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La voiture qui a entraîné l'agonie de Prost GP

Un pilote français, une écurie française, un moteur français. Nous ne parlons pas d'Esteban Ocon chez Renault en 2020 mais de Jean Alesi chez Prost-Peugeot en 2000, saison qui a marqué le début de la fin pour l'écurie tricolore. L'autre pilote, Nick Heidfeld, s'en souvient parfaitement.

Nick Heidfeld, Prost AP03 Peugeot

Nick Heidfeld, Prost AP03 Peugeot

Rainer W. Schlegelmilch

Il y a 20 ans, à une époque où Renault n'était présent en Formule 1 qu'en tant que propriétaire de l'écurie Benetton (qui utilisait toujours la version 1997 du moteur au losange, tout comme Arrows), ce sont Prost Grand Prix et Peugeot qui représentaient la France dans la catégorie reine du sport automobile.

Cependant, l'équipe Prost était engluée en fond de grille depuis deux ans, après les promesses non concrétisées de 1997, où Olivier Panis avait profité des performances des pneus Bridgestone pour signer deux podiums avant de se briser les jambes dans un horrible accident à Montréal. Pour 2000, Panis est parti chez McLaren avec un rôle de pilote d'essais, tandis que Jarno Trulli, auteur du seul rayon de soleil qu'était la deuxième place au Grand Prix d'Europe 1999, s'éclipsait chez Jordan.

Sont arrivés Jean Alesi, proche d'Alain Prost depuis qu'ils avaient fait équipe chez Ferrari en 1991, et Nick Heidfeld, qui a fait le chemin inverse à celui de Panis – l'Allemand était essayeur McLaren en 1998 et 1999. Auréolé de nombreux titres en formules de promotion, Heidfeld avait prévalu sur le réserviste Stéphane Sarrazin, contraint de conserver ce rôle alors qu'il avait décliné une opportunité de titularisation avec Minardi, et le rookie Jenson Button, qui s'était finalement tourné vers Williams.

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Lorsqu'elle a été présentée, la Prost AP03 a attiré tous les regards par sa splendide livrée bleue et la pléthore de sponsors qu'elle arborait : Gauloises, BIC, Sodexho (qui s'écrit désormais sans H) et Total pour ce qui est des marques françaises, ainsi que PlayStation et Yahoo, qui était alors un acteur majeur d'Internet.

Le design conçu par Alan Jenkins n'était pas en reste, inspiré par la McLaren MP4/14 d'Adrian Newey, avec des ailettes de part et d'autre du châssis pour respecter les dimensions imposées par la FIA et des déflecteurs imposants. L'empattement a par ailleurs été réduit par rapport à l'AP02, permettant une perte de 30 kg.

Vue latérale de la Prost AP03

Bref, Prost espérait remonter la pente en imitant la monoplace Championne du monde en titre, mais cela ne s'est pas passé ainsi, c'est le moins que l'on puisse dire. La Prost AP03 manquait de stabilité, de motricité et surtout de fiabilité, ce à quoi le moteur Peugeot n'était pas étranger. Autant dire que Nick Heidfeld n'en garde pas de très bons souvenirs, estimant qu'il s'agit de "la pire voiture de [sa] carrière en Formule 1".

"Vu les résultats, ce n'était évidemment pas une voiture rapide", analyse Heidfeld pour Motorsport.com. "De ce que j'ai connu dans ma carrière, je dirais que neuf fois sur dix, les voitures rapides sont également faciles à piloter. C'était tout particulièrement le cas avec la McLaren que je pilotais auparavant, clairement l'une des meilleures voitures que j'aie jamais pilotées en termes de rapidité, d'équilibre et de prévisibilité."

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"Et c'était complètement l'inverse avec la Prost. La voiture n'était pas équilibrée, et j'avais vraiment beaucoup à faire avec le volant [pour la maîtriser]. Les pilotes de fond de grille doivent se battre avec la voiture bien davantage, et c'était le cas avec la Prost, qui était mal équilibrée et imprévisible. Pour un pilote, c'est le pire. Si l'on sait à quoi s'attendre, on peut plus ou moins s'y habituer, mais si l'on ne sait pas vraiment ce qui va se passer, ça complique les choses."

Nick Heidfeld, Prost AP03 Peugeot

De surcroît, la relation avec Peugeot a tourné au vinaigre, avec 15 abandons mécaniques en 17 Grands Prix dont de nombreuses casses moteur qui n'auraient pas fait tache lors d'un feu d'artifice du 14 juillet. Devenu actionnaire de l'écurie en 2001, l'ancien pilote Pedro Diniz a indiqué que près de 60 moteurs au lion avaient rendu l'âme au fil de la saison 2000, et ce groupe propulseur n'était pas particulièrement puissant pour autant.

"Il cassait souvent", confirme Heidfeld. "J'ai vu une photo de la voiture en feu, et ça n'avait rien d'inhabituel, ça se produisait trop souvent. C'est probablement l'une des pires relations dont je me souvienne entre un constructeur et un motoriste. Mais je ne dirais pas que le moteur était le problème principal. Je dirais que le moteur manquait de souplesse, mais ça allait. On pouvait plus facilement contourner [le manque de performance du moteur] que du châssis."

