La victoire de Pierre Gasly vécue de l'intérieur

Le podium du Grand Prix d'Italie 2020 est l'un des plus inhabituels jamais vus en Formule 1. Chacun des pilotes qui y est monté finissait dans le top 3 pour la deuxième fois de sa carrière. Mais ils étaient accompagnés par quelqu'un qui s'y tenait pour la première fois : le team manager et directeur sportif d'AlphaTauri, Graham Watson, a reçu le trophée au nom du constructeur.

Le vainqueur Pierre Gasly, AlphaTauri, arrive dans le parc fermé

Andy Hone / Motorsport Images

Le Néo-Zélandais, qui a commencé sa carrière en Formule 1 dans les années 1990 en tant que mécanicien chez Benetton, a rejoint la structure de Faenza il y a six ans. Chez AlphaTauri, il assume les rôles de team manager – responsable de plusieurs domaines, de la logistique à la gestion des mécaniciens lors des arrêts au stand – et de directeur sportif, ce qui fait de lui l'un des éléments clés de l'écurie sur le muret des stands. En fait, Watson est impliqué dans toutes les décisions majeures de l'équipe lors d'un Grand Prix.

Impossible de trouver un meilleur compagnon pour parler de cette victoire à Monza ! Nous l'avons appelé ce mardi, et les premières secondes de la conversation suffisent à croire qu'il est "complètement mort" à la suite de cette course folle.

"Je n'ai pas dormi dimanche soir", nous confie-t-il. "J'étais juste super excité, je me repassais toute cette journée en boucle. J'essayais de comprendre. Est-ce vraiment arrivé ? Quelle journée ! Tout s'est déroulé sous nos yeux. Et chaque fois que nous avons pris une décision, il s'est avéré que c'était la bonne."

Le départ

Le Grand Prix d'Italie ne s'annonçait pas facile pour AlphaTauri. Pierre Gasly et Daniil Kvyat ne sont pas parvenus à réitérer leurs excellents résultats des essais libres, respectivement dixième et 11e sur la grille. De plus, la course de Gasly a failli s'achever au premier virage lorsqu'il a été pris en sandwich par la Racing Point de Lance Stroll et la Red Bull d'Alexander Albon, ne pouvant éviter le contact avec cette dernière ; il a alors craint avoir subi des dégâts.

Max Verstappen, Red Bull Racing RB16 Sergio Perez, Racing Point RP20 et Pierre Gasly, AlphaTauri AT01

"Pierre, car il est très sensible vis-à-vis de la voiture, a immédiatement dit 'vérifiez la voiture, vérifiez la voiture, il y a quelque chose qui cloche'. Puis en arrivant au virage 4, il a freiné trop tard et a tiré tout droit. Il pensait vraiment qu'il y avait un problème sur la voiture, car il s'agitait à la radio. Mais toutes nos données montraient que ça allait. Nous avions une bonne pression aéro sur le fond plat et l'aileron avant. Dans les trois premiers tours, il nous a demandé encore et encore de vérifier la voiture, et son ingénieur, Pierre Hamelin, ne cessait de dire : 'Écoute, tout va bien. Tout va bien. Concentre-toi, ça va aller'."

Heureusement pour Gasly, non seulement sa voiture était en bon état, mais sa sortie de piste dans la Variante della Roggia ne lui a coûté qu'une place, et il est resté devant son coéquipier Daniil Kvyat, ce qui allait indirectement s'avérer crucial pour qu'il remporte la victoire.

Comment Kvyat a "aidé" Gasly à gagner

Comme à Spa, AlphaTauri a choisi des stratégies différentes pour ses pilotes. Kvyat, qui n'était pas en Q3, a pu choisir ses pneus pour le départ, et l'équipe a accepté de le faire partir en durs – un choix qui avait permis à Gasly de remonter dans le top 10 à Spa malgré un Safety Car qui l'avait nettement désavantagé.

