Interview

Les adieux douloureux de la Clinica Mobile après 45 ans en Grand Prix

À peine deux mois après l'inauguration de son tout dernier camion, la Clinica Mobile a quitté le paddock MotoGP, remplacée par une autre structure pour la saison prochaine. La fin d'une longue aventure médicale mais aussi humaine, de celles qui ont constitué la richesse du championnat.

La dernière version de la Clinica Mobile, inaugurée en 2022

Photo de: Léna Buffa

Un dernier Grand Prix dans la saison, qui plus est lorsque s'y joue le titre le plus important de l'année, c'est un mélange d'excitation, de frénésie, cette ambiance si particulière d'un stress teinté de joie. Celui de cette année portait pourtant une lourdeur singulière avec le départ de plusieurs marqueurs très importants dans le paddock. D'une part Suzuki, l'un des six constructeurs de la catégorie MotoGP, mais aussi de façon moins médiatique la Clinica Mobile, véritable institution des Grands Prix depuis 45 ans.

Celle qui se voulait "la maison offerte aux héros du monde mythologique de la moto" selon la vision toujours très mystique de son fondateur, le Dr Claudio Costa, est devenue au fil des années un centre ambulant de soins médicaux et de physiothérapie, celle-ci tant pour la préparation que la récupération des pilotes, tout en restant ce cocon dans lequel il leur était possible de trouver l'accompagnement et le soutien dont ils pouvaient avoir besoin. Un gage de stabilité pour beaucoup d'entre eux, "une deuxième maison", explique le Dr Michele Zasa à Motorsport.com, "un endroit où ils pouvaient venir faire escale en toute sécurité".

Pourtant, fin septembre, le Dr Zasa, son directeur depuis huit ans, apprend avec surprise que la Clinica Mobile ne sera plus de la partie la saison prochaine. La société Quirónprevención, qui appartient à Quirónsalud, le premier groupe hospitalier espagnol, reprend le flambeau pour créer un nouveau "centre de santé" dirigé par le Dr Ángel Charte, déjà directeur médical du championnat. Le but, selon les explications fournies par Carmelo Ezpeleta dans le communiqué officiel, "améliorer non seulement les services médicaux disponibles pour [les] pilotes, mais aussi pour l'ensemble du paddock" avec, nous dit-on, des services de pointe et de nouvelles méthodes de physiothérapie.

Alors que les médias italiens qui ont eu vent de la nouvelle avant son annonce ont d'emblée supposé que des raisons financières expliquaient ce choix, le Dr Zasa veut croire qu'il n'y a en effet rien de plus qu'un problème "commercial" dans ce changement. "Les pilotes ont évolué, les temps ont changé, mais d'un point de vue sanitaire nous avons évolué. Nous sommes en mesure, en 2022, d'offrir un service à l'avant-garde en termes de technologie, de préparation, de service, donc je ne pense pas du tout qu'il s'agisse d'un problème de manque d'évolution de la Clinica Mobile", nous explique-t-il, assurant avoir toujours senti le respect du travail de ses équipes et l'attachement des teams et des pilotes à la qualité du service proposé. "D'une certaine manière, ça me permet de partir serein, car nous avons bien travaillé."

Serein, certes, pourtant l'atmosphère était bien lourde dans la structure pendant ce dernier week-end. Cet arrêt brutal a été une surprise pour Michele Zasa et son équipe. "Je ne m'y attendais pas parce que nous avions toujours parlé de projets à long terme. Après, je comprends que les plans puissent changer. Il doit y avoir eu une série de situations, de nécessités, et aussi, je peux le supposer, des problématiques financières liées à la crise du COVID-19, autant d'éléments qui font changer les plans. Mais évidemment, pour nous c'est une situation particulière car nous avions conçu un nouveau camion [inauguré au GP de Saint-Marin, ndlr], misé sur un projet à long terme… C'est comme ça, on affronte les problèmes, on va de l'avant."

