait de restreindre les effets indésirables du pilonnage, ce mouvement de haut en bas d’une voiture. Connecter les suspensions avant et arrière permettait de stabiliser la voiture lors des passages en virage et d’améliorer sa stabilité aérodynamique.

Il était normal que les écuries mènent la FIA à croire que le principal objectif de ce dispositif était d’améliorer la performance et la durée de vie des pneus en augmentant la surface de contact et le grip mécanique.

Bien que cela soit vrai, la véritable intention du FRIC était d’améliorer la performance aérodynamique de la voiture en stabilisant sa plateforme dans les virages.

Pilonnage

 

La suspension avant des Mercedes W07
La suspension avant des Mercedes W07

Photo de: Giorgio Piola

Cet élément qui contrôle le pilonnage n’est pas nouveau en F1, mais les écuries l’utilisent désormais d’une façon insoupçonnée. Cet élément, un troisième amortisseur, raffermit la suspension de la voiture et améliore ses réactions aux charges aérodynamiques, ce qui la stabilise et permet un écoulement d’air optimal sur toutes les surfaces du bolide.

À basse vitesse, cet amortisseur est désengagé, ce qui procure au pilote la souplesse désirée. Mais c’est durant les phases transitoires que les ingénieurs ont trouvé les véritables gains de performance. Paddy Lowe, directeur technique de Mercedes AMG, en a discuté avec nous lors d’une rencontre organisée à la fin de la saison passée.

En discussion avec Giorgio Piola, Lowe a ouvertement parlé des avantages aérodynamiques qu’a procuré la suspension montée à quelques reprises sur la Mercedes W07 en 2016.

Voici cette conversation :

Giorgio Piola : Est-ce que l’amortisseur hydraulique de pilonnage est utilisé afin de recréer ce que le FRIC faisait à l’époque ?
Paddy Lowe : “Cela nous a obligé à travailler sur une seule extrémité de la voiture à la fois et à concevoir un combiné ressort/amortisseur qui réagit aux charges d’une façon différente. Habituellement, un ressort se comporte de façon linéaire, mais maintenant, nous expérimentons des gammes d’élasticité non-linéaires assez complexes et très étendues. Cela nous permet d’expérimenter afin de parvenir à placer la plateforme aérodynamique exactement là où nous le désirons. C’est beaucoup plus complexe à réaliser que ce ne l’était avec le FRIC, mais c’est la même chose en réalité.

Giorgio Piola : Est-ce plus facile à réaliser avec un amortisseur hydraulique qu’avec un ressort traditionnel ?
Paddy Lowe : “Tout est question d’équilibre aux différents endroits du circuit, négociés à des vitesses différentes. On cherche à obtenir la meilleure plateforme aérodynamique et le meilleur équilibre à haute vitesse comme à basse vitesse et lors des différentes phases de passage en virage. La mécanique de la suspension devient plus complexe chaque année. Si d’anciens pilotes se mettaient au volant de notre voiture, ils seraient ébahis par son équilibre qui frôle la perfection. Nous pouvons régler les voitures avec beaucoup de précision. Nous pouvons même ajuster les plateformes aéro et mécaniques quasiment virage par virage et même en entrée de virage durant la zone de freinage. On peut être si précis qu’à un moment du week-end, le pilote peut déclarer qu’il n’y a rien à ajuster, la voiture étant parfaitement équilibrée.

“Évidemment, la réalité est autre, car les pneus bougent et se déforment. Mais il y a 20 ans de cela, nous devions estimer de façon assez imprécise l’équilibre dans un maximum de virages importants, tout en sachant que la voiture serait désastreuse dans les autres.”

La logique à fluide

La demande de Ferrari auprès de la FIA repose sur la récupération et l’emmagasinage d’énergie afin de pouvoir déplacer un siège de ressort ou tout autre partie de la suspension à un moment précis du tour de piste.

Ceci nécessite l’utilisation d’accumulateurs hydrauliques qui sont conçus pour emmagasiner et restituer de l’énergie sous certaines conditions, devenant des sortes d’ordinateurs hydrauliques à haute pression.

Cette logique à fluide devrait reposer et réagir à des données fournies par la voiture alors qu’elle circule autour du circuit. Ne voyez plus maintenant l’amortisseur de pilonnement et les accumulateurs comme de simples cylindres, mais comme une carte en trois dimensions avec des chambres, petites et grandes, qui contiennent les données, les charges et les attitudes de la voiture.

Voyez maintenant la voiture de F1 qui approche un virage. Le pilote commence à appliquer les freins. À un certain moment, le poids de la voiture va se déplacer vers l’avant tandis que les charges aérodynamiques sont altérées. Si l’équipe a parfaitement compris les forces d’inertie par des modèles mathématiques, elle peut générer une réponse de la suspension avant et arrière en réaction à ce mouvement, ce qui permettrait de conserver la voiture dans une attitude aérodynamique à peu près idéale, améliorant la performance mécanique (notamment la réaction des pneus) et aérodynamique.

