Portrait

Dean Stoneman, l'homme qui vit à 300 km/h après avoir frôlé la mort

Dean Stoneman montait les échelons vers la Formule 1 lorsqu'il a été frappé par la maladie à l'âge de 20 ans. Remportant une dure bataille contre le cancer, il a fait son retour en sport auto et profite de la vie qu'il a bien failli perdre.

Dean Stoneman, Andretti Autosport

Dean Stoneman n'a jamais oublié le 20 janvier 2011. L'avenir était radieux pour ce Britannique de 20 ans : il venait de remporter le championnat de Formule 2 (compétition organisée par MotorSport Vision, sans lien avec l'ex-GP2) face à Jolyon Palmer, avait effectué un premier test en Formule 1 avec Williams en récompense et avait signé un contrat avec ISR pour la saison 2011 de Formule Renault 3.5. Il allait être associé à Daniel Ricciardo au sein de l'écurie tchèque, avec laquelle Esteban Guerrieri avait joué le titre l'année précédente.

Dean Stoneman, Champion 2010 de Formule 2

Or, quelque chose n'allait pas. Stoneman ne se sentait pas bien lors des fêtes de fin d'année et avait perdu beaucoup de poids, avant de se mettre à vomir du sang. Lors de ses essais avec Williams, il avait pris de l'antiacide, croyant souffrir de brûlures d'estomac. Clairement, des examens médicaux étaient nécessaires.

Le 17 janvier, il s'est rendu à Prague pour signer avec ISR. Le 19, il a consulté un spécialiste au sujet de ces problèmes. Et ce fameux 20 janvier 2011, à l'hôpital de Southampton, sa vie a basculé. "Mon père a fait tomber un centime en partant", se remémorait Stoneman dans une interview avec Autosport en 2013. "C'est censé porter chance d'en ramasser un. Il m'a dit de le ramasser, et ce jour-là, on m'a diagnostiqué un cancer. Plus jamais je ne ramasserai un centime par terre."

L'Anglais était effectivement victime d'un choriocarcinome métastasé, forme agressive du cancer des testicules, qui s'était propagé dans tout son corps, jusqu'au cerveau. "J'étais à une semaine de la mort et à deux heures de perdre mes jambes et mes reins", expliquait-il sans montrer d'émotion. "J'avais une tumeur de la taille d'une balle de tennis dans le ventre, mais j'avais le meilleur spécialiste du monde. Tout le monde pense qu'il suffit de couper une couille en faisant un peu de chimio, mais j'avais 250 tumeurs dans le corps."

"L'hôpital de Southampton n'avait jamais fait de chimio sur quelqu'un qui soit arrivé le jour-même. Ils la préparaient alors que je subissais ma première opération." Et trois autres allaient suivre.

Malgré la chimio, l'hémogramme n'est pas revenu à un niveau normal, et Stoneman a fait l'objet d'un traitement expérimental qui n'avait été testé que sur deux autres personnes. "J'ai dû signer une décharge de responsabilité au cas où je mourrais. Mon père a demandé au spécialiste : 'Si c'était votre fils, vous le feriez ?'. Il a répondu : 'Assurément'."

Dean Stoneman, Champion 2010 de Formule 2, avec son père Colin

Dean Stoneman avec son père Colin

Stoneman a reçu ce traitement 18 heures par jour, six jours par semaine, sur des périodes de trois semaines. "Ils n'ont pu faire ça que parce que j'avais cet âge-là. Être jeune contribue à la propagation du cancer mais donne également plus de chances de survivre à la chimio. Ma préparation physique avec Williams m'a certainement aidé. Normalement, mon traitement aurait tué instantanément quelqu'un de 35 ans."

Après avoir "dormi dans une pièce sombre pendant trois mois", Stoneman est sorti de l'hôpital en juillet 2011. "Mon hémogramme était de retour à la normale, mais la chimio était si forte qu'il me fallait des transfusions sanguines. J'avais des caillots sur les poumons, je perdais mes cheveux, mes nerfs étaient endommagés. J'ai aussi perdu des sensations dans les doigts et les orteils, que je ne recouvrerai probablement jamais."

