"Tout le monde se foutait de lui" : Glickenhaus, pari gagnant ?

Depuis l'an dernier, l'écurie Glickenhaus se démarque dans le monde du WEC avec son approche atypique du sport automobile. Entretien avec son fondateur Jim Glickenhaus dans le paddock du Mans, avec l'éclairage du vétéran Romain Dumas.

Jim Glickenhaus, Glickenhaus Racing

Marc Fleury

B.V., Le Mans - Dans le paddock, il est instantanément reconnaissable au chapeau qu'il ne quitte (presque) jamais et à sa démarche débonnaire. Jim Glickenhaus est forcément un personnage atypique du monde du WEC.

Atypique, ne serait-ce parce qu'il est à la tête du seul projet Hypercar qui donne actuellement la réplique à Toyota, la catégorie étant complétée par l'Alpine LMP1. Ce samedi, les Glickenhaus SCG 007 LMH s'élanceront des quatrième et cinquième places de la grille de départ aux 24 Heures du Mans, avec la #709 de Briscoe-Mailleux-Westbrook devant la #708 de Derani-Dumas-Pla, ces deux derniers occupant la deuxième place du FIA WEC grâce à deux podiums à Sebring et à Spa-Francorchamps.

Si Jim Glickenhaus, né en 1950, a fait carrière comme réalisateur avec pas moins de 16 films à son actif, sa grande passion a toujours été l'automobile, et c'est sa rencontre avec un certain Luigi Chinetti, triple vainqueur des 24 Heures du Mans, qui a changé sa vie.

"Je suis allé à vélo à la concession Ferrari de Luigi Chinetti, j'ai regardé à l'intérieur et j'ai fini par être autorisé à entrer pour voir les voitures", se remémore Glickenhaus pour Motorsport.com. "Il est devenu un ami, et j'allais chercher des pièces pour les voitures à vélo. Puis, quand j'étais adolescent, je lui ai dit que j'allais partir en Europe, et il a répondu : 'Oh, on va aller au Grand Prix de France. Quand le camion Ferrari arrivera, dis au gars que tu me connais'. C'est ce que j'ai fait. J'ai commencé à travailler dans les stands, j'ai rencontré Jacky Ickx…"

Jim Glickenhaus, Glickenhaus Racing

Jim Glickenhaus

La passion de Glickenhaus est évidente. Il interrompt alors notre entretien pour nous montrer une photo du Grand Prix de France 1968, à Rouen-les-Essarts. À première vue, cela ressemble à un portrait de Jacky Ickx, qui allait remporter cette course pour la Scuderia Ferrari, mais si l'on regarde bien, on aperçoit le jeune Américain en arrière-plan. Partir ainsi sur un autre continent à même pas 18 ans, c'est l'aventure !

Fasciné par l'Endurance et le rallye-raid, Glickenhaus n'a d'ailleurs pas tardé à se constituer un sacré garage : d'abord une Ferrari 275 GTB, puis une Lola T70, d'autres bolides de Maranello, sans oublier la légendaire Ford GT40 Mk IV victorieuse dans la Sarthe. Avoir une écurie était la suite logique.

"J'ai commencé à piloter mes propres voitures en course après avoir fait la Ferrari P4/5 avec Pininfarina : j'ai fait une version de course de ce modèle, j'ai commencé à courir au Nürburgring, puis j'ai décidé que je voulais faire ma propre voiture", relate l'intéressé. "J'ai commencé à faire des voitures de sport qui couraient au Nürburgring, puis j'ai lancé une petite entreprise pour en vendre des versions routières. C'est ce que nous faisons maintenant. Nous courons au Baja, au Nürburgring, en WEC, au Mans, et nous vendons des versions routières de nos bolides."

