Pourquoi être fils de pilote de F1 n'est pas qu'un avantage

Ils savent ce que c'est, la compétition au plus haut niveau. Mais pour les anciens pilotes de Formule 1, aider leurs progénitures à gravir les échelons des formules de promotion n'a rien d'évident. Si un nom célèbre aide à ouvrir des portes, c'est la piste qui tranche.

Sebastian Montoya

Sebastian Montoya

Red Bull Content Pool

Pas besoin d'aller chercher bien loin pour savoir ce qui a inspiré le casque du nouveau Champion d'Océanie de Formule Régionale (ex-Toyota Racing Series), Charlie Wurz. Le jeune homme de 17 ans est le fils d'Alexander Wurz, auteur de trois podiums en Formule 1 et deux victoires aux 24 heures du Mans, dont le design qu'il peignait lui-même était instantanément reconnaissable.

Bien sûr, un casque distinctif n'est pas le seul bénéfice dont jouissent Charlie Wurz et son petit frère Oscar, qui évolue en karting. Avec ses nombreuses années d'expérience en course et en essais, l'Autrichien a des connaissances sans égales quant à la gestion des pneus et la dynamique du véhicule. Ayant été à la tête de la Young Driver Excellence Academy de la FIA et de sa propre école de pilotage, il est idéalement placé pour donner des conseils.

Cependant, comment utiliser les connaissances de Wurz Sr au mieux ? L'intéressé s'est rendu compte que son approche "très analytique submergeait peut-être les équipes et les ingénieurs, ainsi que Charlie".

"Il y a beaucoup de choses dont j'ai fait l'expérience, mais c'est au sommet du sport automobile et ça ne s'applique pas forcément à une voiture monotype", reconnaît-il. "Si je recherche des problèmes qui peuvent s'appliquer à des voitures de pointe car les pièces sont individuelles, mais que Tatuus [constructeur de monoplaces en Formule Régionale] produit 10 000 ou 1000 arceaux, alors il y a peu de chances que l'un ou l'autre soit différent. Mes conseils doivent être adaptés pour ne pas être intrusifs, pour être productifs."

"Ce que j'apprends moi-même est de les laisser venir à moi. S'ils s'ouvrent et me demandent : 'Tu penses quoi des températures des pneus ou des réglages, est-ce qu'il faut que j'argumente avec mon ingénieur ou pas ?', alors c'est plus facile de donner des conseils."

Dans une situation similaire, on retrouve Rubens Barrichello, auteur de 11 victoires en F1 lors d'une longue carrière en Formule 1 : il a longtemps été recordman du nombre de départs en Grand Prix. En ce qui concerne ses fils Eduardo (21 ans) et Fernando (17 ans), Rubens indique : "Je suis là quand ils me le demandent. Si je leur dis tout ce que je pense, ils vont modifier les réglages de fond en comble ! Ils doivent progresser avec indépendance, comme nous l'avons fait nous-mêmes."

Barrichello says it's best to wait until he's asked for input from his sons before weighing in

Barrichello préfère attendre que ses fils lui demandent des conseils pour en donner

Barrichello ne participe donc aux débriefings que lorsqu'il y est invité, bien qu'il adore éplucher les données avec ses enfants : "Il est très important que ce que fait la voiture, quoi que ce soit, corresponde à leur ressenti."

C'est là qu'est le paradoxe. Mais cette approche est très différente de celle de Jos Verstappen, sévère et omniprésent, qui a libéré tout le potentiel du prodigieux talent de son fils Max. Son record de plus jeune vainqueur en F1 a peu de chances d'être battu un jour, et comment ne pas imaginer qu'il remporte de nouveaux titres mondiaux ?

L'Histoire montre que seuls deux fils de Champions du monde ont remporté le titre à leur tour, à savoir Damon Hill et, 20 ans plus tard, Nico Rosberg. Que Max Verstappen et Kevin Magnussen soient les seuls pilotes de la grille actuelle dont le père ait couru en F1 montre que de nombreux anciens pilotes font face à un défi de taille s'ils veulent que leurs enfants suivent leurs traces, notamment Jarno Trulli et Luca Badoer avec leurs fils Enzo (17 ans) et Brando (16 ans). Même si l'on ouvre la porte et que l'on s'appelle Schumacher, un Nico Hülkenberg peut être en embuscade pour prendre votre baquet...