"Soyons juste avec Daniil, il avait le sentiment à Spa de ne pas avoir été verni au niveau stratégique, contrairement à Pierre. À Monza, il a donc demandé à être en durs, et nous avons accepté. Malheureusement pour Daniil, cela a joué en sa défaveur."

Gasly n'a pas pu choisir ses pneus car il était en Q3 et a contraint de prendre le départ en tendres. L'équipe prévoyait initialement un premier relais jusqu'au 21e des 53 tours, mais les gommes du Français se sont usées plus vite que prévu. Se maintenant à moins d'une seconde d'Esteban Ocon lors des dix premières boucles, il a ensuite vu l'écart passer à deux secondes et demie au bout des huit suivantes. Kvyat, lui, était derrière.

"Daniil commençait à être un peu coincé. Pas énormément, je dirais, mais il était un peu agacé, il trouvait qu'il fallait le laisser passer pour qu'il attaque la voiture de devant. Nous espérions que la dégradation pneumatique de Pierre soit un peu moindre, mais il était clair, au moment du 16e tour environ, que son pneu commençait à se désagréger."

Pierre Gasly, AlphaTauri AT01, Daniil Kvyat, AlphaTauri AT01

"À ce moment-là, nous avons commencé à discuter de faire rentrer Pierre plus tôt, mais avons décidé qu'il fallait qu'il continue pour que son second relais fonctionne. Le pneu a une certaine durée de vie, et si l'on rentre trop tôt, alors on se retrouve sur deux arrêts, car on se met dans une position où les pneus ne durent pas jusqu'à la fin de la course. Bref, c'était un peu inquiétant. Mais en même temps nous nous somme dit que si Gasly rentrait et changeait de pneus, tous deux auraient la voie libre. Daniil pourrait attaquer et aller jusqu'au tour prévu, aux alentours du 32e, 33e tour."

La décision de faire rentrer Gasly a été prise au 19e passage, deux boucles avant son arrêt prévu. C'était le moment parfait pour l'équipe. Les durs neufs allaient lui permettre de finir la course sans arrêt supplémentaire, et Kvyat n'avait plus d'obstacle devant lui pour mener à bien sa stratégie alternative. Mais juste avant l'arrêt du tricolore, Kevin Magnussen a ralenti à la sortie du dernier virage.

Le moment où tout a basculé

La panne de la Haas a beau avoir donné à Gasly l'opportunité de remporter la course, elle semblait initialement avoir gâché sa stratégie. "Nous savions que si nous rentrions au stand et que la voiture de sécurité intervenait, nous allions avoir un gros problème. Car si Pierre se retrouvait en fond de peloton, la journée allait être longue pour lui. Ils m'ont demandé : 'Tu penses que ce sera un Safety Car ?' Et j'étais là… 'Euh'. Je me suis dit que ça allait être une VSC. Sûrement. Car la voiture n'avait pas l'air d'être dans un endroit dangereux à mes yeux, elle était à l'intérieur du virage."

"Nous avons réfléchi encore et encore et finalement notre ingénieur stratégie a dit : 'Il faut le faire. On perd trop de temps avec Kvyat. Il faut faire rentrer Gasly. Et on perd trop de temps avec Gasly aussi [à cause des pneus]. Donc Il faut le faire'."

Pierre Gasly, AlphaTauri AT01, dans la voie des stands

Mais dès que Gasly a fait son arrêt, un message est apparu sur les écrans techniques de la FIA : la course était neutralisée par le Safety Car. Rien de pire ne pouvait arriver à AlphaTauri à ce moment-là : les rivaux de Gasly allaient pouvoir changer de pneus en perdant moins de temps, et la stratégie de Kvyat était anéantie. Il fallait que le Russe reste en piste avec ses pneus durs, car ni les mediums, ni les tendres ne pouvaient tenir le reste de la course.