Bien entendu, s'attaquer à la catégorie reine du Championnat du monde d'Endurance est un défi d'une sacrée envergure. Ainsi, Glickenhaus s'est bien entouré. L'entreprise française Pipo Moteurs s'occupe du groupe propulseur en Ardèche, près de Valence ; côté transalpin, Podium Advanced Technologies assure l'ingénierie (y compris pour les modèles routiers), et outre-Rhin, Joest Racing est mis à contribution pour la logistique notamment, tandis que c'est la soufflerie de Sauber qui a été utilisée. L'écurie est néanmoins composée d'une majorité d'employés de Glickenhaus, mais est assurément hétéroclite avec de nombreuses nationalités représentées.

"Il y a un peu de tout !" s'exclame Romain Dumas à notre micro. "C'est vrai, dans cette équipe, si on regarde, il y a des Allemands de chez Joest, il y a des Italiens avec Podium, il y a des Français qui ont été recrutés sur les gens que l'on croise au fur et à mesure des années : les bons on essaie de les garder avec nous, forcément." Des bons parmi lesquels Vincent Barthe, véritable sorcier des pneumatiques, que Dumas a tiré de sa retraite pour ce projet. "Il y a des gens de chez Pipo, forcément, qui font le moteur", ajoute le pilote de 44 ans. "On est très contents de ce qu'ils font depuis l'année dernière. C'est sûr que notre moteur est performant, mais il consomme beaucoup d'essence. Toyota a la chance de faire beaucoup d'essais pour optimiser sa consommation ; nous, on apprend ça sur le terrain, mais on essaie de progresser."

#708 Glickenhaus Racing Glickenhaus SCG 007 LMH - Romain Dumas

Romain Dumas

Dumas jouit d'une expérience monumentale en sport automobile, lui qui est passé par les écuries d'usine de grands constructeurs comme Audi et Porsche mais aussi par de plus petites structures indépendantes telles que Pescarolo, Signatech et Rebellion.

"C'est sûr qu'on ne peut pas comparer avec Audi ou Porsche, où il y avait des moyens énormes", souligne le Français, qui participe aux 24 Heures du Mans tous les ans depuis 2001. "Maintenant, c'est vrai qu'on est plus dans un esprit type Pescarolo ou effectivement Signatech. Je dirais que Rebellion, quand on l'a fait avec Oreca, c'était encore un autre niveau d'investissement, c'était un petit peu entre les deux. On a assez pour bien faire, en tout cas."

Il y a un an tout le monde se foutait de lui, et maintenant c'est devenu la coqueluche de tous !

Romain Dumas sur Jim Glickenhaus

Mais au fait, comment Dumas a-t-il rejoint cet audacieux projet ? Tout a commencé quand le vétéran était au Nürburgring pour effectuer une démonstration de prototype électrique de Volkswagen, l'ID. R ; c'est alors que Jim Glickenhaus est venu lui présenter son programme.

"Je me suis dit que le gars était super courageux", confie Dumas. "Au début, je n'étais pas vraiment partant pour faire ça, mais comme j'ai bien aimé son approche, je lui ai dit : 'Écoute, je viendrai en Italie là où vous allez construire la voiture chez Podium, complètement amicalement, gratos, et je vous dirai tout ce que je ferais si c'était mon équipe'. En fait, j'y suis allé trois fois où tous ces jeunes ingénieurs chez Podium m'écoutaient et prenaient des notes, et ils ont bien mis en application. C'est comme ça que l'histoire a commencé."

"En fait, voyant que ce projet-là allait tenir la route, avec forcément des risques pris au début, je me suis dit que finalement, c'est peut-être à cet âge-là qu'il faut le faire. Tu ne peux pas faire ça quand tu es jeune, parce que tu peux mettre ta carrière en péril, mais moi je n'avais pas grand-chose à mettre en péril, au lieu de faire peut-être Le Mans en GT ou en LMP2 – ce qui est super, attention !"