"L'ambiance n'est pas des meilleures, évidemment, nous sommes tristes. Nous sommes désolés, que ce soit moi ou l'équipe qui a investi beaucoup dans cette activité en termes de temps, d'effort, d'organisation, ils ont tout donné. Pour les pilotes aussi, c'est dommage que tout soit interrompu comme ça, et pas parce que nous aurions démérité professionnellement car on a continué à nous dire que nous avions toujours bien travaillé", poursuit-il. "Il est normal qu'il y ait de l'amertume, mais nous partons sans polémique, en sachant ce que nous avons réalisé de bon, en ne partageant pas mais en comprenant malgré tout en partie ce choix commercial qui a été fait à la lumière de la situation très difficile qui a été créée après le COVID-19."

Mick Doohan célébrant le Dr Costa sur le podium du GP d'Australie en 1998

Mick Doohan célébrant le Dr Costa sur le podium du GP d'Australie en 1998, au moment de son dernier titre

Le Dr Costa est venu à Valence pour ce dernier Grand Prix, mais pour lui c'est le travail d'une vie qui s'effondre et la pilule a du mal à passer. "Il souffrait tellement qu'il a décidé de rentrer chez lui plus tôt que prévu, il est parti vendredi parce qu'il était désolé de la situation", nous dit son successeur, formé à ses côtés pendant trois ans avant de prendre le témoin. "Moi, au final, j'ai été un passeur, j'ai fait perdurer une tradition qu'il a créée. Je l'ai ensuite innovée, j'ai essayé de la maintenir à jour et je crois avoir bien travaillé, c'est en tout cas ce qu'on me dit, mais au final c'est sa création."

Une création qui remonte à 1977 pour ce jeune médecin italien, fils d'un organisateur de courses. Fasciné par les pilotes, Claudio Costa invente un nouveau service de secours d'urgence et, très tôt, il sauve des vies à une époque où la compétition moto met encore très fréquemment en péril ses héros. Dès la première course, c'est à Franco Uncini qu'il fait un bouche-à-bouche salvateur à Salzbourg (Uncini dont Valence était également le dernier Grand Prix en tant que responsable sécurité auprès de la FIM). Parmi les témoignages chaleureux que beaucoup de pilotes ont eus pour la Clinica Mobile en marge de ce départ, celui de Valentino Rossi a ravivé le souvenir de cette réalité brutale de l'époque. "La plus grande faveur que m'ait faite le Dr Costa, c'est celle d'avoir encore un père. Ce jour-là à Imola, en 1982, quand Graziano est tombé, les médecins du circuit testaient une nouveauté qui servait à intuber les pilotes accidentés sur place. Graziano est tombé avant Tosa et il y avait un médecin de la Clinica Mobile qui a sauvé mon père en l'intubant sur place", a ainsi relaté Rossi à Sky Sport.

Arrivée dans le paddock avec un petit van, la Clinica Mobile est bientôt devenue un immense camion, offrant toujours plus de lits et de matériel. Elle a intensifié son activité, jusqu'à devenir la référence absolue des pilotes pour gérer ces souffrances qui échappent souvent aux caméras. Plusieurs générations de pilotes lui ont voué une fidélité immuable, ses parrains s'appelant Uncini, mais aussi Kenny Roberts, Giacomo Agostini ou encore Mick Doohan, eux qui n'ont jamais oublié tout ce qu'ils doivent au Dr Costa et à ses équipes. La jambe sauvée de Doohan, c'est l'une de ces histoires qui ont fait la légende des Grands Prix moto. Des histoires d'une autre époque, peut-être, mais qui ont constitué ce respect, resté le socle du lien entre les pilotes et la structure.

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Avec la retraite du Dr Costa en 2014, l'évolution de la pratique et de l'encadrement auquel font appel les pilotes, mais aussi celle du championnat qui a établi des liens de plus en plus forts avec le groupe Quirónsalud, l'activité de la Clinica Mobile a évolué, présentée de plus en plus comme une structure de physiothérapie plutôt que d'interventions médicales. "Dans certaines situations en particulier, nous sommes intervenus directement en soutien compte tenu de notre expérience. Dans les situations qui le requéraient, nous l'avons toujours fait. Peut-être que ça a été moins visible", pointe cependant le Dr Zasa. Et si aujourd'hui l'accompagnement de physiothérapie se fait parfois en interne pour certaines équipes ou si des pilotes ont un préparateur personnel, il peut aussi s'agir de membres du staff de la Clinica Mobile. "Les pilotes se sentent bien avec nous", assure le médecin pour expliquer le fait que ces services se soient instaurés en dehors même du camion.

