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Témoignage - L'accident de Massa au GP de Hongrie 2009 vécu de la pitlane

Je me souviens avec une précision étonnante du 26 juillet 2009.

Felipe Massa, Scuderia Ferrari, F60

Photo de: XPB Images

Felipe Massa, Scuderia Ferrari
La Ferrari de Felipe Massa après son crash
Drapeaux Ferrari
Felipe Massa, Scuderia Ferrari
Rubens Barrichello, Brawn GP
Fernando Alonso, Renault F1 Team
Felipe Massa, Scuderia Ferrari, Bernie Ecclestone
Détail aileron avant Scuderia Ferrari
Fernando Alonso, Renault F1 Team
Rubens Barrichello, Brawn GP
La Ferrari accidentée de Felipe Massa
Fernando Alonso, Renault F1 Team
Felipe Massa et Lewis Hamilton
Conférence de presse de la FIA : Stefano Domenicali, directeur sportif de la Scuderia Ferrari
Le vainqueur Lewis Hamilton, McLaren Mercedes, fête sa victoire
Nelson A. Piquet, Renault F1 Team
Felipe Massa, Scuderia Ferrari, prêt à remonter dans une F1 depuis son accident
Felipe Massa
Dr Gary Hartstein, Médecon délégué FIA
Mark Webber, Red Bull Racing, David Coulthard, Red Bull Racing,
Gino Rosato, Scuderia Ferrari, Felipe Massa, Scuderia Ferrari
Michael Schumacher, pilote d'essais de la Scuderia Ferrari sur le mur des stands
Felipe Massa
Felipe Massa, Scuderia Ferrari
Felipe Massa est transporté à l'hôpital après son accident
Felipe Massa, Scuderia Ferrari
Nelson A. Piquet, Renault F1 Team

La nature extrêmement précise et anecdotique de certains de mes souvenirs, confrontée à un "blanc" immense sur certains autres évènements, me rappelle souvent à quel point les instants vécus ce jour furent marquants.

Nous sommes sur le Hungaroring, samedi en début d’après-midi. La chaleur estivale se fait vivement ressentir ; en réalité, je me liquéfie dans ma combinaison ignifugée floquée d’un écusson Renault vintage, prêtée par Patrick Tambay, et indispensable pour être autorisé, en tant que média radio, à évoluer dans la pitlane quand les F1 sont en mouvement.

Je suis en plein rush d’adrénaline. Le direct a déjà commencé sur les ondes. Patrick Tambay et Jean-Luc Roy présentent les enjeux de la séance depuis le studio RMC de Paris, tandis que Stéphane Samson, perché dans la cabine de commentaires du circuit, jette un dernier coup d’œil à des notes techniques confiées par Pat Symonds.

En direct dans le box Renault

Commenter des séances de qualifications des Grands Prix en direct à la radio est toujours à ce jour l’une de mes plus grosses émotions ressenties. C’est le moment où je suis sans filet, et entends à peine si l’on me "lance" pour prendre la parole. Dans l’oreille droite, un des écouteurs du casque HF transmettant le direct de RMC, sur lequel se superpose le gazouillement d’Antoine Arlot, le producteur antenne qui "entre" quand il veut sur notre canal interne. Dans l’oreille gauche, je tente d’écouter les échanges radio team fournis par Renault F1, tout en essayant de tenir mon micro et de prendre quelques notes. Dehors, les V8 vrombissent, les pistolets pneumatiques crépitent, les systèmes de ventilation et les groupes électrogènes créent un brouhaha indescriptible. Il ne reste que les yeux et le nez pour ressentir ce qui se passe autour de moi.

Ce week-end, particulièrement, je suis gâté : alors que je suis habituellement dans la pitlane, Renault a accepté notre proposition de décypter la séance depuis son box. Charge à moi de décrire le ballet étonnamment contrôlé des mécaniciens, pilotes et la nature des échanges radio internes. Cette occasion se présente seulement une poignée de fois dans la saison.

Nelson Piquet Jr., comme toujours, est déjà ganté, chaussé et casqué avec son HANS ajusté près de huit minutes avant le lancement officiel du décompte de la séance. Le système de protection du cou est désormais obligatoire en F1, et fait beaucoup parler. Le Brésilien ne connait pas une saison facile : les relations avec Briatore sont orageuses ; certains des points presse récents auxquels j’ai assisté ont semblé irréels tant les critiques du boss étaient directes. La question n’est plus de savoir si, mais quand un sort similaire à celui de Sébastien Bourdais, remplacé au pied levé chez Toro Rosso par Jaime Alguersuari, va lui tomber dessus. Sa fragilité est apparente dans son langage corporel alors qu’il sautille et s’étire.