Pire encore, Peugeot se sentait floué par un Alain Prost très critique à son égard et a choisi le Grand Prix de France pour déclarer une très courte grève de ses techniciens lors du warm-up. "Avec le recul, c'était drôle", se rappelle Heidfeld, "mais quand ça s'est produit à Magny-Cours, c'était la pire expérience de ma carrière. Jean Alesi et moi étions dans nos voitures, qui étaient prêtes à démarrer, mais nous n'avons pas été autorisés à sortir des stands à cause des disputes entre Prost et Peugeot, qui se rejetaient la faute. Peugeot a refusé de démarrer nos moteurs pendant les 15 premières minutes, en guise d'avertissement pour ce qui se passait en coulisses. J'étais dans la voiture et j'étais furieux. Je réfléchissais à ce que je pouvais faire, mais la réponse était : pas grand-chose ! J'ai vu les autres voitures prendre la piste pendant que nous perdions du temps, c'était vraiment horrible !"

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Heureusement, la pluie masquait les défauts de la Prost, et Heidfeld en a notamment profité pour se hisser au 13e rang de la grille de départ à Hockenheim, devant les deux pilotes Williams, la Jordan de Heinz-Harald Frentzen et la Ferrari de celui qui allait s'imposer le lendemain, Rubens Barrichello. Il n'empêche que la plupart du temps, les Prost étaient surtout à la lutte avec les Minardi en fond de grille, elles-mêmes handicapées par un moteur Ford vieux de trois ans, rebadgé Fondmetal.

Abandon de Nick Heidfeld, Prost AP03 Peugeot

Pour couronner le tout, Heidfeld et Alesi avaient une fâcheuse tendance à s'accrocher en piste. "C'est quelqu'un d'adorable, mais je suis sûr que je ne suis pas le premier à dire qu'il est différent en dehors de la voiture par rapport à dedans", dit l'Allemand de son coéquipier dans le podcast Beyond The Grid. "Car au volant, il peut parfois être un peu fou, mais en dehors, c'est la personne la plus sympathique qui soit."

Heidfeld donne l'exemple du Grand Prix d'Autriche (photo ci-dessus), où le Français est allé à l'encontre d'une consigne d'équipe en tentant de dépasser son coéquipier ; ce dernier venait de rentrer au stand et était sur une stratégie plus favorable. "Pour moi, c'est l'une des choses les plus stupides qu'il ait faites quand nous étions équipiers. Même si j'en ai fait aussi ! Car je lui suis rentré dedans à Magny-Cours, et c'était complètement ma faute."

"Mais ce que les gens ne savent probablement pas, c'est qu'en Autriche, j'avais l'avantage, et l'équipe lui avait ordonné de ne pas me doubler afin que nous ayons de meilleures chances de faire un bon résultat, pour une fois. Je ne m'attendais donc pas à ce qu'il attaque, et du point de vue de l'équipe c'était stupide, mais il l'a fait, nous nous sommes accrochés et avons abandonné. C'était un de ces moments où l'on se dit : 'Pourquoi a-t-il fait ça ?'."

"Mais comme je l'ai dit, il y a eu un autre incident à Magny-Cours, où j'ai commis une erreur au freinage en tentant de dépasser une autre voiture ; j'ai freiné trop tard et j'ai percuté Jean, qui était deux voitures devant moi. C'était ma faute à 100%, et c'était sa course à domicile, en France. Il aurait facilement pu me trucider dans les médias, mais il a été gentil et même adorable. Cela montre ses deux facettes, dans la voiture et en dehors."

Nick Heidfeld, Alain Prost, team principal Prost GP, et Jean Alesi

Prost GP n'a en tout cas jamais relevé la pente, malgré le divorce avec le directeur technique Alan Jenkins dès le mois de mai, tandis que Peugeot a claqué la porte en fin de saison. S'il est parvenu à rejoindre Sauber pour la saison 2001 avec un podium à la clé, Heidfeld ne cache pas la frustration qu'il a ressentie au sein de l'écurie tricolore, mais se refuse à jeter la pierre à Alain Prost.

"Je pense que ce n'était pas facile pour lui", tempère-t-il. "Être un grand pilote ne signifie pas que l'on est un grand directeur d'équipe, et tout était très nouveau pour lui. Il a certainement fait de son mieux, mais les résultats montrent qu'il n'a pas fait du travail fantastique. Je l'apprécie, nous avons passé de bons moments, mais en même temps, c'était l'année la plus frustrante que j'aie connue en Formule 1."

"Nous avons commencé l'année avec une voiture qui ne marchait pas. Mais pire encore, il n'y avait aucun progrès. Il y a eu beaucoup de fois où j'ai parlé à différentes personnes de l'équipe pour tenter de faire changer et d'améliorer les choses. Il y a eu beaucoup de discussions, mais jamais rien n'a été fait, et c'était ça le plus dur. Commencer avec quelque chose qui n'est pas bon, d'accord, mais au moins, on essaie de l'améliorer. Là, c'était juste horrible, vraiment."

Abandonnée par ses sponsors, l'écurie Prost a fait les essais hivernaux 2001 avec une robe bleue vierge de tout commanditaire et a fait signer le fortuné Gastón Mazzacane, avant de le remercier après quatre courses en raison de performances médiocres, au grand dam de l'Argentin. Peugeot a loué sa propriété intellectuelle et ses infrastructures à Asiatech, qui fournissait des moteurs à Arrows, tandis que Prost a trouvé un coûteux accord avec Ferrari pour des groupes propulseurs rebadgés Acer. L'AP04 était une meilleure monoplace que sa devancière, mais cela n'a pas suffi à remonter la pente, et Prost Grand Prix a fait faillite début 2002, sans acquéreur potentiel. Ce fut le trépas du projet censé devenir l'emblème du savoir-faire à la française.

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