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Tony Brise, l'espoir fauché en pleine ascension

Alors que sa carrière en Formule 1 débutait à peine, Tony Brise a perdu la vie avec cinq autres membres de l'équipe Hill dans un accident d'avion, le 29 novembre 1975. Retour sur la vie d'un homme qui semblait destiné à de grandes choses.

Tony Brise, Embassy Racing

Le 29 novembre 1975, le monde du sport automobile a perdu un être cher, Graham Hill, dans un accident d'avion au nord de Londres. Aux côtés du double Champion du monde F1, vainqueur des 24 Heures du Mans et des 500 Miles d'Indianapolis, cinq autres personnes ont péri, toutes membres de l'équipe Embassy Hill : Ray Brimble, Andy Smallman, Terry Richards, Tony Alcock et un jeune pilote de 23 ans qui était l'un des plus grands espoirs britanniques de son époque. Il s'appelait Tony Brise.

Un gros point d'interrogation plane au-dessus de sa carrière en Formule 1 car, au volant d'une voiture bien née mais développée par une petite structure, Brise a été en mesure de rouler plus vite que des Champions du monde, présents et futurs, et d'inscrire son nom sur les tablettes en marquant un point au Championnat du monde, et ce en dix Grands Prix seulement.

Mais la route vers la catégorie reine n'a pas été de tout repos. Elle a certes bien débuté avec un titre en karting en 1969 suivi de nombreuses victoires en Formule Ford et en Formule 3 au début des années 1970. Brise a même fait sensation en 1973 en remportant les championnats Lombard North Central et John Player, et en terminant deuxième du championnat Forward Trust [à l'époque, il y avait trois championnats de F3 en Grande-Bretagne, ndlr].

Mais en dépit de ces succès, le pilote britannique n'arrivait pas à séduire les directeurs d'équipe F1. "Je pense qu'il aurait dû [aller en F1] plus tôt, il était vraiment talentueux", a estimé Bill Sisley, ancien propriétaire du circuit de karting de Buckmore Park et mécanicien de Brise en Formule Ford, pour le site Kent Online. "J'ai vu la même chose avec Lewis Hamilton, Jenson Button et Johnny Herbert à Buckmore. Il y avait simplement quelque chose avec eux, ils étaient naturellement rapides. J'ai passé tellement de temps avec Tony et il avait une certaine arrogance, ce dont un champion a besoin."

Cette arrogance, deux hommes qui sont devenus de fidèles lieutenants dans la courte carrière de Brise en ont fait l'expérience. Ian Flux, alors âgé de 19 ans et travaillant pour l'équipe Embassy Hill, et Nick Jordan, mécanicien de Brise au sein de l'équipe Modus entre 1974 et 1975, sont revenus sur le parcours de Tony Brise lors d'un entretien avec Motorsport.com il y a quelques années.

"La première fois que Tony est venu à l'usine [de l'équipe Hill], c'était juste après la non qualification de Graham à Monaco [en 1975], ce qui était vraiment triste étant donné ce qu'il a accompli là-bas tout au long de sa carrière", s'est souvenu Flux. "Bref, Tony est arrivé très en retard à l'usine et était assez impertinent, du genre : 'Où est ma foutue voiture ?'"

"Donc nous avons sorti la mousse en deux parties et l'avons assis dans le cockpit. Notre ancien mécanicien en chef, Alan Turnet, lui a dit ensuite : 'Nous n'avons pas de superstar dans cette équipe, d'accord ? On part manger maintenant, alors à plus tard'. Nous sommes allés au pub et l'avons laissé une heure pour réfléchir à son retard. Cela lui a fait beaucoup de bien ! Il avait de l'assurance et il savait qu'il était rapide, on pouvait le voir. Oui, il était un peu arrogant mais nous nous sommes vite occupés de ça."

