Le Grand Prix que Toyota aurait dû gagner

Il y a 11 ans, jour pour jour, Toyota aurait dû célébrer ce qui aurait été sa première victoire en Formule 1. Mais l'équipe a finalement gâché la pole position de Jarno Trulli et une de ses dernières chances de maintenir son programme en Formule 1.

Timo Glock, Toyota TF109

Rainer W. Schlegelmilch

Fin 2009, Toyota annonçait son retrait de la F1, mettant fin à une aventure de huit ans qui l'avait vu dépenser énormément d'argent sans remporter aucune course. Une seule victoire aurait-elle pu encourager les dirigeants de la firme à maintenir ce programme en dépit d'une crise financière mondiale qui avait déjà poussé Honda et BMW vers la sortie ? Nous ne le saurons jamais, mais le 26 avril de cette saison-là, l'écurie est passée près d'avoir la réponse à cette question à Bahreïn, avant de se manquer, comme elle en avait trop souvent l'habitude.

Trulli avait débuté l'épreuve depuis la pole position, puis signé le meilleur tour durant la course. Et pourtant, il n'a franchi la ligne d'arrivée qu'en troisième place, assez loin du vainqueur Jenson Button. Comment les choses ont pu aussi mal se passer ?

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La saison 2009 a débuté de façon inhabituelle, en grande partie grâce à l'utilisation réussie par Brawn GP du concept de double diffuseur. Toyota en disposait également, et dès le début de la campagne, les voitures rouges et blanches se sont montrées compétitives. Malgré l'absence de cette astuce aéro, Red Bull Racing était la troisième force du plateau.

Le plus fascinant était que ces trois équipes se battaient pour la victoire alors qu'elles n'y étaient pas habituées (avec tout le respect dû à Ross Brawn), alors que les plus habituées au succès (McLaren, Ferrari et Renault) peinaient à trouver de la performance. Il n'était donc peut-être pas totalement surprenant de voir les choses parfois mal se passer au niveau des décisions prises.

Ceci étant dit, Toyota avait fait montre d'un meilleur niveau stratégique depuis deux saisons, et avait parfois marqué des points dans des situations difficiles.

Button remporta les deux premières courses en Australie et en Malaisie pour le compte de Brawn, alors que Sebastian Vettel avait signé le premier succès de Red Bull Racing sous la pluie de Chine. Toyota était dans le coup, Trulli et Timo Glock terminant troisième et quatrième en Australie après qu'un problème d'aileron arrière les obligea à s'élancer tous deux depuis les stands. Ils égalèrent cette performance (avec les positions inversées) en Malaisie.

Il semblait y avoir énormément de potentiel, si seulement l'équipe parvenait à tout bien faire. Bahreïn était cette chance.

Jarno Trulli, Toyota celebrates his pole position in parc ferme

Toyota avait signé deux poles en 2005, avec Trulli à Indianapolis quand les pilotes équipés de pneus Michelin savaient qu'ils ne pourraient pas prendre part à la course et avaient mis peu d'essence, et avec Ralf Schumacher lors d'un Grand Prix pluvieux à Suzuka.

Bahreïn 2009 était donc la première "vraie" pole. L'essence embarquée pour le départ joua un rôle, et la course allait démonter que le premier arrêt au stand était prévu assez tôt, mais même en corrigeant la performance selon le niveau de carburant, l'Italien était le plus rapide. Son équipier Glock, qui avait encore moins d'essence, était à ses côtés sur la première ligne. Avec deux voitures aux avant-postes, Toyota allait forcément transformer l'essai.

Vettel s'était qualifié troisième, alors que Button partait quatrième sur la seconde ligne ; et ce n'était vraiment pas ce qu'il avait prévu. Lors des deux premières courses, les Brawn avaient pu mettre bien plus d'essence que la concurrence et avaient quand même eu la pole. Cette fois-ci, ce fut plus difficile sur un tour, en partie à cause de problèmes de température moteur dans la chaleur bahreïnie, conséquence d'une installation précipitée du bloc Mercedes dans un châssis initialement prévu pour accueillir un Honda.

Au départ, Trulli et Glock s'élançaient sans problème, pendant que Button dépassait Vettel avant d'être surpris brièvement par la McLaren avec KERS de Lewis Hamilton, qu'il repassa au début du second tour.