Clairement, Gasly allait être perdant dans l'histoire. "Le pauvre ! Il est arrivé dans les stands et boum, Safety Car. Je ne sais pas si vous avez entendu la communication radio de Pierre, mais il a dit : 'J'arrive pas à y croire, putain'. Nous tous sur le muret des stands, nous avons le cœur qui s'est serré. 'Oh non'. C'est déjà arrivé à Pierre, c'est déjà arrivé à notre équipe, et la sensation est toujours… Je suis sûr que c'est pareil pour toutes les équipes, mais on a parfois le sentiment qu'on est toujours malchanceux."

La bonne nouvelle de la "blonde américaine"

Or, tout a changé en l'espace d'une fraction de seconde. Dès que les commissaires (de piste) ont décidé de pousser la Haas de Magnussen vers la voie des stands, cette dernière a été déclarée fermée par les commissaires (de course). Certains se sont fait surprendre : Lewis Hamilton est rentré, mais seulement 12 secondes s'étaient écoulées entre la fermeture de la pitlane et son arrivée dans la voie des stands. C'est également le cas d'Antonio Giovinazzi, alors qu'Alfa Romeo avait 75 secondes pour informer son pilote qu'il ne pouvait pas venir changer de pneus. Tous deux allaient écoper d'un stop-and-go de dix secondes qui allait leur coûter cher.

Watson, en revanche, a été instantanément informé de la décision prise par le directeur de course Michael Masi et ses collègues, grâce à un système de son invention. "J'imagine que Mercedes n'a rien de similaire, car sinon ils auraient su. Mais sur notre muret des stands, il y a environ trois ans, j'ai installé une voix artificielle qui lit tous les messages de la FIA."

"Par conséquent, quand la FIA – le message apparaît sur la page 3 – dit 'la voie des stands est fermée', j'ai une voix artificielle – c'est une femme, je l'appelle la blonde américaine, à cause de l'accent – qui dit 'la voie des stands est fermée'. Les ingénieurs disaient que nous pourrions faire rentrer Daniil sous Safety Car, et je me suis mis à crier 'non, ne rentre pas, ne rentre pas, ne rentre pas'. Ils m'ont tous regardé et j'ai dit 'la voie des stands est fermée, la voie des stands est fermée'.

"Nous sommes donc restés en piste. Mais j'ai ensuite vu Hamilton rentrer, et je me suis demandé si moi, directeur sportif, avais commis une énorme erreur. Car une écurie comme Mercedes ne fait pas ce genre d'erreur. Puis j'ai vérifié sur l'écran. 'Non, non, c'est sûr à 100%, ne rentre pas. Il faut rester en piste'."

C'est à ce moment-là que Gasly, grand perdant du Safety Car, est devenu le grand gagnant de la fermeture de la voie des stands. "Soudain, Pierre n'était plus 20 secondes derrière mais 20 secondes devant tout le monde." À partir de ce moment-là, c'était le scénario parfait pour AlphaTauri.

"Nous priions pour que la voie des stands reste complètement fermée jusqu'à ce que Pierre rattrape l'arrière du peloton, car il fallait qu'il rattrape ces 20 secondes de retard. On ne peut pas le faire avant que la voiture de sécurité ne franchisse la ligne de contrôle pour la deuxième fois, il faut suivre le chrono exigé. Il était donc coincé dans ce mode Safety Car, où il faut rouler comme un putain d'escargot."

"Pierre criait 's'il vous plaît, dites-leur de garder l'entrée des stands fermée'. Il était donc conscient de ce qui se passait. Nous essayions de le calmer, car au début son cœur s'est serré, puis nous lui avons dit 'mon gars, tu es désormais troisième'. Heureusement pour nous, je crois que nous avons rattrapé le peloton vers les Lesmo au second tour. Puis, si je me rappelle bien, ils ont ouvert la voie des stands."

Drapeau rouge

Gasly s'est ainsi retrouvé troisième derrière Lewis Hamilton, qui allait recevoir une pénalité, et Lance Stroll, seul pilote à ne toujours pas avoir changé de pneus. Les Alfa Romeo et Charles Leclerc, qui avait fait son arrêt au 17e tour, se retrouvaient derrière, suivis par les deux McLaren.

