Chronique Delétraz - Après le drame de Spa, un podium à Sotchi
Ces dernières semaines ont été dures dans le paddock de la Formule 2. C'est le cas pour Louis Delétraz, qui a perdu un concurrent mais surtout un ami, Anthoine Hubert, décédé en course à Spa-Francorchamps. Le Suisse a surmonté cette épreuve dans la fraternité avec ses pairs et est ensuite monté sur le podium à Sotchi ; il revient sur les deux derniers mois dans sa chronique pour Motorsport.com.
Il y a des moments, dans la vie, où survient un événement si grave que tout le reste devient insignifiant. C'est le cas de ce samedi 31 août, où nous avons perdu Anthoine. Je n'évoquerai que brièvement le meeting précédent, au Hungaroring, où je m'étais qualifié cinquième mais ai subi une panne hydraulique dès le troisième tour de la Course Principale, quand j'ai voulu activer le DRS. C'était un nouveau manque de chance, c'était un week-end sans points, mais au vu des récents événements, cela n'a que bien peu d'importance.
Je n'ai rien vu de l'accident lorsqu'il s'est produit à Spa-Francorchamps. Je venais de prendre mon meilleur envol en F2, j'étais deuxième, puis le drapeau rouge a été agité. La course a été annulée, ce qui n'est jamais bon signe ; nous sommes rentrés au paddock et avons compris qu'il s'était passé quelque chose de grave. L'attente a été très longue ; personne ne parlait, l'atmosphère était lourde. Et au bout de deux heures, on nous a annoncé le décès d'Anthoine.
C'était un choc. Je n'avais jamais vécu ça dans ma vie de pilote : perdre un collègue, un ami qui a mon âge, c'est insensé. Ça nous a tous grandement affectés. Ça a tout détruit. Nous avons commencé la course à 20, nous l'avons finie à 19, et Juan Manuel Correa est grièvement blessé. Le sport passe alors au second plan. Nous sommes une grande famille et avons soutenu les proches d'Anthoine dans ces moments terribles.
Anthoine, c'était quelqu'un de génial. Je le connaissais depuis longtemps : nous avions roulé ensemble en Formule Renault, nous nous sommes même battus pour le titre 2015 en Eurocup. Je n'ai pas assisté à beaucoup d'obsèques auparavant, mais comme de nombreux pilotes, je m'y suis rendu car je voulais être présent, dire un dernier au revoir et être aux côtés de sa famille. La cérémonie était magnifique ; je pense qu'il a été honoré comme il le méritait.
Les deux courses de Spa-Francorchamps ont été annulées, ce qui était à mon avis judicieux. Mais il était important de revenir à Monza et de courir pour Anthoine, avec le plus grand respect pour sa famille et lui. Il n'aurait pas voulu que nous arrêtions. C’était la bonne décision.
Pas de réussite à Monza
Monza ne m'a en tout cas pas été très favorable. Encore une fois, en qualifications, je n'ai pas eu de chance ; j'ai signé le meilleur temps absolu dans le premier secteur, j'étais bien parti pour signer la pole position, mais mon coéquipier Nobuharu Matsushita est sorti de la piste et a provoqué un drapeau rouge, après quoi il s'est mis à pleuvoir. Je me suis ainsi retrouvé neuvième sur la grille pour la Course Principale.
Malheureusement, j'ai alors subi un accrochage. J'ai gagné une place au départ, et au deuxième tour, Jordan King et Luca Ghiotto se battaient devant moi ; King a voulu décroiser, mais mon aileron avant était là. Il ne m'avait probablement pas vu, c'était un incident de course, mais j'ai été contraint à l'abandon. En partant 16e en Course Sprint, je suis remonté à la huitième place et j'ai marqué un point ; la voiture fonctionnait vraiment bien. La série de mauvaises courses continuait néanmoins.
Premier podium en Course Principale
Après avoir travaillé dur pendant trois semaines, nous nous sommes rendus à Sotchi avec la ferme intention de rebondir. Les qualifications étaient correctes : j'étais septième. J'ai gagné une place au premier tour, et nous étions sur la stratégie supertendres/mediums. On sait très bien que les supertendres ont une dégradation colossale, à tel point que je perdais plusieurs secondes au tour après trois boucles seulement, comme tous les pilotes ayant pris le départ avec ces gommes. Il fallait toutefois rester en piste jusqu'à l'ouverture de la fenêtre d'arrêts au stand, au sixième tour, après quoi j'ai eu la piste libre et j'ai attaqué à fond. J'étais alors le plus rapide en piste et j'ai repris cinq secondes au leader virtuel Nyck de Vries, sept à son poursuivant Nicholas Latifi.