James Glickenhaus avec la #708 Glickenhaus Racing Glickenhaus 007 LMP1 d'Olivier Pla, Romain Dumas, Felipe Derani

James Glickenhaus lors du Pesage au Mans

Il n'y a toutefois pas que le projet qui a convaincu Dumas : il s'agit aussi de Jim Glickenhaus lui-même. "C'est un gars qui mérite plus que le respect", affirme le tricolore. "Il n'y en a plus des gars comme ça aujourd'hui, à aller prendre le risque de créer ta propre voiture avec tes propres moyens. On a eu [Alexandre] Pesci avec Rebellion, avant on avait [Henri] Pescarolo, aujourd'hui il y a Glickenhaus. Il n'y en a plus beaucoup comme ça, il n'y en a qu'un. Déjà, grand respect."

"Le mec, il y a un an tout le monde se foutait de lui, et maintenant c'est devenu la coqueluche de tous ! En un an il a gagné le respect de tout le monde. J'en suis super fier. Lui-même est un pur passionné, non seulement qui a des milliers d'idées à la seconde, mais quand j'ai fait avec lui la Baja 1000, au milieu de la nuit tu vas le croiser, et quand tu es dans son buggy c'est pareil. C'est juste un mec qui vit sa passion à 100% avec sa famille – son fils, sa femme. C'est top de voir des gens avec autant d'envie."

Et face au jeunisme qui règne en sport auto, Glickenhaus se démarque : pour l'édition 2022 des 24 Heures du Mans, ses pilotes ont une moyenne d'âge de 39 ans. Le doyen est Richard Westbrook, qui fêtera dans un mois son 47e anniversaire, tandis que le benjamin Pipo Derani est de 19 ans son cadet.

Pour établir le line-up, les exigences de Jim Glickenhaus étaient simples : "Mes critères étaient de connaître les pilotes, d'être sur la même longueur d'onde, et que ce soient de bons pilotes. La LMH est vraiment comme une GT1 old-school. Les bons pilotes peuvent la piloter, et la vitesse est de 330 km/h au Mans, ce qui est rapide mais pas insensé. Ces gars-là peuvent certainement gagner, et je les apprécie. Ce sont des amis."

#709 Glickenhaus Racing Glickenhaus SCG 007 LMH - Ryan Briscoe, Franck Mailleux, #708 Glickenhaus Racing Glickenhaus SCG 007 LMH of Romain Dumas

Romain Dumas aux côtés de Franck Mailleux et Ryan Briscoe

Dumas, lui, trouve dans ce groupe de six pilotes une ambiance qu'il apprécie particulièrement. "C'est complètement différent", indique l'intéressé. "Les jeunes, forcément, n'ont qu'une envie, c'est d'être meilleur que toi, ça c'est sûr. Mais aussi, s'ils sont assez intelligents – ce n'est pas le cas de tous – ils essaient de récupérer le plus d'infos possible. J'ai de très bons souvenirs, que ce soit avec [Nico] Jamin ou même Louis [Delétraz], avec qui j'ai créé une belle amitié, parce que c'est un gamin super intelligent : il a compris que tout ce qu'il pouvait récupérer, il le récupérait de moi, et avec un super esprit. Le but n'est pas de tuer le vieux et seulement ça, c'est d'essayer de profiter de tout. Moi, quand j'ai eu la chance de courir au début avec Manu Collard ou avec Stéphane Ortelli, tu pouvais profiter d'eux. Le but n'était pas de les mettre à la retraite, c'était de récupérer tout d'eux et de créer une belle alchimie."

"Il y aussi d'autres conversations [avec les pilotes âgés]. J'ai eu des jeunes chez Porsche ces dernières années, où des fois on n’avait rien à se dire : parler toute la journée d'Instagram ou de TikTok, c'est un peu compliqué. Je pense que l'avantage, là, c'est qu'on n'a pas grand-chose à prouver entre nous. On partage pas mal d'informations. Il y a franchement une ambiance top dans l'équipe depuis le début. Je pense que c'est ce que Glickenhaus recherche aussi. On est forcément là pour être performants, mais pas que, et c'est ce qui est important. C'est aussi ça, l'Endurance."

Je ne suis pas une grande entreprise, je vends 300 voitures par an. C'est quelque chose que fait Toyota en trois minutes, voire moins !