Jean-Michel Tibi, caméraman officiel de la FOM, aujourd’hui passé chez Canal+, vient jeter un coup d’œil, mais ne peut pas faire le plan souhaité : les moteurs de plusieurs monoplaces des boxes voisins ronronnent déjà mais Alonso, qu’il attend, est encore derrière les panneaux séparant le garage de la salle de contrôle, en train de chausser son oreillette. Pas de caméra ici. Je me délecte d’une petite photo avec mon téléphone, souvenir personnel sans doute interdit de cette opportunité unique. Une Toyota et une Force India ont déjà pris la piste mais l’Espagnol prend tout son temps dans sa routine. Sa décontraction est aussi frappante que ne l’était la tension de Nelson Jr.

Début de séance routinier

Enfin, Alonso prend place dans son baquet, pendant que les chronos commencent à s’afficher sur les écrans. En Hongrie, tout le monde le sait, il faut partir devant car les dépassements sont extrêmement difficiles en course. Renault traverse une période sportive et politique très difficile, sur fond de considération de retrait de la F1 et de remous provoqués par la crise économique et le crashgate de Singapour. Il faut frapper fort sur un tracé où Alonso a remporté le premier GP de sa carrière, et où les lacunes du package Renault, qui ne dispose pas du double diffuseur, sont moins intenses en raison de la nature sinueuse du circuit.

Avec 20 pilotes sur la grille, il faut être dans le top 15 au terme de la Q1 pour passer en seconde partie de séance. Fernando s’en acquitte sans aucun problème, ne laissant que cinq pilotes le devancer. L’un d’entre eux est… Nelsinho ! Après avoir fréquenté et apprécié le jeune Brésilien pendant toute la première moitié de saison, mon for intérieur lui souhaitait un tel coup de souffle. Je sais à quel point il souffre de la comparaison publique avec Alonso sans pouvoir décrire tout ce qui lui arrive dans le team. Un clin d’œil d’Alan Permane, qui avait indiqué avant la séance que la méthodologie de Q1 Renault était très proche de celle de Ferrari, me révèle le soulagement du team sur ses capacités pour cette séance : les autos rouges sont derrière. Les espoirs sont élevés.

La Q2 devient une toute autre séance. Soudain, je perds mon filet. Il n’est plus question de savoir quelle quantité de fuel a été embarqué dans le réservoir d’Alonso ou si les pneus chaussés étaient usés. Un ange passe, le garage frémit : les caméras des écrans de contrôle se sont immobilisées sur la Ferrari de Felipe Massa, entassée frontalement contre un mur de pneus. À première vue, une défaillance de freins. Mais plusieurs replays font vite lever de nombreux bras dans le box : la tête du Brésilien a été heurtée par un débris, provoquant sa sortie de piste. Pour autant, personne ne perd sa concentration sur le muret et dans le box : les mécanos sont en alerte et ont reçu l’indication radio du passage dans la pitlane de Fernando et Nelson pour un refuelling et changement de pneus express.

La réalité du garage

Dans le box, ma réalité est toute autre de celle de mes collègues à l’antenne, qui perçoivent que quelque chose de grave se produit sous nos yeux. On me lance pour décrire la réaction à un crash visiblement sérieux que personne ici n’a réellement mesuré. J’élude en décrivant le fait que cette agitation est visiblement une opportunité en ce qui concerne le déroulement de la stratégie Renault pour cette Q2. Impossible de dire quoi que ce soit d’autre.

Sitôt repassé en off, les communications directes entre la cabine, la production et moi se multiplient. "Que se passe-t-il ? Est-ce que Barrichello est rentré ? Tu vois Ferrari d’où tu es ?".  Rien, je ne sais pas, non… Pourquoi ? "Fernando a vraiment une chance de première ligne" est la seule chose qui sort de ma bouche.

L’agitation devient palpable, le garage commence à comprendre que quelque chose de sérieux se produit : les plans TV autour de la Ferrari se desserrent, l’intervention des services médicaux autour de Massa est prolongée. Le Brésilien ne bouge pas. La réal' nous fait enfin réaliser que cet accident est sérieux. Le signal TV a un décalage de plusieurs secondes entre la Hongrie et la France mais mes collègues le voient avant moi quand même. En ce qui me concerne, Fernando est P9, Nelson ferme la marche et n’a pas eu le temps de boucler son programme avant la neutralisation.