Ainsi, le pilote peut conserver une plus grande vitesse jusqu’au point de corde et ressortir plus vite du virage qu’il ne le ferait normalement.

Les découvertes de Red Bull Racing

On soupçonne Red Bull Racing d’avoir fait d’énormes progrès dans ce domaine l’an dernier. La voiture serait capable de rouler avec une attitude très plongeante dans les virages afin de profiter d’une aérodynamique idéale, puis d’abaisser son train arrière en ligne droite afin de modifier l’angle d’attaque des ailerons et réduire la traînée.

L’attitude de la voiture doit être assimilée dans le design de toute la monoplace. Greffer simplement l’attitude plongeante d’une Red Bull ou d’une McLaren sur une Mercedes ne lui donnera pas un coup de boost instantané. Hausser l’arrière d’une monoplace d’un coup sans avoir conçu tout le reste de la voiture à cet effet ne donnera strictement rien.

La philosophie Red Bull repose sur le peaufinage des flux générés par l’aileron avant et qui glissent sous le plancher vers le diffuseur. Le problème provient toujours de la présence des pneus dont le sillage perturbe l’écoulement de l’air qui réduit l’appui aérodynamique généré à l’arrière afin de contrebalancer celui créé à l’avant. L’utilisation d’une suspension à HPC (Hydraulic Pitch Control, ou contrôle hydraulique du cabrage) a aidé Red Bull à devancer Ferrari au classement des équipes en 2016. Red Bull avait l’habitude d’habiller ses voitures de nouvelles pièces à presque chaque Grand Prix. Ce ne fut pas le cas la saison dernière, le team préférant se concentrer sur les réglages de la voiture, et essayant, parfois, un aileron avant ou arrière un peu différent afin d’accroître la fenêtre de fonctionnement de la voiture.

Red Bull a rapidement investi temps et argent dans la conception de sa voiture 2017. Mais on croit que l’acquisition d’un dynamomètre à châssis a fait une grande différence. Ainsi, la VTT (Virtual Test Track, ou piste d’essais virtuelle) reproduit la voiture sous toutes les coutures et permet de la faire rouler dans le simulateur de pilotage, même avec le moteur. Elle permet aussi de faire fonctionner les suspensions et aux ingénieurs de prendre certaines décisions techniques, tant mécaniques qu’aérodynamiques, avant de se rendre au circuit.

Cette possibilité de changer l’attitude permet à la Red Bull d’abaisser son train arrière en ligne droite, ce qui diminue l’appui, mais aussi la traînée. En contrepartie, cela limite les effets du manque de puissance du moteur Renault [TAG Heuer].

Le HPC de Red Bull travaille différemment de la suspension high-tech de Mercedes, mais les deux systèmes oeuvrent à améliorer la performance globale de la monoplace tout en permettant des chronos plus rapides.

Alors quand on a entendu Daniel Ricciardo parler des réglages de suspensions durant le Grand Prix d’Abu Dhabi, cela a-t-il fait naître quelques idées chez les ingénieurs Ferrari ?

Légal, ou pas ?

La décision de Ferrari d’envoyer cette lettre à la FIA a évidemment incité certaines autres écuries à bien se demander ce que peuvent faire Mercedes et Red Bull Racing, mais seules ces deux équipes savent exactement comment fonctionnent leurs systèmes.

Le débat qui entoure ce qui est permis et interdit continue à faire rage. Toutefois, chez Mercedes, on est convaincu que le dispositif parfois utilisé en 2016 est tout à fait conforme à l’interprétation faite par la FIA des appendices aérodynamiques mobiles. Cette demande de clarification du règlement par Ferrari pourrait bien affecter Red Bull Racing, qui doit certainement peaufiner ce système pour sa voiture 2017.

Tout ceci démontre que les écuries flirtent constamment avec ce qui est permis ou interdit. Cela place aussi Ferrari dans une position délicate. La Scuderia doit-elle immédiatement accélérer le développement de son propre dispositif, accepter le verdict de Charlie Whiting ou bien poursuivre ses attaques et se préparer à déposer une réclamation à l’issue du Grand Prix d’Australie ?

Cette situation rappelle celle vécue en 2009 quand la controverse des doubles diffuseurs a fait rage. À cette époque, Ferrari a cru, à tort, que protester ces appendices auprès des commissaires techniques suffirait à les faire bannir. Or, ce ne fut pas le cas.

On le sait, rien n’est simple en F1. Par contre, au moment où les équipes terminent d’achever l’assemblage des voitures 2017, cette controverse autour des suspensions va faire rage en début de saison, et toutes les écuries vont se surveiller les unes les autres afin de découvrir tous les secrets.

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