Les chemins de Brise et de Jordan se sont croisés plus tôt, en 1974, lorsque le pilote britannique a rejoint la nouvelle structure Modus, dirigée par le promoteur immobilier Ted Savory et dont la responsabilité technique était confiée au designer suisse Jo Marquart et à Jordan.

"C'était difficile en 1974 parce que nous roulions en F3 avec le moteur [Ford] et il n'était pas toujours au point", a-t-il expliqué. "Mais lorsque nous sommes allés en Irlande en septembre, le championnat de Formule Atlantic [utilisant des règles proches de la F2 et de la F3, ndlr] était en train de décoller et nous avions une botte secrète en la personne de Johnny Nic [John Nicholson, ancien pilote et préparateur moteur, ndlr]."

Tony Brise au volant de sa Modus de F3

Tony Brise au volant de sa Modus de F3

"John s'est occupé du moteur Holbay avec sa boîte à outils magique et nous avons remporté la grande course du Leinster Trophy à Mondello Park. C'était un week-end mémorable parce qu'Alan Jones s'était bagarré avec un fou du coin et j'avais dû intervenir pour contenir Jonesy. Ce n'est pas tous les jours que l'on doit empêcher un futur Champion du monde de fracasser le crâne de quelqu'un contre le mur de toilettes irlandaises !"

1975 a marqué un tournant dans la carrière de Brise. Il a débuté l'année en Formule Atlantic, cette fois-ci au volant d'une monoplace spécifiquement conçue pour le championnat [la Modus M3, ndlr], et a remporté six courses de suite. Très attentif aux performances du pilote, Frank Williams a fait appel à ses services pour remplacer le titulaire Jacques Laffite (alors également engagé en F2) pour le Grand Prix d'Espagne de Formule 1, en avril.

La puissance monstre des voitures de F1 n'a pas effrayé Brise et, malgré son inexpérience, il a été l'auteur d'un excellent week-end. Meilleur rookie sur la grille, à la 18e place, il a tiré son épingle du jeu dans une épreuve chaotique et a longtemps évolué dans le top 6, derrière Jochen Mass et Jacky Ickx (qui franchiront la ligne premier et deuxième) jusqu'à ce que Tom Pryce, un autre pilote britannique au destin brisé, ne l'accroche dans une tentative de dépassement.

Brise a impressionné pour sa première sortie en F1

Brise a impressionné pour sa première sortie en F1

En mesure de repartir, Brise a franchi la ligne d'arrivée à la septième place, un excellent résultat mais à l'époque, seuls les six premiers pilotes inscrivaient des points. L'accord avec Williams ne couvrait que le Grand Prix d'Espagne et très vite, Laffite a retrouvé son baquet. Retour à la case départ pour Brise donc, qui s'est ensuite engagé pour la course de Formule 3 à Monaco, en support au GP de F1.

"À Monaco, nous avions la voiture Atlantic et un moteur à deux arbres à cames préparé par Neil Brown", a raconté Jordan. "Nous l'avons associé à une boîte de vitesses [Hewland] MK9 alors que la plupart des autres [équipes] utilisaient une boîte FT200. Nous avons beaucoup travaillé sur la voiture, nous l'avons vraiment perfectionnée et Tony a aussi joué un rôle déterminant. Donc à Monaco, nous étions vraiment confiants, pleins d'énergie."

"Il y avait deux manches et dans la première, un raté sur le moteur l'a fait reculer au classement. Il est rentré au stand, j'ai enlevé le capot moteur et j'ai vu que le fil de bougie avait sauté. J'ai donc réglé ça et j'ai tapé son casque pour lui faire signe de repartir. Quand il a quitté les stands, je savais au fond de moi que j'avais fait une erreur en changeant les bougies avant la course. J'étais dévasté, je suis allé au camion et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Je me disais : 'J'ai niqué sa carrière et tout le foutu paddock F1 l'a vu !'"