Jack Miller fait soigner son poignet cassé à la Clinica Mobile en 2016

Jack Miller fait soigner son poignet cassé à la Clinica Mobile en 2016

Les médecins et physiothérapeutes qui ont constitué l'équipe de la Clinica Mobile jusqu'au bout étaient encore quelque peu sonnés par cette éviction lorsqu'ils ont rangé pour la dernière fois le camion flambant neuf au soir du Grand Prix de Valence. S'ils ne sont pas au chômage, tous en activité dans la vie civile, il leur faut à présent réorganiser leur quotidien, sans doute chercher à passer à temps plein dans leur poste premier. Et qu'adviendra-t-il de leur expérience auprès des pilotes ? "Nous allons chercher d'autres défis. Nous avons quelques idées. Nous avons créé une belle marque et, au-delà de ça, je crois que nous avons un bon savoir-faire et je serais désolé de ne pas pouvoir l'exploiter, de perdre tous ces professionnels compétents qui travaillent avec moi", souligne le Dr Zasa.

Première certitude, l'activité va se maintenir en WorldSBK. "C'est un championnat auquel nous sommes très liés. Nous sommes contents d'y rester, pour tous les pilotes qui y courent et aussi tous ceux que nous avons connus ici en MotoGP et qui y sont allés ensuite", explique le responsable. Quant au service pouvant être offert en dehors des Grands Prix via les cabinets installés à Parme et en Andorre, ils demandent réflexion et organisation. "Il est encore tôt parce que moi-même je l'ai appris il y a peu, peu avant que ça sorte dans les journaux. Nous sommes donc encore en train d'essayer de comprendre dans quelle direction aller", reprend Michele Zasa. "Ce sera peut-être l'occasion de travailler sur toutes les belles idées que nous avions et de voir si elles seront réalisables", ajoute-t-il. "Il faut voir maintenant si nous arrivons à les développer et s'il peut y avoir de la place dans d'autres domaines. C'est encore très précoce car nous n'avons pas encore eu le temps d'évaluer d'autres domaines d'activité."

Face à ceux qui seraient tentés de pointer ses différences avec un Dr Costa qui fut vénéré, le jeune médecin évite toute polémique et cherche avant tout à digérer cette douloureuse éviction et à aller de l'avant. "Je n'ai pas été comme lui, j'ai été très différent", assume-t-il. "Au final, j'ai essayé de mener une entreprise d'une manière viable et jusqu'à aujourd'hui, l'entreprise a été très respectable, elle a bien travaillé, y compris du point de vue des bilans. J'ai toujours essayé d'apporter un service de qualité et je crois avoir toujours réussi à le faire. Au final, je suis content de ce que j'ai fait."

"Ce qui me restera, ce sont des personnes, des moments partagés ici avec certains, d'un point de vue humain", ajoute-t-il. "Ce n'est pas tant une question d'image, pour moi ce sont des moments importants que j'ai vécus avec de belles personnes que j'ai rencontrées grâce à ce travail, et c'est ça qui va me rester. Des pilotes et pas que, des pilotes qui ne sont plus là... Je garderai toujours en moi le souvenir de Luis Salom, de Nicky Hayden, de Marco Simoncelli qui sont des pilotes dont j'ai été très proche, comme de d'autres qui sont encore en activité et avec qui je resterai en contact."

"Précisément ici, pour sa dernière course à Valence, Luis Salom m'avait offert un coffret avec un vin espagnol. Quand il est mort je ne l'avais pas encore bu et je l'ai toujours gardé chez moi, dans mon salon. Je crois que ce sera la bonne occasion pour boire le vin de Luis."

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