Lewis Hamilton, Mercedes F1 W11 Lance Stroll, Racing Point RP20 dans la voie des stands

"Même à ce moment-là, je ne m'attendais pas à gagner. Je me disais : 'Bon, on est troisième, il y a quelques voitures plus rapides derrière nous – Sainz, Norris – mais on peut facilement se maintenir dans le top 10, et c'est une bonne journée pour nous'. Je pense que nous avons l'avantage sur Ferrari actuellement. Mais Charles est toujours une menace. Il n'abandonne jamais, hein ? Carlos et Norris étaient clairement rapides, comme la Racing Point. Il y avait pas mal de voitures derrière nous qui nous auraient clairement donné du fil à retordre."

Puis tout a changé, encore une fois. "Pierre nous a dit à la radio que Charles était sorti. J'ai vu sur le GPS qu'il était arrêté, et les ingénieurs se sont mis à crier comme ils le font toujours, parce qu'ils passent en mode panique. 'Est-ce qu'il va y avoir drapeau rouge ? Est-ce qu'il va y avoir drapeau rouge ?'. J'ai répondu : 'Mec, je ne suis pas directeur de course'."

"Puis la caméra embarquée de Charles est apparue sur le flux principal, et il bougeait. J'ai donc dit : 'Je ne pense pas qu'il soit blessé'. Puis il a sauté de la voiture. J'ai dit : 'Ok, il y aura drapeau rouge seulement s'il faut réparer le mur de pneus', mais je ne le voyais pas. Et quand ils l'ont montré depuis la caméra de l'hélicoptère, on voyait que le mur était assez endommagé et avait besoin d'être réaligné. À ce stade, nous nous sommes dit que ça risquait d'être un drapeau rouge." Et c'en a été un.

"Que tout le monde la ferme !"

C'est à ce moment-là que Gasly est enfin devenu l'un des principaux candidats à la victoire. Il avait conservé la troisième place, n'était plus menacé par Leclerc, tandis que les deux Alfa Romeo jouaient le rôle d'obstacle entre Gasly d'une part et les McLaren et Valtteri Bottas d'autre part. Devant lui ne se trouvaient que Hamilton, qui devait purger son stop-and-go de dix secondes, et Lance Stroll.

"À de tels moments, à la radio, c'est vraiment la folie. C'est comme un coup de fil, mais avec tout le pays qui appelle en même temps. Tout le monde veut savoir : 'Il reste combien de temps ? On a le droit de changer de pneus ? On peut faire ceci ? On peut faire cela ?'. J'ai dû répondre à la néo-zélandaise, 'que tout le monde la ferme et se calme !'. J'ai dit : 'Écoutez, je n'entends rien, taisez-vous. Il reste plus de dix minutes', parce qu'il y a un avertissement dix minutes avant le restart. 'Prenons le temps de respirer et de réfléchir à ce que nous allons faire ensuite'."

Masashi Yamamoto, Manager Général, Honda Motorsport, Franz Tost, Team Principal, AlphaTauri, et le reste de l'équipe AlphaTauri fêtent la victoire

Il y avait de quoi réfléchir, avec le premier départ arrêté en cours d'épreuve depuis que la réglementation a évolué de ce côté-là. "Nous ne savions pas si cela allait être un départ lancé ou un départ arrêté. J'ai donc appelé Michael Masi pour lui poser la question. J'étais convaincu que ça allait être un départ arrêté, parce qu'il n'y avait pas de raison que ce ne soit pas le cas. Il ne pleuvait pas. Il n'y avait pas d'autre facteur en jeu. Il m'a dit : 'Écoute, Graham, c'est fort probable'. Il n'a pas dit oui, il a juste dit que le départ arrêté était 'fort probable'."

"Cela a eu un impact énorme sur le composé pneumatique à choisir. Nous étions en pneus durs rodés à ce moment-là, ce qui aurait été super pour un départ lancé, nous nous serions facilement mis dans la course. Mais pour le départ arrêté, nous voulions vraiment des pneus neufs, et nous avions un train de pneus mediums tout neufs dans les couvertures chauffantes."