"Je ne sais pas comment mais il a fini neuvième, ce qui l'a placé en dernière ligne pour la course principale. Tony savait que je me sentais coupable mais il est venu vers moi, m'a pris dans ses bras et m'a dit : 'Ne t'inquiète pas mon grand, ça va aller, on peut gagner demain sans problème'."

Et ce n'était pas des paroles en l'air. Brise était convaincu qu'il pouvait remporter la course, même en partant du fond de grille sur un circuit où il est presque impossible de dépasser ! "Sur la grille, il a relevé sa visière et m'a dit : 'Je serai soit sur le podium, soit dans le putain de mur'."

Une fois le départ donné, Brise s'est frayé un chemin à travers le peloton et, dans les derniers instants, était sur les talons du leader Alex Ribeiro. Mais les deux hommes se sont accrochés à Mirabeau (ci-dessous), Brise escaladant la March du Brésilien et voyant Renzo Zorzi s'envoler vers un succès inattendu.

Tony Brise s'accroche avec Alex Ribeiro

Tony Brise s'accroche avec Alex Ribeiro

Tony Brise s'accroche avec Alex Ribeiro

Tony Brise s'accroche avec Alex Ribeiro

"Cette nuit-là, nous sommes allés au Métropole, où il logeait, et il m'a donné 50 livres, ce qui était beaucoup d'argent en 1975", a poursuivi Jordan. "Il m'a dit : 'Va chercher des bières pour les gars, vous le méritez, allez vous saouler'. Puis, de son autre poche, il a sorti une feuille de papier avec un gros logo Embassy Hill dessus. C'était son contrat F1. Seuls Graham [Hill] et Tony étaient au courant. Il était si heureux, sa grande chance était là, littéralement dans sa poche. Je n'oublierai jamais ce moment."

Quelques semaines plus tôt, au GP d'Espagne de F1, Rolf Stommelen menait la danse sur sa Hill lorsque la casse de son aileron arrière l'a envoyé de l'autre côté du rail, dans un accident ayant blessé l'Allemand et tué plusieurs spectateurs. Ce crash a poussé le patron, le légendaire Graham Hill, à reprendre du service pour la manche suivante, à Monaco. Le quintuple vainqueur en Principauté n'est toutefois pas parvenu à se qualifier, confirmant ainsi le fait qu'il était temps pour lui de se consacrer entièrement à la direction de son équipe. Déjà "out" pour le Grand Prix avant même que le départ ne soit donné, Hill a donc eu tout le luxe de voir Tony Brise faire le show pendant les deux courses de Formule 3.

"Graham regardait la course dans les stands et parlait avec Janet, la femme de Tony", s'est souvenu David Brise, le neveu de Tony, lui aussi interrogé par Kent Online. "Il était à la recherche d'un jeune talent qu'il pourrait former et il s'est subitement intéressé à Tony. Ils se sont très bien entendus et Graham a été comme un second père pour lui. Ils s'entendaient comme larrons en foire, c'était vraiment cool."

Hill est donc tombé sous le charme du coup de volant de Brise, ce qu'a confirmé Flux : "Tony était un talent brut et Graham l'a vu, c'est pourquoi il s'est si bien occupé de lui. Ils étaient proches, ça se voyait. Graham aimait Tony, il était comme son fils adulte. Il croyait vraiment en Tony. Il est facile de dire après ce qui s'est passé que Tony aurait fini par gagner des Grands Prix, etc. Mais, sincèrement, si on lui avait donné la bonne opportunité, je ne pense pas que quelqu'un dirait qu'il n'aurait [jamais gagné]. Il était vraiment trop fort."

Tony Brise avec Graham Hill

Tony Brise avec Graham Hill

Avec cette opportunité, Brise a pu lancer sa trop brève carrière au sein d'Embassy Hill. Pour sa première course sous ses nouvelles couleurs, en Belgique, le Britannique s'est brillamment qualifié à la septième place avant d'abandonner sur casse moteur. Par la suite, Brise s'est illustré aux Pays-Bas et en Suède, inscrivant son premier point en F1 sur le circuit d'Anderstorp. 