L'arrêt de Luca Ghiotto, leader sur la stratégie alternative, m'a promu à la troisième place, mais il a repris la piste en supertendres neufs, ce qui lui a permis de me dépasser aisément. Je me suis dit qu'il fallait que je reste proche, et au dernier tour, ses pneus ont commencé à perdre en adhérence. Dans l'ultime zone DRS, j'ai activé l'aileron arrière mobile – dont il disposait également –, j'ai pris l'aspiration, j'ai freiné tard, j'ai fermé la porte… et c'est passé ! C'était mon premier podium en Course Principale, soit un grand soulagement après tant d'épreuves décevantes. D'autant que nous l'avons fait avec la manière !
Louis Delétraz sur le podium aux côtés de Nyck de Vries et Nicholas Latifi
La Course 2 ne s'est pas passée exactement comme prévu, c'est le moins que l'on puisse dire. Je n'étais pas impliqué dans l'accident spectaculaire de Nikita Mazepin, Nobuharu Matsushita et Jack Aitken, mais je dois quand même souligner que le tour de formation mené par Mazepin était extrêmement lent. Tout le monde avait les pneus et les freins froids, et au premier virage, quand j'ai freiné, il ne s'est rien passé. Je dois reconnaître avoir freiné trop tard, mes roues arrière se sont bloquées, et je me suis efforcé d'éviter les autres voitures. Par la suite, j'ai mené une bonne course en remontant de la 17e à la 12e place avant d'être pénalisé de dix secondes pour avoir soi-disant provoqué un accrochage au départ. Cette sanction est très étrange car elle était incluse dans le rapport Mazepin/Matsushita, mais ils étaient loin devant moi, et je n'ai touché personne quand je suis parti en tête-à-queue. Je n'ai même pas été convoqué chez les commissaires. C'est probablement une erreur de leur part, mais ça ne change rien : dans tous les cas, je n'aurais pas marqué de points.
Je tiens néanmoins à revenir sur le crash survenu au départ. La configuration de ce virage, avec le dégagement en asphalte, est un scandale : c'est un aéroport, tout le monde coupe ! S'il y avait du gravier, personne ne prendrait autant de risques. Finalement, c'est l'effet domino : Aitken et Mazepin étaient côte à côte, ils ont freiné beaucoup trop tard. Par conséquent, tout le monde a freiné trop tard. Les deux leaders pouvaient couper facilement, mais derrière, c'était le chaos. S'il y avait eu un mur, tout le monde aurait fini dedans. Aitken est resté à fond, il est passé à gauche des panneaux en polystyrène, mais il a traversé l'échappatoire à une vitesse franchement dangereuse. Mazepin, lui, n'a même pas essayé de contourner les panneaux : il a coupé au milieu. Ils se sont touchés, et Matsushita ne pouvait rien faire.
Tout le monde se plaint de cette configuration, et la FIA est au courant, mais il faut du temps pour modifier le circuit. De nos jours, on met des dégagements en asphalte pour la sécurité, mais maintenant, les pilotes restent à fond. C'est plus dangereux que s'il y avait du gravier : tout le monde (moi compris !) ferait attention, et cet accident n'aurait jamais eu lieu. Même s'il n'y avait pas eu de contact, quand on voit à quelle vitesse Aitken arrive perpendiculairement à la piste, je ne sais pas comment il aurait tourné. Mais c'est le règlement, il n'a rien fait de mal. Le véritable problème, c'est qu'il y a un aéroport à la sortie de ce virage.
Bref, il y a désormais deux mois à attendre avant l'ultime rendez-vous de la saison, à Abu Dhabi, où la huitième place du championnat sera en jeu. Je ferai de mon mieux pour l'obtenir, même si c'est bien loin de mon objectif de titre. Et en attendant, je vais continuer à travailler dur sur le simulateur de Haas F1 Team dans mon rôle de pilote de développement !
A+
Louis
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