Ferrari au Mans : histoire d'un retour au nom du prestige
Le programme d'usine de Ferrari en Endurance comble un vide d'un demi-siècle et s'accompagne d'une pression à la hauteur de la légende. L'histoire est en marche, mais avec quels atouts ?
Dévoilée le week-end dernier, la Ferrari 499P signera en 2023 le grand retour de la marque au plus haut niveau de l'Endurance. Les moins de 50 ans verront enfin le Cheval cabré lutter pour la victoire au classement général des 24 Heures du Mans ! L'Hypercar, qui revendique un ADN 100% Ferrari et un héritage fort de son passé victorieux dans la Sarthe (neuf victoires entre 1949 et 1965), est avant tout une machine de compétition dont on connaît désormais un peu mieux la genèse et les caractéristiques.
Le cœur de toute Ferrari reste son moteur. Plusieurs concepts ont été évalués avant d'arrêter le choix du V6. "Dans la phase très initiale, franchement, tout a été envisagé, que ce soit un V12, un V8 ou un V6", révèle Ferdinando Cannizzo, directeur du design et du développement. "Quand on prend une décision, il faut comprendre ce que l'on perd si l'on va dans une direction. Choisir le V6 était sans aucun doute le chemin à suivre compte tenu de l'évolution de notre gamme de voitures de route. C'était naturel."
Le moteur à combustion interne installé dans la 499P présente la même capacité et la même architecture que celui de la 296 GTB lancée l'an dernier, et dont une version GT3 entrera en scène l'an prochain. Les deux turbos sont ainsi montés à l'intérieur d'un grand angle de 120°. "Ça facilite grandement le retour d'information technologique pour nos voitures de route", justifie Ferdinando Cannizzo. "Mais ce n'était pas un compromis car le V6 est petit, léger et très compact. Ça donne un avantage de packaging, de distribution du poids et au niveau du centre de gravité."
Ferrari a fait le choix du V6 pour motoriser la 499P.
Malgré ces similitudes, le moteur de l'Hypercar n'est "pas le même" que celui de la future GT3 : "C'est un moteur sous contrainte, ce qui veut dire que la structure doit être totalement différente." Il est de plus associé à un système hybride sur l'essieu avant, entièrement développé au sein du département Attività Sportive GT de Ferrari. C'est au niveau de la batterie que se sont dressés les ponts les plus évidents avec l'écurie de Formule 1 à Maranello puisqu'en la matière, la 499P dispose d'un équipement "fondamentalement basé" sur les connaissances de la Scuderia en F1.
Le concept a devancé la décision
Quand Ferrari a annoncé, le 24 février 2021, son grand retour au sommet de l'Endurance, le nouveau moteur V6 avait déjà tourné au banc d'essai. "On a pris un pari", admet Ferdinando Cannizzo en évoquant le travail anticipé sur le projet avant son officialisation. La conception à proprement parler de la 499P a débuté en mars 2021, même si les premières ébauches remontent au printemps 2018. La toute première version de la future Hypercar était d'ailleurs déjà fonctionnelle virtuellement avant la validation définitive du programme. "On était déjà au simulateur avec notre concept fin 2020", explique Ferdinando Cannizzo. "Pendant la phase conceptuelle, la voiture était façonnée dans le simulateur, puis on a continué à améliorer nos connaissances pendant la phase de conception. Je peux dire aujourd'hui que la conduite de la voiture sur le circuit ou sur le simulateur n'est pas très différente."
Toutes les ressources de Ferrari en matière de mécanique des fluides numérique ont été sollicitées pour la conception, mais pas la soufflerie F1 de Maranello. Les essais à l'échelle se sont déroulés dans une soufflerie que le constructeur ne souhaite pas mentionner, avant de rapidement se rendre dans les infrastructures de Sauber, en Suisse, pour les tests grandeur nature : "La majeure partie du travail a été faite dans la soufflerie de Sauber. Dès que c'était possible, on est passés à la soufflerie grandeur nature car c'est la plus représentative. On voulait une corrélation claire entre la conception et la performance réelle." Le choix de louer cette soufflerie puise aussi tout son intérêt dans le fait que c'est là-bas que se déroulent les tests d'homologation des Hypercars supervisés par le WEC.
L'aileron arrière de la Ferrari 499P est un marqueur de son identité.