Il aurait été légitime de croire que l'on n'allait jamais revoir Stoneman dans une voiture de course, et pourtant, dès novembre, il était de retour au volant – avec ISR en FR3.5, l'équipe et la catégorie qui étaient les siennes pour 2011. "J'ai toujours su que si je survivais, j'allais remonter dans une voiture de course. Même si c'était deux, trois, voire quatre ans plus tard."

Comment se sentait-il après avoir signé le 17e chrono, moins d'un dixième derrière l'autre ISR pilotée par Laurens Vanthoor ? "Crevé ! J'avais un gars qui me massait les mains, ça faisait super mal, et il a fallu modifier le volant pour y accrocher mes doigts afin que je ne le lâche pas ! C'était dur, mais nous avions payé un acompte et je voulais le faire."

Stoneman avait des options aux États-Unis – il a testé en Indy Lights avec Andretti Autosport – mais a jugé plus sage de rester en Angleterre. "Le pilotage n'était pas dur, mais ce n'était pas un choix que je voulais faire. C'était une question de mode de vie. Je ne voulais pas quitter la maison, et il fallait que je reste en contact régulier avec les médecins. Quand j'étais malade, je n'avais pas le droit d'aller à plus d'une heure et demie de route de l'hôpital."

Il s'est donc adonné aux courses de hors-bord (dont son père est lui-même Champion du monde) et a remporté le championnat britannique P1 Superstock pour ses débuts dans cette discipline. "C'était physique, mais loin de l'être autant que le pilotage automobile. C'était une expérience différence et j'ai vraiment pris du plaisir. Il s'agissait davantage de prendre du plaisir après ce que j'ai vécu que de me pousser à réussir." À l'époque, il demeurait physiquement marqué par l'épreuve qu'il avait subie, avec le visage émacié et une chevelure éparse.

Son retour à la compétition automobile, dans le championnat britannique de Porsche Carrera Cup en 2013, s'est néanmoins soldé par deux victoires dès les deux premières courses. À l'époque, Stoneman semblait être tourné vers une carrière en Endurance : "C'est un million d'euros pour faire les World Series [by Renault], puis l'année suivante pareil, à moins d'être pris en charge par quelqu'un en F1. Actuellement, c'est bien d'être en GT, et je peux voir ça comme une carrière potentielle plutôt qu'un rêve. L'objectif est de devenir pilote d'usine Porsche et de courir au Mans. Être gravement malade et, cinq ou six ans plus tard, participer à la course la plus exigeante au monde physiquement, ce serait une sacrée histoire."

Dean Stoneman
Dean Stoneman, DAMS

L'histoire s'est toutefois déroulée autrement. En effet, Stoneman a finalement eu l'opportunité de reprendre son ascension vers la Formule 1 avec une campagne en GP3 chez Manor puis Koiranen ; il a tout simplement pris la deuxième place du classement général derrière Alex Lynn en égalant le record du nombre de victoires en une année : cinq. Ces performances lui ont permis de rejoindre le Red Bull Junior Team, avec la saison 2015 en Formule Renault 3.5, qu'il a passée aux avant-postes : dix arrivées dans le top 6 en 17 courses, mais la victoire lui a échappé.

"Revenir d’une maladie et faire ce que je fais… personne sur la grille ne fait ce que je fais après ce que j’ai traversé, donc je suis content", se satisfaisait-il néanmoins au micro de Motorsport.com. Pour 2016, Stoneman espérait rejoindre le GP2, où il avait déjà fait quelques courses fin 2015. "Ce serait génial de passer à un échelon supérieur, mais même si je ne suis pas vieux, j’ai vingt-cinq ans. J’ai trois ou quatre ans de retard sur là où je devrais être, à cause de ma maladie." Or, il a perdu le soutien de Red Bull au bout d'un an et a dû revoir ses plans.

Stoneman a donc disputé la saison 2016 d'Indy Lights, où il a été le deuxième meilleur rookie, avant de se tourner vers le Blancpain GT Series et, plus récemment, le Lamborghini Super Trofeo, dont il est devenu l'an dernier le Champion d'Europe. Probablement pas la carrière qu'il espérait à la base, mais quand on a survécu à une telle épreuve, la seule victoire, c'est la vie.

Dean Stoneman, Bonaldi Motorsport, Lamborghini Huracan ST

Avec Ben Anderson 

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