Jim Glickenhaus

Cette édition 2022 des 24 Heures du Mans a d'ailleurs la particularité d'être la dernière avec un peloton peu fourni en Hypercar : l'an prochain, Toyota et Glickenhaus devraient être rejoints par Peugeot et Ferrari, ainsi que les LMDh de Porsche et Cadillac, au moins. Du point de vue technologique, la petite équipe américaine devrait parvenir à se maintenir aux avant-postes grâce à la Balance de Performance. "Si les écuries utilisent des jokers [permettant de modifier un modèle déjà homologuée, ndlr], ce n'est pas forcément pour rendre la voiture plus rapide, c'est pour la rendre plus fiable", assure Jim Glickenhaus.

Cependant, avec des concurrents peut-être trois ou quatre fois plus nombreux dès lors, la course de ce week-end représente-t-elle une occasion en or ? "C'est clair, on a une opportunité, on a une chance, il faut essayer de ne pas la louper", admet Dumas, qui ne sait pas encore s'il sera toujours chez Glickenhaus l'an prochain, lui qui est également pilote officiel Porsche. "Il ne faut pas oublier que c'est une catégorie de BoP, donc finalement, il se peut qu'ils aient encore des chances, il ne faut pas non plus les enterrer pour l'année prochaine."

#709 Glickenhaus Racing Glickenhaus SCG 007 LMH - Ryan Briscoe, Richard Westbrook, Franck Mailleux

La Glickenhaus #709 devant une Toyota

Y aura-t-il toutefois des Glickenhaus au Mans la saison prochaine ? Jim entretient le doute, voyant d'un mauvais œil la convergence de l'Hypercar avec la réglementation LMDh, et ne manque pas de tirer à boulets rouges sur certains grands constructeurs qui vont en profiter pour aligner des voitures avec un coût et un effort moindres.

"Je pense que toute l'idée de convergence [entre Hypercar et LMDh], c'est la pagaille", déclare-t-il sans détour. "Je pense aussi que politiquement, ce sera très difficile pour une LMH de remporter les 24 Heures de Daytona, d'obtenir une BoP juste, et je pense qu'il sera très difficile pour une LMDh d'IMSA de venir gagner Le Mans. Je ne crois pas que cela va se produire."

"Je suis par ailleurs abasourdi que dans ce monde, j'ai construit une voiture – le moteur, la carrosserie – à partir d'une feuille blanche, et Porsche prend une voiture monotype d'IMSA, met son moteur dedans avec quelques logos et dit que c'est pareil. Ce n'est pas pareil que ce que fait Peugeot, ce n'est pas pareil que ce qu'a fait Toyota, ce n'est pas pareil que ce que fait Ferrari. C'est complètement différent. La Ferrari est une Ferrari, la Peugeot est une Peugeot, notre voiture est une Glickenhaus. La Porsche est une Multimatic avec un moteur Porsche et un logo."

"Je ne suis pas une grande entreprise, je vends 300 voitures par an. C'est quelque chose que fait Toyota en trois minutes, voire moins ! Je pense que les fans comprennent ça, aiment ce que nous faisons et nous soutiennent. Mais il faut que nous trouvions une politique qui ait du sens économiquement. Si je cours au Nürburgring et au Baja, je vais vendre toutes les voitures que je peux construire. Courir ici, c'est plus une question de performance et d'esprit du Mans. C'est important, et je veux continuer, mais il faut que ça ait du sens financièrement, ou je ne pense pas que je reviendrai, alors on verra."

Une chose est sûre : Glickenhaus va s'efforcer de perpétuer l'héritage des légendes du Mans. "J'essaie de faire ce qu'a fait Henri Pescarolo, ce qu'a fait Jean Rondeau, ce qu'a fait Jim Hall, ce qu'a fait Carroll Shelby, ce qu'a fait Briggs Cunningham." Se montrer à la hauteur de tels noms, tel est le défi relevé par Jim. Avec passion, toujours.

Jim Glickenhaus, Glickenhaus Racing

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