"L'ingénieur de course en chef Jonathan Eddolls a donc décampé du muret des stands et est allé parler à Gasly, qui avait alors très envie de rester en durs. Le medium l'inquiétait pas mal. Jonathan a passé un peu de temps avec son ingénieur et lui. Puis il est revenu et m'a dit : 'Bon, tu penses que ça va être un départ arrêté ?'. J'ai répondu : 'Jonathan, malheureusement, ce n'est pas quelque chose que je peux prédire, mais vu ma conversation avec Michael, je sens que ça va être un départ arrêté'."

"Puis ils ont affiché à l'écran 'Pas de communication radio dans le tour de mise en grille'. À ce stade, ils avaient déjà convaincu Pierre de prendre les mediums. Il nous restait, je crois, 27 tours de course [dont le tour de mise en grille derrière la voiture de sécurité, ndlr]. Nous avons un très bon gars pour les pneus, Stefano Orban, derrière qui il y a un bon groupe de personnes à l'usine, et ils étaient convaincus que ces pneus allaient tenir 27 tours. Il allait falloir un peu de gestion, certes… N'oubliez pas, à ce moment-là, nous ne pensions pas à gagner la course. Nous pensons en tirer de bons points."

La force mentale

À partir de là, c'était à Gasly de concrétiser. En fait, seul Stroll le séparait de la tête de la course, mais le pilote Racing Point avait également chaussé des mediums neufs. À la droite de Gasly, en deuxième ligne, on retrouvait Kimi Räikkönen, qui venait d'adopter des tendres. Le Normand avait besoin d'un départ parfait pour jouer la victoire.

"La force mentale de Pierre et ses facultés psychologiques ont joué un rôle énorme. Il est vraiment, vraiment solide. Déjà, c'est quelqu'un de super sympa. Il n'y a pas d'arrogance en lui. Il n'a pas vraiment d'ego. Il veut juste être pilote de Formule 1 et avoir des résultats. Je trouve que depuis qu'il a quitté la Red Bull et est revenu dans notre voiture à Spa l'an dernier, il est toujours performant. Le public a perçu ça comme une rétrogradation, mais je ne vois pas ça de cette manière, le fait d'être chez AlphaTauri. Bref, il a marqué des points, dès cette première course, il s'est concentré sur son travail. Et depuis, il n'a fait que se renforcer chaque jour."

"Il est vraiment concentré depuis son retour chez nous. Et je ne pense pas qu'il s'agisse de donner tort à Helmut [Marko] ou à Christian [Horner] ou quoi que ce soit de la sorte. C'est surtout qu'il veut être pilote de Formule 1 et qu'il est prêt à y consacrer les efforts nécessaires. Et au moment de ce départ en pneus neufs, il savait que s'il prenait la deuxième place [derrière Hamilton], il avait une chance de gagner cette course. Il ne l'a pas dit, mais il le savait."

"Il était juste super concentré au départ. Et comme on l'a tous vu, il a tenu bon, d'abord au départ, puis avec Kimi au virage 4. Et Lance… je ne suis pas sûr de ce qui s'est passé, mais il a pris un mauvais envol puis a tiré tout droit au virage 4. Il y a l'un des candidats à une première victoire qui était concentré, et je pense que Lance s'est peut-être laissé décontenancer, et c'est malheureusement à ce moment-là que sa course est devenue une course pour la troisième place."

Lewis Hamilton, Mercedes F1 W11 Pierre Gasly, AlphaTauri AT01, Kimi Raikkonen, Alfa Romeo Racing C39 et Lance Stroll, Racing Point RP20 au deuxième départ

"C'est notre voiture, ça ?"

