Analyse

Après tant de résistance, Williams succombe à la voix de la raison

La nouvelle est tombée vendredi, et même si elle était attendue, elle est historique : l'écurie Williams a été vendue à un fonds d'investissement américain. C'est une page qui se tourne pour l'écurie mais aussi pour la F1, bien qu'elle ouvre des perspectives prometteuses pour la structure de Grove.

Alain Prost devant Damon Hill, Williams FW15C Renault

Photo de: LAT Images

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Ces dernières années, les bonnes nouvelles sont devenues rarissimes autour de l'écurie Williams. Le team a chuté brutalement dans la hiérarchie en 2018, avant un véritable "annus horribilis" l'an passé : une monoplace très en retard, absente des premiers essais hivernaux et finalement très loin du compte, au point d'être incapable de quitter le fond du peloton. On était loin de l'écurie Williams qui avait pu, en son temps, enchaîner les titres mondiaux comme des perles au milieu des années 90.

L'annonce faite vendredi a pris des airs de soulagement. Williams avait lancé un processus stratégique de refonte de ses finances à la fin du mois de mai et avait annoncé la couleur : sa quête d'investisseurs pourrait se traduire par une vente partielle ou totale de l'équipe. C'est cette dernière option qui a été retenue, Dorilton Capital prenant intégralement le contrôle de Williams Racing. Ainsi débute une nouvelle ère pour l'écurie, tandis qu'une autre s'achève pour la F1.

Patrick Head et Frank devant leur nouvelle usine, en 1978.

Patrick Head et Frank devant leur nouvelle usine, en 1978.

Très longtemps, Williams a revendiqué avec une grande fierté son statut d'écurie indépendante et familiale. La résilience et le courage de son fondateur, Frank Williams, se sont toujours ressentis dans ce que faisait l'équipe au quotidien, y compris dans les moments les plus difficiles qui se sont accumulés au cours des 18 derniers mois. Frank Williams n'a jamais voulu perdre le contrôle du projet qu'il a initié, ni des valeurs avec lesquelles il a bâti son équipe. BMW en avait fait les frais dans les années 2000, lorsque le constructeur allemand avait tenté d'étendre son partenariat technique avec Williams et d'envisager son acquisition, se heurtant à une fin de non-recevoir. La marque bavaroise s'était désengagée pour aller investir chez Sauber à la place.

Cette résistance n'a fait que se répéter, y compris ces dernières années. Quand Lawrence Stroll a investi en 2017 et fait venir des sponsors chez Williams pour y faire débuter son fils, Lance, l'homme d'affaires avait des intentions plus larges encore. Il espérait pouvoir mettre en place un étroit partenariat technique avec Mercedes, dans la veine de ce qu'il a finalement mis en place à travers le rachat de Racing Point à l'été 2018. Une fois encore, Frank Williams s'y était opposé, tenant avec obsession au statut d'indépendance et de savoir-faire de son écurie ainsi qu'au fait de tout faire elle-même, n'entretenant une relation de client que pour la fourniture des unités de puissance.

Juan Pablo Montoya, Williams BMW FW25

L'abnégation et l'énergie dépensée pour protéger ces valeurs et entretenir l'héritage familial de Williams est évidemment admirable. Néanmoins, devant l'inéluctable descente aux enfers en piste, avec des résultats devenus intenables, il était urgent et vital de faire quelque chose. En décembre, le groupe Williams a d'abord vendu sa branche technologique Williams Advanced Engineering, puis entamé une remise à plat de son modèle économique. C'est ce qui l'a mené jusqu'au processus de recherche de nouveaux investisseurs à la fin du mois de mai.

Le mois dernier, Claire Williams faisait savoir que l'écurie avait noué contact avec "un certain nombre d'investisseurs potentiels intéressants", soulignant surtout qu'ils étaient de "qualité" et méritaient donc d'y prêter attention. La directrice adjointe confirmait là une tendance déjà révélée un peu plus tôt par Ross Brawn, patron sportif de la F1, qui se montrait serein devant le "sérieux" des parties intéressées pour investir chez Williams. Dorilton Capital est sorti du chapeau et a donc fait l'acquisition de Williams Racing pour 152 millions d'euros. Cette vente a reçu le "soutien unanime" du conseil d'administration, y compris de Sir Frank, qui détenait 52% des parts.

Surtout, la clé de l'opération réside dans le fait que, si l'écurie ne figure désormais plus officiellement entre les mains de la famille Williams, il n'y aura pas pour autant de changement d'identité. L'entité reste baptisée Williams Racing, les monoplaces qu'elle concevra porteront toujours le nom FW comme le veut la tradition depuis le milieu des années 70 et le début de l'aventure. Quant à aux installations, elles demeureront à Grove, en Grande-Bretagne. En officialisant la vente, Claire Williams a énormément insisté sur le fait que Dorilton Capital "respecte l'héritage de l'équipe" et en soit le nouveau propriétaire idéal : "C'est peut-être la fin d'une époque pour Williams en tant qu'équipe familiale, mais nous savons qu'elle est entre de bonnes mains. La vente assure la survie de l'équipe, mais surtout, elle ouvre la voie au succès".

