Gagner et perdre Le Mans le même jour, ce "sentiment étrange"

WRT se bat aux avant-postes du GT depuis des années et a réussi avec brio son passage en prototype, avec à la clé une victoire aux 24 Heures du Mans en LMP2. L'issue aurait même pu être plus heureuse si la course avait été un tour plus courte...

#31 Team WRT Oreca 07 - Gibson LMP2, Robin Frijns, Ferdinand Habsburg, Charles Milesi

#31 Team WRT Oreca 07 - Gibson LMP2, Robin Frijns, Ferdinand Habsburg, Charles Milesi

JEP / Motorsport Images

"On peut penser à en faire un film, mais ça ne se passerait jamais comme ça. Si l'on va à Hollywood et que l'on voit ça, on dit : 'C'est trop, ça n'arriverait jamais'. Mais c'est bien arrivé."

Quand l'Oreca LMP2 #41 de Yifei Ye a ralenti au niveau de la chicane Dunlop dans le dernier tour des 24 Heures du Mans, alors que la victoire lui tendait les bras avec ses coéquipiers Robert Kubica et Louis Deletraz, le directeur technique Sébastien Viger n'a pas eu le temps de laisser le désespoir l'envahir.

La voiture sœur de l'équipe belge, la #31, a hérité de la tête mais avec des pneus très usés. L'avance de Robin Frijns sur la Jota pilotée par Tom Blomqvist a donc rapidement fondu. D'un probable doublé pour une première au Mans avant le début du dernier tour, WRT a fait face au risque de repartir les mains vides. 

Mais Frijns ne s'est pas laissé faire. Alors qu'autour de lui des voitures ralentissaient pour un dernier tour comme à la parade, le Néerlandais n'a pas levé le pied et est même passé tout près de faucher le directeur de course qui brandissait le drapeau à damier devant la Ferrari victorieuse en GTE Pro. Frijns et ses coéquipiers, Ferdinand Habsburg et Charles Milesi, se sont imposés avec une avance infime de 0,727 seconde. 

Entre une cruelle défaite pour une voiture et une victoire historique pour l'autre, l'équipe WRT est passée par un ascenseur émotionnel dont Sébastien Viger se remet encore aujourd'hui. Et ce même si le malheureux équipage #41 a depuis décroché le titre en ELMS, le mois dernier à Spa-Francorchamps. 

"Je pense que nous n'avons pas encore traversé tous les sentiments chez WRT", estime Viger, qui supervise les ingénieurs de course Jonas Vanpachtenbeke et Jérôme Plassart sur la #31 et la #41. "On perd la voiture [de tête] dans le dernier tour d'une course de 24 heures, mais dans le même temps, l'autre voiture qui ne s'est pas arrêtée pour chausser des pneus neufs depuis des heures, sans air jack, réussit à gagner avec sept dixièmes d'avance, en passant tout près de faucher l'homme au drapeau à damier. Nous n'arrivons toujours pas à croire ce qui s'est passé, nous en parlons souvent entre membres de l'équipe. Le sentiment général est que c'était l'arrivée la plus folle au Mans depuis longtemps."

 

L'incroyable conclusion de l'édition 2021 mérite certainement d'être discutée, au même titre que d'autres avant elle : la lutte dans le dernier tour entre Jacky Ickx et Hans Herrmann en 1969, la Porsche 956 en surchauffe d'Al Holbert avec son moteur serré sur la ligne en 1983 et, bien sûr, la cruelle désillusion de Toyota en 2016. Même si, dans le cas de WRT, la victoire au général n'était pas en jeu, le fondateur de l'équipe, Vincent Vosse, et toutes ses troupes l'ont vécu avec énormément d'émotion. Sébastien Viger admet que voir Ye bloqué en bord de piste à la chicane Dunlop, incapable de redémarrer son moteur et de finir classé, a été le pire moment de sa carrière jusqu'à présent.

"Gagner les 24 Heures du Mans devrait être le moment le plus heureux de votre carrière", dit-il. "Il y a des ingénieurs et des mécaniciens qui essaient toute leur carrière et ne parviennent jamais à gagner ou même à être sur le podium. C'était un bel exploit d'être là avec deux voitures pour une première participation après six ou sept mois à pousser comme des fous pour gérer le programme. Ce n'est en fait qu'en janvier que nous avons véritablement eu le feu vert, donc c'était le rush pour tout préparer avant les premières courses."