Ayant devancé Stroll à l'extinction des feux, Gasly a hérité de la tête de la course lorsque Hamilton a purgé son stop-and-go, et a pu attaquer sur une piste libre. Une situation particulièrement inhabituelle pour l'AlphaTauri AT01, à l'inverse des Mercedes qui se sont retrouvées dans le trafic alors qu'elles n'en ont pas l'habitude.

"Nous sommes toujours dans l'air sale en F1. Avec Pierre en tête, la voiture était super froide ! Chaque paramètre du système de refroidissement, les freins, tout était gelé ! Nous nous disions : 'C'est notre voiture, ça ? Ou bien on regarde les données d'une autre ?'. Car cela fait une énorme différence de rouler dans l'air libre. Dans le trafic, notre voiture ne surchauffe pas, mais elle est bien plus chaude. La différence était significative."

"Cela a probablement aidé Pierre également, car on a un peu plus de performance moteur si l'on a le refroidissement sous contrôle, on ne fait pas de lift-and-coast pour essayer d'économiser les freins et les choses comme ça. Cela joue en notre faveur. Que Hamilton rentre au stand n'a pas vraiment eu un énorme effet sur nous, mais cela a permis à Pierre de se concentrer sur sa tâche. Et avec l'obstacle devant Carlos qu'était Kimi, il a eu quelques tours pour commencer à creuser un peu l'écart."

"Pierre [Hamelin], son ingénieur, pouvait lui donner une information sur le mode de freinage par exemple, afin d'éviter tout problème, mais avec cette situation de l'unité de puissance [l'interdiction de modes différents entre le début des qualifications et la fin de la course, ndlr], il n'y a pas grand-chose à dire au pilote. Tout dépendait de lui, en fin de compte. Et, vous savez, dans les 27 derniers tours de cette course, il a piloté comme un champion. Il n'a pas fait d'erreur. Il est resté concentré. Il a géré l'écart avec Carlos jusqu'au dernier tour, quand ses pneus étaient complètement morts."

"Quelqu'un m'a dit l'autre jour que nous avions eu de la chance, que c'était un cadeau, et j'ai répondu : 'Attends une seconde, le gars a dû mener la course pendant 27 tours'. Ce n'est pas ça, un cadeau. Certes, ça aide, que la Mercedes soit pénalisée et tout le reste, mais il a quand même fait une excellente course."

"Même là… Je vais être honnête avec vous, de là où j'étais sur le muret des stands, je ne voyais pas la victoire arriver. Je voyais les chronos de Carlos, et je me suis dit : 'Bon, on va en tirer la deuxième place, et ce sera un super résultat'. Pas 'décevant'. Ça allait être super. Mais quand Pierre, l'ingénieur, parlait à Gasly dans la voiture, il maîtrisait parfaitement la situation. Il disait : 'La gestion est sous contrôle. Quel est l'écart ? Continue à me dire l'écart, c'est tout'."

"C'était difficile… lors des huit derniers tours, nous avions envie d'y croire. Nous voyions que Carlos avait encore un peu plus de vie dans ses pneus, et ils avaient une voiture plus rapide que la nôtre tout le week-end. Ces huit derniers tours ont semblé être une éternité. Normalement, à Monza, la course semble durer quelques secondes, mais là, c'était comme plusieurs jours."

Le vainqueur Pierre Gasly, AlphaTauri

Le podium

Gasly a finalement résisté au retour de Sainz et a franchi la ligne d'arrivée avec 0"415 d'avance, alors que la folie s'emparait du muret des stands. "C'était complètement fou", confirme Watson. "Je crois que nous avons tous ouvert nos micros en même temps. Tout le monde avait quelque chose à dire. Pas à Pierre, mais à chacun d'entre nous. Je n'avais jamais vu Franz [Tost, directeur d'équipe] si heureux depuis que je travaille avec lui."