Timo Glock, Toyota TF109, Jarno Trulli, Toyota TF109, Lewis Hamilton, McLaren MP4-24 Mercedes, Jenson Button, Brawn GP BGP001 Mercedes, Sebastian Vettel, Red Bull Racing RB5 Renault, head into the first corner

"Un beau dépassement, et le rendre définitif était très important pour moi", déclara à l'époque Button. "Ça voulait dire que je pouvais partir à la chasse aux Toyota et que j'avais une piste dégagée. Si j'avais été coincé derrière lui, nous aurions eu du mal avec les températures."

Comme Button l'expliquait, il était essentiel de ne pas être englué derrière quelqu'un afin de pouvoir contrôler la chaleur de son moteur. Il n'était donc pas vraiment dérangé d'être à trois secondes de Glock lors des 11 premiers tours.

Les quatre tours supplémentaires qu'il a pu faire par rapport à l'Allemand, et les trois par rapport au leader Trulli, se sont avérés cruciaux, tout comme la mauvaise décision de Toyota de placer ses deux voitures sur les pneus prime, qui leur ont coûté beaucoup de temps pendant ces tours essentiels.

Quand Button est ressorti des stands après son arrêt du 15e tour, il avait largement dépassé les deux. "Je pensais qu'ils allaient faire une course à trois arrêts", expliquait-il. "Parce qu'ils disaient avoir du mal avec la température et la tenue des freins vendredi et samedi. Je pensais qu'ils allaient peut-être rester [sur les pneus prime] pendant 12 tours et ensuite revenir sur les option. Ça n'a pas été le cas."

Comme Button le pressentait, Toyota était bien sur une stratégie à trois arrêts, qui aurait justifié la charge en essence plus basse au départ. Mais des inquiétudes de dernière minute liées au trafic ont incité l'équipe à passer sur une tactique plus classique à deux arrêts. Et dans le cadre de ce changement, il a été décidé d'utiliser les prime dans ce relais. Comme tout le monde l'a vu, ça n'a pas fonctionné.

"Nous voulions ouvrir la fenêtre pour faire trois arrêts, et nous étions très, très proches de pouvoir le faire sans avoir de trafic", expliqua le directeur de l'ingénierie de Toyota, Pascal Vasselon, après la course. "Ça aurait été une bonne stratégie. Nous étions très, très proches de pouvoir la suivre. Ensuite, quand nous avons vu que nous allions rencontrer du trafic, nous sommes passés sur une stratégie de repli, qui n'a pas fonctionné comme prévu sur un aspect. Le prime était bien pire qu'attendu en milieu de course. Nous nous attendions à ce qu'il soit plus performant au milieu qu'à la fin, et c'est le contraire qui s'est passé."

Jarno Trulli, Toyota

Tout en ayant du mal à trouver le rythme, Trulli fit une autre faveur à Button en retenant Vettel, qui était troisième. "Ça nous a énormément aidés", déclara le Britannique. "Parce qu'évidemment Vettel était coincé derrière Trulli. Si Vettel l'avait dépassé, je ne sais pas comment se serait terminée la course, mais je pense que notre rythme était très, très similaire sur les deux pneus."

"Quand j'ai vu que [Trulli] était huit dixièmes plus lent que moi et que Vettel était coincé derrière, je me suis juste dit : 'Wow, c'est ce qu'il nous fallait'. J'ai pris 14-15 secondes d'avance sur Vettel, mais même avec cette avance, vous vous inquiétez toujours, vous ne savez pas exactement comment la course va évoluer. J'étais beaucoup à la radio avec mes ingénieurs, et on essayait de comprendre ce qui se passait."

Vettel finit par dépasser Trulli lors du second arrêt, mais il était trop tard. Il termine sept secondes derrière Button, avec le pilote Toyota frustré juste derrière. Avoir des pneus prime en fin de course devait en théorie permettre à Trulli d'avoir une meilleure performance, mais tout comme Vettel n'était pas parvenu à le doubler quand les rôles étaient inversés et qu'ils étaient sur des pneus différents, l'Italien n'a rien pu faire.

La troisième place semblait être un résultat décevant en partant depuis la pole, alors que les choses avaient été encore pires pour Glock, qui avait chuté à la septième position. "Après coup, il est toujours possible de réexaminer la course", lança Vasselon. "Avec ce que nous avons appris, nous aurions pu mettre plus d'essence, nous aurions quand même eu la pole, et la course aurait été différente, c'est clair."