"Vincent, Thierry Tassin, Pierre Dieudonné, le directeur sportif, et moi étions derrière à regarder la télémétrie, et nous n'arrivions pas à croire ce qui se passait. Nous n'avons pas fêté la victoire comme nous l'aurions dû, car nous étions à moitié heureux et à moitié anéantis pour l'autre voiture. On ne sait pas vraiment s'il faut être heureux, ou comment se sentir ; on perd et on gagne Le Mans en même temps, c'est un sentiment étrange."

 

L'équipe s'est retrouvée dans une situation de domination aux deux premières places – la #31 en tête – au petit matin, malgré un choix délibéré de stratégie conservatrice. Elle a profité des difficultés rencontrées par la concurrence, notamment la Jota #38 et la #23 chez United Autosports, mais surtout elle n'a pas commis d'erreur. 

"Le plus gros défi à la fin était de s'assurer de ne pas se tromper et offrir la victoire à quelqu'un d'autre juste parce que nous n'aurions pas réussi à sécuriser les deux voitures", ajoute Sébastien Viger. Les deux voitures ont échangé leurs positions lorsque des problèmes avec l'air jack ont retardé la #31, mais Sébastien Viger explique qu'il n'y avait aucun indice "qui aurait pu conduire à ce que l'on s'attende à quelque chose de majeur"

Sachant comment WRT avait manqué la victoire aux 24 Heures de Spa deux semaines auparavant, la Ferrari Iron Lynx doublant l'Audi pilotée par Dries Vanthoor dans les dix dernières minutes, impossible d'accuser l'équipe de suffisance. Sébastien Viger explique en effet que l'équipe était parfaitement consciente de ce qui pouvait arriver, citant l'incroyable malchance de Toyota. "Nous ne voulions pas penser [à la victoire] car, c'est assez drôle, nous avions l'histoire de Toyota en tête", souligne-t-il. "Nous ne pensions pas que ça pouvait nous arriver. Mais c'est arrivé."

 

Pour ajouter à cette incroyable situation, le lundi matin, la #41 a démarré sans problème lorsque l'équipe l'a récupérée. Un dysfonctionnement causé par un court-circuit a ensuite été découvert et identifié comme la cause de l'abandon. "C'est typiquement le genre de problème électrique que l'on n'arrive jamais à reproduire", confie Sébastien Viger.

Après tous ses succès en GT, avec deux victoires aux 24 Heures de Spa, un succès aux 24 Heures du Nürburgring et de nombreux titres en GT World Challenge Europe (Sprint et Endurance combinés) sur la dernière décennie, on attend de l'équipe WRT qu'elle soit forcément à la pointe. Mais connaissant l'expérience des équipes LMP2 avec leur prototype depuis 2017 et les nouveautés à apprivoiser pour WRT, il aurait été compréhensible que du temps soit nécessaire pour tout mettre en place. Pourtant, Kubica, Deletraz et Ye ont gagné dès leurs débuts en ELMS à Barcelone, avant de remettre ça la manche suivante sur le Red Bull Ring. 

Sébastien Viger admet que le timing de l'arrivée de WRT a "joué en [sa] faveur", car Goodyear est devenu le manufacturier unique et les LMP2 ont été ralenties pour maintenir la différence de performance avec les Hypercars. Mais il ne faut pas oublier que l'équipe a réussi à battre des structures bien établies qui disposaient d'années de données pour travailler.

 

Les résultats de Frijns, Habsburg et Milesi en WEC étaient initialement plus discrets, Sébastien Viger décrivant le problème d'embrayage du début de saison comme "une douche froide" pour l'équipe après ses débuts fracassants en ELMS. "C'était un peu : 'OK, vous avez gagné des courses [en ELMS] mais gardez les pieds sur terre'", lance-t-il. Malgré tout, un doublé dans les deux championnats reste d'actualité. La victoire au Mans a replacé l'équipage WEC à un point de Tom Blomqvist, Stoffel Vandoorne and Sean Gelael, alors qu'il reste deux manches à Bahreïn. 

Dès le départ, Vincent Vosse a rappelé qu'il n'était pas question de compromettre le programme GT de WRT, avec un titre à défendre en GT World Challenge Europe, ce que l'écurie est parvenue à faire. "C'est un véritable effort d'être au sommet de chaque championnat où l'on s'engage, et tout le mérite revient à Vincent", conclut Sébastien Viger. "Quand on démarre un nouveau projet, il est toujours clair, et ça l'a été en DTM ainsi qu'en LMP2, que nous voulons gagner mais pas aux dépens des autres programmes. Nous ne voulons pas être au sommet avec une équipe et pas avec une autre. C'est une saine concurrence interne dans l'équipe, pour voir qui apporte le plus de trophées. Espérons que ça continue comme ça !"

 

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