"Je ne peux pas nier avoir versé une petite larme. Pas tant parce que nous avons gagné la course, c'est juste le niveau de l'émotion ressentie sur le muret des stands. Une course normale est déjà assez dure. J'ai honnêtement des maux de tête tous les dimanches soir. Et avoir la pression d'essayer de remporter cette course… Et tout ce que Gasly a traversé… Tout ça était rassemblé. Et les mécaniciens italiens sont juste des gens fantastiques à avoir autour de soi dans ces moments-là, ils sont très expressifs. Et ils ont laissé éclater leur joie. C'est un jour dont je me souviendrai toujours, certainement. Si nous gagnons une autre course, c'est bien. Mais celle-là, à Monza, c'est quelque chose d'unique. Vraiment unique."

D'autant plus unique que Watson a été choisi pour recevoir le trophée du constructeur vainqueur sur le podium. "Après la course, Franz est venu me voir. J'avais encore mon casque audio, la radio fonctionnait encore, et je peinais à entendre ce qu'il disait. Mais il a pointé mon torse du doigt et a dit quelque chose à mon sujet. J'ai manqué une partie de ses propos, mais je lui ai dit 'OK Franz, oui, oui'. Et il est parti. Mais il est ensuite revenu, et j'étais encore sur le muret des stands. Il m'a dit 'Oublie toute cette merde, Graham, oublie toute cette merde. Il faut y aller, Pierre sera là dans un instant'."

"Nous avons couru dans les stands, et Jonathan Wheatley [directeur sportif RBR] a sauté du muret des stands Red Bull, est sorti de sa bulle sociale et m'a pris dans ses bras. C'était une vraie embrassade. Ce n'était pas du genre 'ouais, bien joué, mec', c'était vraiment émouvant, du genre 'vous avez assuré, putain !'. Puis je suis arrivé là où Pierre sortait juste de sa voiture, et Franz m'a demandé : 'Comment est-ce que tu montes sur le podium ?'. J'ai répondu : 'Je ne sais pas, Franz. Je n'y suis jamais monté. Tu sais quoi, je vais aller chercher quelqu'un de la FIA pour t'aider'. Et il a dit : 'Non non, c'est toi qui montes sur le podium'. Je l'ai regardé, j'ai fait 'oh non, non, non, non', et il a insisté : 'Non, c'est toi qui y vas. C'est ce que je t'ai dit sur le muret des stands. Tu montes sur le podium'."

"Je vais vous dire un truc : c'est vraiment dommage qu'il n'y ait pas eu de fans. Nous sommes une écurie italienne, et ç'aurait été une sensation incroyable d'avoir l'hymne italien avec tous les tifosi, mais en fin de compte, c'était quand même un moment très émouvant. Très émouvant."

"J'ai envoyé un SMS à Franz hier, juste pour dire 'merci de m'avoir donné l'opportunité de représenter l'équipe sur le podium', pour dire que c'était 'l'un des plus grands moments de fierté de ma vie'. Tout ce travail, toute cette souffrance, toutes ces heures… La F1, ce sont des montagnes russes d'émotion. Des hauts et des bas à l'extrême. On peut être au fond du trou puis se retrouver au sommet, et toutes ces années pour finalement réussir quelque chose qui paraissait tellement impossible… Je crois que Toto [Wolff, directeur de Mercedes AMG F1] a dit que la Formule 1 était le vainqueur de dimanche. Les gens voulaient voir quelque chose de différent. Et nous l'avons fait. Jouer un rôle là-dedans… C'était une journée assez incroyable."

Graham Watson Team Manager, AlphaTauri sur le podium reçoit le trophée

"J'espère vraiment qu'il va rester avec nous"

Et cette "journée incroyable", insiste Watson, n'aurait pas été possible sans un pilote qui a été performant au bon moment. "C'est vraiment quelqu'un de super à côtoyer" ; ainsi décrit-il Gasly. "Comme je l'ai dit, il est plein de confiance, mais il n'est pas arrogant. Il n'a pas un énorme ego ou quoi que ce soit. C'est un jeune homme de [24] ans comme les autres. Mais il pilote une Formule 1 et y prend du plaisir."