George Russell, Williams FW43, Nicholas Latifi, Williams FW43

Dans l'immédiat, l'accord conclu apparaît comme une solution satisfaisante pour Williams. Son nom va continuer à vivre tout en bénéficiant désormais du soutien financier et de la stabilité nécessaires pour entrer dans la nouvelle ère de la F1, qui instaurera dès 2021 un plafonnement budgétaire. Cette nouveauté qui fut si longtemps un serpent de mer doit rendre la F1 plus attrayante pour les petites structures, qui devraient ainsi moins souffrir du décalage actuel avec les top teams en matière de ressources.

Le profil de Dorilton Capital paraît lui aussi rassurant : il ne s'agit pas d'un fonds d'investissement fortuné qui cherche à faire du profit rapidement puis à passer à autre chose. Son ambition est de "créer de la valeur sur le long terme en réinjectant des liquidités et en évitant un endettement excessif". Quand on connaît le poids qu'a encore le nom de Williams en F1, de par son histoire et ce qu'il représente, on peut croire à une union prospère.

Dorilton Capital dit vouloir travailler avec des entreprises qui présentent un revenu net situé entre 4 et 25 millons de dollars. L'an dernier, Williams a affiché des pertes de 10,1 millions de livres dans sa branche F1 : il y a du travail à fournir mais la tâche ne paraît pas insurmontable, qui plus est à la lumière des nouveaux Accords Concorde paraphés cette semaine pour encadrer le modèle économique, politique et commercial de la F1 au cours des cinq prochaines années. Sans ces nouveaux accords voulus par Liberty Media, propriétaire de la discipline, il est vraisemblable que la quête d'un investisseur aurait été bien plus complexe.

Les fondateurs de Dorilton Capital ont également d'excellentes relations dans le monde des affaires. Le président Matthew Savage et le PDG Darren Fultz ont tous les deux occupé des postes importants chez Rothschild par le passé, avant de quitter la firme pour créer l'actuel fonds d'investissement. En tout état de cause, et bien que ce soit souvent le cas au début d'un mariage de raison, tous les signaux semblent au vert. 

Frank Williams, Williams

Il n'en reste pas moins que la vente de Williams constitue la fin d'une ère à la fois pour l'écurie en question mais également pour la F1, qui perd sa dernière structure familiale. À présent, chaque équipe appartient soit à un grand constructeur, soit à un fonds d'investissement ou un consortium : de quoi faire disparaître un peu de romantisme au profit d'un peu de nostalgie. Néanmoins, cette vision idéaliste avait en réalité disparu depuis bien longtemps dans la catégorie reine.

Il est nécessaire de rappeler l'échec des trois écuries qui ont débuté en F1 en 2010 (HRT, Caterham et Manor), toutes disparues depuis déjà un petit moment. On se souvient également de toutes les peines du monde qu'a eues Peter Sauber à sauver son écurie lors du retrait de BMW fin 2009, avant de trouver son salut auprès du groupe Longbow Finance en 2016. Depuis, la structure suisse affiche des états de service bien plus rassurants et une viabilité retrouvée.

Aujourd'hui, un indépendant qui veut entrer en F1 doit avoir les reins solides et surtout des ressources inépuisables qui lui permettent d'investir à perte. Si ce n'est pas le cas, la seule alternative est de monter un modèle qui fonctionne, comme l'a fait Haas lors de son engagement en 2016 en bouleversant les codes établis et en exploitant au maximum la réglementation en matière de partage technologique et de sous-traitance. Un système qui présente toutefois ses limites, même si Gene Haas a toujours fait savoir qu'il n'aurait jamais pu s'impliquer en F1 autrement.

Romain Grosjean, Haas VF-20, leads Antonio Giovinazzi, Alfa Romeo Racing C39, and Nicholas Latifi, Williams FW43

Les nombreuses mutations dans le paysage de la F1, auxquelles se sont ajoutés des résultats catastrophiques, ont envoyé Williams dans une impasse. Pour assurer la survie d'une écurie qui a marqué l'Histoire de la sorte, il fallait se rendre à la raison et faire une croix sur un idéal, sur son indépendance. Il était vital que l'équipe britannique en prenne conscience avant qu'il ne soit trop tard, pour lui permettre de réagir tant qu'il en était encore temps.

C'est chose faite, et le processus mis en place à temps lui a sans doute permis de pouvoir choisir le meilleur investisseur possible plutôt qu'être contraint d'accepter la première offre venue. Avec Dorilton Capital, Williams semble avoir trouvé un nouveau propriétaire qui raisonne sur le long terme. Il doit assurer la stabilité mais aussi le retour à un niveau de compétition plus flatteur. Il n'y a peut-être plus de véritable écurie familiale en F1, mais on peut cependant se réjouir d'avoir un plateau constitué de dix structures stables, renforcées et probablement plus viables qu'auparavant.

Les Williams de Carlos Reutemann et  Alan Jones en tête du GP d'Espagne 1980.

Les Williams de Carlos Reutemann et Alan Jones en tête du GP d'Espagne 1980.

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