L'aileron arrière de la 499P, élément qui a frappé les esprits lors de sa présentation, répond à l'exigence réglementaire visant la stabilité latérale. "On a testé plusieurs options", assure Ferdinando Cannizzo, qui rappelle que "les contraintes pour la stabilité aéro sont assez exigeantes". Un choix qui contraste totalement avec celui de Peugeot, dont l'Hypercar a pour signature de ne pas avoir d'aileron arrière. Sur la Ferrari, ce double aileron a également permis au département stylistique de Ferrari de "jouer un petit peu avec [les] idées" pour affirmer davantage l'identité de l'auto. L'élément inférieur incorpore ainsi une unique rampe de feux arrière sur toute la largeur.
Deux œufs, deux paniers
La 499P a pris la piste pour la première fois à Fiorano, comme le veut la tradition, au tout début du mois de juillet. Quatre mois plus tard, 12 000 km ont été accumulés, un seuil rapidement atteint parce que Ferrari a en fait travaillé quasiment d'emblée avec deux châssis, non sans affronter les problèmes inhérents à la jeunesse de la machine. "La raison pour laquelle on a organisé le programme de développement avec deux voitures était de se concentrer sur la performance avec l'une et sur la fiabilité avec l'autre", explique Ferdinando Cannizzo. "Avec celle axée sur la performance, on ne s'est pas souciés de la fiabilité. L'autre est faite pour accumuler les kilomètres avec toutes les pièces afin de comprendre quels sont les principaux problèmes que l'on doit résoudre. C'était la seule chance de tenir la petite fenêtre [de temps] que l'on avait [pour les essais]."
Ferrari mène le développement de la 499P avec deux châssis.
"Lors du tout premier shakedown de la voiture, on a été surpris parce que l'on a roulé trois jours sans problème. Ensuite, clairement, certains problèmes de fiabilité sont apparus, et c'est une bonne chose car c'est mieux de les rencontrer maintenant que plus tard. On a été en mesure de réagir rapidement."
La famille d'abord
Jusqu'à présent, les essais ont été confiés à un total de huit pilotes, tous membres du giron Ferrari Competizione GT. Alessandro Pier Guidi, James Calado, Miguel Molina, Antonio Fuoco, Davide Rigon, Nicklas Nielsen, Daniel Serra et Alessio Rovera ont tous piloté la 499P, ainsi que l'ultra-expérimenté Andrea Bertolini, dont les références en matière de développement sont reconnues chez Ferrari. On ignore encore qui seront les six pilotes choisis pour constituer les deux équipages en WEC l'année prochaine mais la tendance qui veut qu'aucun nom "ronflant" ne vienne compléter cette liste de candidats ne cesse de se confirmer. "Le choix des pilotes sera issu de la famille Ferrari", insiste Antonello Coletta, directeur du département voitures de sport de Ferrari. "On a des pilotes très réguliers dans la famille GT, le choix se fera à 100% en interne."
La dernière victoire de Ferrari au Mans, en 1965, est l’œuvre du NART, une écurie cliente.
Reste à savoir si la 499P demeurera un prototype d'usine ou s'il existera une possibilité de le voir exploité par une équipe cliente. Là encore, cela ne ce serait rien d'autre que l'héritage d'un passé couronné de succès si l'on repense notamment à la dernière victoire de Ferrari aux 24 Heures du Mans, en 1965, avec l'équipe NART (North American Racing Team) de Luigi Chinetti.
Antonello Coletta assure que des structures indépendantes ont déjà manifesté leur intérêt pour la Ferrari 499P mais qu'aucune décision n'a été prise sur ce dossier à Maranello, pas plus que sur la possibilité de voir l'Hypercar rouler en IMSA. "Il faudra voir", temporise-t-il sur ces deux questions tout en insistant sur la priorité absolue donnée au WEC à ce stade. Car la pression sera forte en mars prochain, lors de la manche d'ouverture à Sebring, et le président de Ferrari l'a lui-même rappelé. "On aborde ce défi avec humilité", prévient ainsi John Elkann, "mais conscients d'une histoire qui nous a conduits à plus de 20 titres mondiaux en Endurance et à neuf victoires au classement général des 24 Heures du Mans." Le décor est planté.
Propos recueillis par Gary Watkins
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