Brise excellait en qualifications et, malgré le recrutement d'Alan Jones, futur Champion du monde F1, pour la seconde Hill GH1, l'espoir du Kent a systématiquement devancé ses coéquipiers. Plus fort encore, il s'est hissé en troisième ligne sur la grille de départ du Grand Prix d'Italie, devant de grosses têtes d'affiche telles que James Hunt, Carlos Reutemann, Ronnie Peterson et Mario Andretti, alors qu'il n'avait pris part qu'à huit épreuves précédemment.

Mais la belle histoire qui était en train de s'écrire a pris fin de manière effroyable. De retour d'une séance d'essais très encourageante sur le circuit Paul Ricard, le samedi 29 novembre 1975, Brise, Hill et quatre autres membres de l'équipe ont péri dans un crash d'avion au nord de Londres.

"Le dernier télex que nous avons reçu à l'usine était positif, ils avaient emmené une GH1 et une GH2 et avaient monté le train arrière de la GH1 sur la monocoque de la GH2", se souvient Flux. "Le dernier message était : 'La voiture est géniale maintenant, test terminé, on se voit lundi matin'."

"Quand j'ai su pour l'accident, je revenais d'un concert de Queen. J'avais rencontré une fille là-bas et je la raccompagnais chez elle en écoutant la radio dans mon van Volkswagen. Aux infos, on a annoncé qu'un avion s'était écrasé à Elstree. Je savais que c'était eux. Je me suis retrouvé dans cette situation absurde où elle m'a présenté à ses parents et la première chose que je leur ai dite, c'était : 'J'ai besoin d'emprunter votre téléphone parce que je pense que mes amis sont peut-être morts'."

Selon Nick Jordan, il n'y a aucun doute sur ce qu'aurait pu accomplir Brise en catégorie reine sans ce tragique accident. Le pilote britannique avait le bon coup de volant pour devenir Champion du monde, il ne lui fallait seulement qu'une voiture à la hauteur de son talent.

"Sans aucun doute, il aurait gagné des Grands Prix et peut-être plus. Il faut voir contre qui il se frottait à l'époque. Alan Jones a gagné un titre. Tony était exactement le genre de pilote qui aurait excellé dans la F1 de la fin des années 1970 et du début des années 1980. C'était un pro et il comprenait les voitures d'un point de vue technique. Sa vie s'est achevée à l'âge de 23 ans. C'est comme avec Jules Bianchi, une pure tragédie. Que peut-on dire sur quelque chose comme ça ? Pas grand-chose, c'est simplement une vie et un potentiel gâchés."

David Brise est du même avis : "J'avais prédit qu'après 1976, à moins que la Hill ne soit capable de gagner un championnat, une grosse équipe lui aurait sauté dessus, potentiellement Ferrari. Des gens comme Herbie Blash [ancien directeur de Brabham, ndlr], qui était en F1 avec Bernie Ecclestone, disent la même chose parce que tout le monde aurait voulu lui donner la bonne voiture."

"Tyrrell était dans les parages en 1975 et lui a proposé une place dans la six-roues mais mon grand-père m'a dit que ce n'était pas un bon plan parce que la voiture était inconnue et [Tony] pensait qu'elle aurait été bannie. Il y a ce bon mot de Bernie, quand on lui a demandé si Tony était vraiment aussi bon que tout le monde le disait, il a répondu : 'Non, il était meilleur que ça'."

Motorsport.com tient à remercier Ian Flux et Nick Jordan pour leur contribution.

Tony Brise dans la nouvelle Hill GH2 avec Graham Hill, le designer Andy Smallman et les mécaniciens

Tony Brise dans la nouvelle Hill GH2 avec Graham Hill, le designer Andy Smallman et les mécaniciens

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