"C'est sûr que ce nom ouvre des portes", admet Barrichello. "Mais pour qu'elles restent ouvertes, ça dépend d'eux." Cela ne va pas décourager Juan Pablo Montoya, dont le fils Sebastián, 17 ans, fait désormais partie du Red Bull Junior Team et vient de passer en FIA F3 avec Hitech après avoir couru contre Eduardo Barrichello en Championnat d'Europe de Formule Régionale by Alpine (FRECA) la saison dernière. La boucle est bouclée pour le septuple vainqueur en Grand Prix : il avait couru pour l'écurie RSM de Helmut Marko en F3000 en 1997.

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"Ce qui a changé pour Helmut, c'est qu'il a tellement plus de pilotes qu'à mon avis, il ne peut plus les pousser au quotidien, et le pilote a davantage pour responsabilité de faire sa part", souligne Montoya. "Nous disons à Sebastián : 'C'est ta carrière. Si tu veux être meilleur que les autres, il faut que tu en fasses plus'. Parfois, nous ne pouvons pas nous permettre de faire autant d'essais que les autres, mais nous compensons. Nous avons notre propre simulateur, nous faisons beaucoup d'entraînement, nous allons commencer à faire des karts à boîte de vitesses, nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour maximiser ses performances."

Montoya fait savoir qu'il a atteint un stade de sa carrière où sa priorité est son fils, et estime que Sebastián aurait eu bien besoin de son aide lorsque le jeune loup s'est rendu à Monaco pour la première fois, le week-end où son père disputait les 500 Miles d'Indianapolis avec Arrow McLaren. Mais lui aussi admet qu'être trop présent peut être préjuduciable.

"Il faut qu'il comprenne beaucoup de ces choses-là lui-même", estime Montoya. "Il doit mener sa propre carrière, j'essaie de ne pas trop m'impliquer là-dedans. J'interviens davantage quand les choses ne se passent pas bien et qu'ils ont besoin de conseils. Mais en fin de compte, c'est lui qui a la relation avec les ingénieurs, pas moi." 

Les écuries sont sur la même longueur d'onde. Certaines font de leur mieux pour éviter toute interférence, même quand les intentions sont bienveillantes. "J'ai appris très vite : je me contente de m'installer dans le motorhome et de siroter mon café", sourit Wurz. "Les équipes veulent s'en assurer : 'Ne nous communique pas ton expérience, car il faut que l'on construise ça nous-même, ensemble', et il faut respecter ça." Cette situation est familière pour Barrichello : "Il y a des équipes qui détestent que j'aie une radio, même si je ne parle pas."

Wurz Sr says he infrequently attends races with his son, Formula Regional Oceania champion Charlie

Alexander Wurz ne se rend pas souvent sur les courses de son fils Charlie

Selon Wurz, laisser les jeunes loups faire des erreurs peut être utile sur le long terme afin qu'ils en tirent des leçons, par exemple au niveau des réglages ou de la manière dont son fils Charlie va gérer une situation. Pas question de faire de la microgestion, ne serait-ce qu'en raison de ses engagements professionnels comme ambassadeur Toyota, président du GPDA (Association des Pilotes de Grand Prix) ainsi que dans l'industrie de la conception de circuits. En conséquence, il ne s'est rendu que sur "un tiers des courses [de Charlie] l'an dernier, voire moins".

"Parfois, il n'est pas bon de leur tenir la main à chaque pas", estime Wurz. "Il faut prendre du recul et ne pas voir chaque jour comme un véritable instant décisif, c'est rare que ce soit le cas. Par conséquence, il est parfois bon que des erreurs se produisent ou que les gens soient bornés et veuillent faire les choses à leur manière. Ce sont généralement ces gens-là qui apprennent le plus."

Pour tous ces pères qui ont l'habitude d'être payés à courir, reprendre la chasse aux sponsors a été une révélation. "Ce n'est pas facile", reconnaît Montoya. Du côté de Wurz, qui a obtenu un baquet pour Charlie chez ART en FRECA, le nom de famille ne change rien lorsqu'il faut négocier avec les écuries, compte tenu de la demande élevée.

Cependant, quant à trouver ses sponsors, cela a ses avantages. À l'occasion d'événements spéciaux tels des journées de pilotage privées, Wurz peut proposer sa présence pour enrichir l'expérience : "Il faut réfléchir à la manière dont on rend la pareille à nos partenaires en leur donnant des avantages, en leur proposant des visites. Avec Charlie, par exemple, nous sommes allés chez Remus [un constructeur d'échappements autrichien, ndlr], nous avons fait venir un camion à pizzas et nous avons fait des pizzas pour 500 employés. Nous savons que quelques mois plus tard, ils en parlent encore en interne."