Cacophonie et unique pole de Renault

Une communication radio de Charlie Whiting aux teams apporte enfin une once d’information pour moi. Les choses sont sérieuses, l’hélico est prêt pour toute situation, Felipe va être transféré au centre médical du circuit. À Paris, la production me demande si je peux lâcher le garage et courir jusqu’au centre médical. S’il y a un repérage que je n’ai pas fait, c’est bien la localisation du centre. Je n’ai aucune idée d’où aller. Ma conscience professionnelle me dit de rester dans le box car l’on assiste à une possible unique pole position de Renault en 2009 et je suis là pour la faire vivre de l’intérieur. Ma réaction sanguine est de quitter le box en trombe par l’arrière et de courir dans le paddock. Je ne suis pas le seul.

Instinctivement, je prends les jambes de Ted Kravitz, mon homologue de la BBC, qui a l’air de savoir où il court, avant de changer d’avis et prendre l’aspi de Gino Rosato, qui part dans la direction opposée. Le Canadien est parfois mon point de contact bien utile pour des astuces pratiques, et plus que tout, il porte la combinaison Ferrari. Où qu’il aille, c’est là que je dois me trouver. La suite immédiate se passe, pour les auditeurs de RMC, devant le centre médical ; en réalité, dans le motorhome Ferrari où seuls quelques-uns d’entre nous vivons avec les images TV les pénibles et longs moments d’incertitude concernant l’état de santé de Massa.

Les rumeurs ne tardent pas ; on le dit heurté à la tête, au visage, inconscient, sans réponse à Gary Hartstein, le médecin de la FIA. Je dois sortir, les déclarations ne seront pas faites maintenant, personne ne sait ce qui se passe, pas même le team. Tout le paddock se rue vers le centre médical. Les journalistes brésiliens, qui forment un cercle amical très étroit avec Massa, sont déconfits. Barrichello est là, Fisichella et Heidfeld aussi ; je vois aussi de nombreux anciens pilotes passés consultants TV, oreillette débranchée, venus en tant qu’eux-mêmes. David Coulthard tire une tête de trois kilomètres de long. Je n’ai pas du tout le cœur à décrire ce qui se produit dans cette cohue et trouve ainsi le courage de le faire entrer à l’antenne. À chaque question que je lui pose, ses yeux me disent "assez !" Ultra pro, il fait le boulot, et me lâche en off qu’il "espère ne pas être en train de donner une interview sur la mort d’un copain".

Les heures suivantes

Q3. Fernando a arraché la pole pour quelques centièmes. La première de Renault depuis 2007. La seule, en réalité, depuis 2007, encore à ce jour. Je ne suis pas dans le garage. Je n’ai rien vu, rien entendu. Je réalise que j’ai embarqué avec moi le casque radio Renault. Je m’en fiche complètement.

La suite, je ne m’en souviens pas tant le rush fut intense. Sans dramatiser, tout ce que je peux dire est que je pensais, au vu des informations que nous recevions, que nous ne reverrions jamais plus Massa. Encore moins au volant.

Pas de souvenirs des analyses sur l'émission suivante des estimations de charges d’essence nécessaires pour le premier relais de la course, communiquées par la FIA. Pas le moindre souvenir des points presse de crise organisés par Luca Colajanni et Stefano Domenicali, que je retrouve pourtant bel et bien dans les enregistrements de mon magnéto. Juste celui d’un attroupement autour d’un photographe, montrant sur son écran une photo, devenue célèbre, sur laquelle Massa écarquille son œil intact, en état de choc, lors de son extraction. Et dont on murmure qu’elle est passée entre les mailles de la FIA, qui désirait contrôler la sortie de celle-ci. Je me souviens du manque de tact brutal d’un journaliste allemand connu pour son excentricité vestimentaire, qui aux points presse du dimanche, faisait déjà réagir tout le paddock en gesticulant à l’éventualité d’un retour de Michael Schumacher au volant quand nous autres nous demandions si Massa allait survivre. 

Comme je vous le disais, la mémoire est quelque chose d’étrange. Il m’a fallu consulter Google pour retrouver qui avait remporté le Grand Prix le dimanche. J'étais pourtant bien dans la pitlane et au pied du podium. Mais je n’ai aucun souvenir de la victoire de Lewis Hamilton au volant de sa McLaren...

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