"On voit parfois des pilotes qui rejoignent certaines écuries et ne sont pas au niveau dont on les sait capables. Et ce n'est pas… C'est juste que cet environnement ne leur convient pas. C'est aussi simple que ça. Et pour quelque raison que ce soit, AlphaTauri lui convient. L'équipe convient à sa personnalité. Depuis qu'il est revenu de chez Red Bull, je ne crois pas qu'il ait eu quoi que ce soit à prouver. Je pense qu'avant d'y aller, il avait déjà montré qu'il était un très bon pilote. Mais depuis qu'il est revenu, il s'est focalisé encore davantage sur son pilotage."

"Il a encore sa vie personnelle, ça lui arrive toujours de dire 'Graham, je veux rentrer en Normandie pour passer un week-end avec ma famille'. Il n'a pas oublié d'où il venait, il reste très attaché à sa famille. Mais il pilote si bien… et je pense qu'il est à l'aise, ce qui a un énorme impact."

"Chez Red Bull Racing, c'était différent de Toro Rosso. Les attentes étaient si élevées – ce qui est compréhensible, car ils veulent remporter des titres mondiaux – que ça n'a simplement pas fonctionné pour lui. Et il est revenu chez nous. Et il mérite d'être en Formule 1, aucun doute là-dessus. On ne gagne pas un Grand Prix par hasard. Il a tout fait à la perfection ce jour-là et a montré au monde que Pierre Gasly avait de l'avenir en Formule 1, qu'il avait le niveau pour être là. Et j'espère vraiment qu'il va rester avec nous. Vraiment. J'adorerais qu'il reste dans notre équipe pour quelques années de plus."

"La première fois qu'il est arrivé chez nous, il disait 'je veux être pilote Red Bull, je veux être pilote Red Bull'. Et je lui ai dit : 'Tu sais mon gars, l'un des points négatifs que j'ai en tant que team manager de notre équipe, c'est que tous nos pilotes sont du giron Red Bull, et ils arrivent tous avec cette même attitude : cette équipe n'est pas vraiment assez bonne pour moi, je veux aller chez Red Bull. Écoute, quand tu rejoins notre équipe, fais-en la tienne. Fais ce que Schumacher a fait chez Benetton. Benetton était une écurie qui avait un peu de succès mais pas énormément quand Michael Schumacher l'a rejointe. Mais il a fait de cette écurie la sienne. Et il a fait croire aux gens de cette équipe qu'ils pouvaient faire mieux que ce qu'ils faisaient, qu'ils pouvaient gagner. Et quand ils ont gagné une course, ils ont cru qu'ils pouvaient gagner des titres mondiaux. C'est ce que tu dois faire avec nous, fais de cette équipe ton équipe'. Et je pense que d'une certaine manière, il l'a fait."

"Vous savez, il y a énormément de confiance placée en lui. Je lui ai envoyé un message l'autre jour pour lui dire à quel point l'équipe était fière de lui. Et c'était avant d'aller à Monza. Que peut-on dire de lui en ce moment ? Il est considéré comme le pilote de l'année, en dehors de Lewis. Ses performances, week-end après week-end… Vous savez, elles ne sont pas toujours aperçues. Mais sa course de Spa était phénoménale. C'était incroyable. Il a été malchanceux avec le Safety Car, il s'est retrouvé dernier [avant-dernier en réalité, ndlr] et il est remonté à la huitième place avec cette voiture. Et il a enchaîné avec la victoire à Monza. Wow."

"Les performances de ce garçon ne peuvent simplement pas être remises en question. Je ne sais pas ce que pensent Christian [Horner] et Helmut [Marko] maintenant, mais j'espère juste qu'ils vont continuer avec Alex et laisser Pierre se développer avec nous. Puis on verra ce qu'il se passera." Le premier Français vainqueur d'un Grand Prix depuis 24 ans n'a clairement pas à s'inquiéter pour son avenir.

Graham Watson Team Manager, AlphaTauri avec le vainqueur Pierre Gasly, AlphaTauri, fêtent avec le Champagne

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