Rubens Barrichello court pour Toyota dans le championnat brésilien de Stock Car depuis 2020, et la branche d'Amérique latine de Toyota Gazoo Racing a été un soutien financier majeur d'Eduardo. Cependant, si Fernando va courir en F4 Espagne avec Monlau Motorsport, rien n'est signé pour son aîné, Rubens admettant que trouver le budget est difficile. Son avenir va probablement s'écrire en GT au Brésil.

Sebastian Montoya (left) and Eduardo Barrichello raced against each other in FRECA last season

Sebastián Montoya et Eduardo Barrichello se sont affrontés en FRECA la saison dernière

Avoir pour père un pilote à succès n'est donc pas la garantie d'atteindre facilement le sommet, et comme le souligne Wurz, il y a également des inconvénients : "Bien sûr, il y a des avantages, et ne pas les utiliser serait une erreur car c'est concurrentiel. Connaître un circuit est un avantage, pouvoir appeler des gens car je me suis fait un réseau est un avantage. Il faut que nous en profitions."

"De même, il y a des désavantages. Quand les attentes sont trop élevées, peut-être que certains sponsors se disent : 'Ils ont l'air aisés, pourquoi faudrait-il que je les aide ?'. Et parfois, parce qu'il y a des pilotes qui viennent avec leurs enfants, certains n'ont pas fait du bon travail dans l'équipe et tout le monde dit : 'Quelqu'un comme Alex va venir tout imposer'."

Atteindre le sommet est déjà très ardu, le faire une deuxième fois avec sa progéniture est une tout autre histoire.

Wurz scored F1 podiums for Benetton, McLaren and Williams but knows reaching the pinnacle of motorsport twice over will be a challenge

Wurz a signé des podiums en F1 avec Benetton, McLaren et Williams, mais sait qu'atteindre la catégorie reine du sport automobile une deuxième fois ne va pas être facile

Des activités diversifiées

Lorsqu'Oscar Wurz passera en sport auto cette année, il va faire non seulement des tests en Formule 4 et en voitures de tourisme mais aussi du rallycross. Son frère Charlie avait eu un programme similaire, et Alex explique que l'objectif est de "lui donner de l'expérience dans différents scénarios, différentes conditions météo et différentes voitures, avec des tractions et des propulsions, afin d'apprendre à connaître la dynamique du véhicule, les pneus, et à s'adapter rapidement aux nouvelles voitures et aux conditions de piste".

Fils du Champion d'Europe de Rallycross Franz Wurz, Alexander vante sans surprise les mérites de la discipline et estime qu'elle a des bénéfices pour "quiconque souhaite faire carrière, en monoplace ou non". Il précise : "En une fraction de seconde, il faut prendre des décisions car on ne peut pas attendre un tour supplémentaire. Alors cela entraîne l'esprit à prendre des décisions rapides et à en assumer les conséquences. De même, on apprend que si l'on ne prend pas la décision, le gars derrière, lui, va la prendre et plonger dans la moindre ouverture. C'est vraiment explosif, et on aborde parfois la manche la plus décisive, le dimanche matin, sans warm-up, avec direct une adrénaline totale, et il faut faire avec. Ce sont des leçons très précieuses, en dehors du fait que c'est vraiment fun."

Juan Pablo Montoya s'est également assuré que Sebastián prenne de l'expérience en dehors de la monoplace : ils ont partagé une ORECA-Gibson 07 de l'écurie DragonSpeed dans la catégorie LMP2 lors de trois courses d'IMSA l'an dernier. Le jeune Montoya a dû apprendre à partager la piste avec des prototypes DPi plus rapides ainsi que des LMP3 et des GT plus lentes : dépasser et être dépassé plusieurs fois par tour, tout en étant encouragé à élargir sa compréhension des réglages.

"Être dans la même voiture a été très utile", estime Juan Pablo, qui va de nouveau courir aux côtés de son fils en European Le Mans Series cette année. "C'était une révélation : 'OK, la voiture est mauvaise, ils peuvent la modifier et la rendre meilleure à piloter', car beaucoup d'écuries en formules de promotion disent aux pilotes : 'La voiture est comme ça, et tu vas juste la piloter'."

Montoya Sr has enjoyed racing with his son in LMP2, which has broadened Sebastian's understanding of car set-up and given him experience in multi-class racing

Juan Pablo Montoya a aimé courir avec son fils en LMP2 ; cela a accru la compréhension des réglages par Sebastián tout en lui donnant de l'expérience dans des courses où se rassemblent plusieurs catégories

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