"La stratégie samedi n'était absolument pas destinée à faire la pole, elle était destinée à utiliser les pneus d'une certaine manière. Et cela ne n'est pas passé comme prévu quand nous avons dû renoncer aux trois arrêts au début. L'objectif était d’utiliser les pneus de façon à pouvoir s'assurer de tirer le maximum de la voiture. Trois arrêts auraient été la meilleure option, et [avec un relais sur les pneus] prime."

"Mais les choses ont été différentes car nous avons dû allonger le second relais et ensuite les prime étaient le choix logique. Jarno a fait du très bon travail. Au vu de la situation, il a fait du mieux qu'il pouvait."

Jarno Trulli, Toyota

Chose étrange : le poids des voitures suggérait que Trulli devait s'arrêter deux tours plus tard que son équipier, mais au final, il n'a réalisé qu'un seul tour de plus. Même l'équipe n'a pas compris pourquoi. "C'est l'une des choses qu'il faut que l'on explique", reconnaissait Vasselon. "Nous ne nous attendions pas à ce que Jarno s'arrête un tour plus tard, c'est une des choses qui ont fait que nous n'avons pas pu suivre la stratégie espérée. Normalement, il était attendu au 13e tour."

Ces deux tours auraient pu faire une différence cruciale. Si l'équipe avait pu bénéficier d'un tour de plus de feedback de la part de Glock sur le comportement de la monoplace avec les prime, elle aurait pu réagir plus rapidement et mettre des pneus option à Trulli, lui assurant une meilleure course.

"Pour l'instant, la raison pour laquelle Timo a eu bien plus de mal avec le prime par rapport à Jarno n'est pas claire", lança Vasselon. "C'est toujours quelque chose qu'il faut expliquer. Ces petites choses font qu'au final nous avons terminé sur le podium, mais pas à la position que nous voulions. C'est difficile d'être vraiment positif. Parce que nous aurions dû gagner cette course ! Nous avions des possibilités de le faire, donc on ne peut qu'être déçus..."

Jarno Trulli, Toyota celebrates his third position with the team

Dans le feu de l'action, Toyota a pris la mauvaise décision. Il semblait alors que la victoire n'était qu'une question de temps, mais elle n'est jamais arrivée. Il n'y eut pas d'autre pole. Et alors que Glock et Trulli allaient respectivement finir second à Singapour et au Japon, les dés étaient déjà jetés et la fin de l'écurie décidée. "Honnêtement, nous espérions plus de cette saison", dira Trulli en fin d'année. "Surtout après un aussi bon début, je m'attendais à de bons progrès de la part de l'équipe. Le problème, c'est que la saison a été bizarre pour tout le monde, pas seulement pour nous."

"Vous pouviez parfois être très compétitif, et parfois pas du tout, sans savoir pourquoi. Nous avons bien démarré, et après avoir monopolisé la première ligne à Bahreïn, nous étions sur la dernière à Monaco ! Je n'arrive pas à l'expliquer, honnêtement. On ne peut pas imaginer qu'une voiture gagnante, ou qui était au moins en pole position lors de la course précédente, est en dernière ligne à Monaco. Pour moi, tout cela est un peu étrange. Je n'ai pas d'explication, mais ça a clairement été une saison folle [...] Nous avions en gros la seconde voiture la plus rapide en début de saison. On peut dire qu'à Bahreïn on aurait pu se battre pour la victoire, mais en fin de compte pour gagner il faut tout bien faire, et il faut être compétitif dans tous les domaines."

D'aucuns peuvent spéculer qu'une victoire à Bahreïn aurait été un tournant, donnant à l'organisation tout entière un gros boost de confiance tout en convainquant les dirigeants à Tokyo qu'il y avait de la lumière au bout du tunnel, et qu'il était possible de surmonter la crise financière. Au lieu de ça, la course fut une autre étape cruciale dans la marche de Button vers le titre, et une preuve supplémentaire que les anciens de chez Honda avaient réussi la difficile transition entre végéter en fond de grille et prendre presque toutes les bonnes décisions tout en se battant pour la victoire.

"C'est la première fois que je voyais un drapeau à damier sans Safety Car ou drapeau rouge devant moi [cette année-là]", plaisanta Button après la course. "C'était une super course, très difficile, un week-end compliqué, parce que nous n'avions pas le rythme attendu. Même quand vous menez de 10 secondes, ce n'est pas simple, il est facile de commettre une erreur. Et le trafic était très difficile en piste. Les voitures qui sont normalement devant n'y étaient pas et nous leur prenions un tour. Maintenant, ils savent ce que ça fait..."

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