Interview

Le gentil géant qui manquera au MotoGP

Imaginer le MotoGP sans Danilo Petrucci, c'est envisager de perdre l'un des rares pilotes qui aient pu battre Marc Márquez au sommet de son art et un garçon aussi attachant que combattif.

Danilo Petrucci, KTM Tech3

Photo de: Gold and Goose / Motorsport Images

Les jours de Danilo Petrucci en MotoGP semblent comptés, alors que KTM s'efforce de réunir chez Tech3 la saison prochaine deux jeunes pilotes venant du Moto2. L'Italien, arrivé à Mattighofen cette année, ne connaît pas une saison exceptionnelle, néanmoins il a su s'imposer comme un coureur de premier plan ces dix dernières années, et ce avec une personnalité dont le sport international a cruellement besoin.

Il est difficile de ne pas être enthousiaste à l'idée que les meilleurs pilotes actuels du Moto2 rejoignent la catégorie reine en 2022. La promotion de Remy Gardner, actuel leader du championnat, a été confirmée avant la pause estivale, et d'après les informations de Motorsport.com, son coéquipier et principal adversaire pour le titre, Raúl Fernández, devrait le rejoindre chez Tech3. À ce stade de l'année, la probabilité que deux places soient vacantes chez Yamaha pour 2022 et le fait qu'Aprilia n'ait pas encore confirmé son second pilote laisse la porte légèrement entrouverte à Iker Lecuona et Danilo Petrucci, néanmoins il semble de plus en plus probable que le prochain championnat se fera sans eux. Le manque d'expérience du premier cité et sa malchance face au COVID-19 l'année dernière font de son départ une fin quelque peu amère, mais il faut avouer que c'est le second qui manquera le plus sur la grille MotoGP.

Danilo Petrucci a indéniablement fait souffler une brise de légèreté sur les Grands Prix, après avoir pourtant rejoint le MotoGP par une voie inhabituelle et longtemps nourri pour cette raison un complexe d'infériorité. Sa carrière sur circuit a débuté en 2006 en Coupe Honda CBR600, en Italie, puis Petrucci s'est engagé en Coupe d'Europe Superstock 600 avant de passer au Superstock 1000cc après avoir remporté trois victoires en 2009. Deuxième de la catégorie mondiale en 2011 et vainqueur du titre italien Superstock, Petrucci a décroché une opportunité de rejoindre le MotoGP en 2012.

Signé par l'équipe Ioda, le pilote italien a donc intégré le paddock des Grands Prix au guidon d'une très modeste CRT, laquelle était initialement une Aprilia ART avant que le team n'adopte un châssis Suter et un moteur BMW à la mi-saison. Malgré un seul top 10 en trois ans, en l'occurrence une huitième place obtenue sous la pluie de Valence en 2012, ses faibles résultats n'ont pas signé la fin prématurée de l'aventure pour Petrucci, ceux-ci étant liés à la situation très modeste de son équipe.

An 11th place finish at Aragon was the best result of a disappointing 2014 with Ioda

"Disons que ma carrière a été unique parce que j'ai rejoint le MotoGP en 2012 sans avoir jamais roulé avec une moto de Grand Prix, avec des pneus de Grand Prix ou sur des circuits de Grand Prix", s'est souvenu Danilo Petrucci dans une interview qu'il a accordée à Motorsport.com avant le GP d'Allemagne. "J'étais totalement nouveau. J'étais rapide mais personne ne me connaissait et je ne connaissais personne dans le paddock ni aucun circuit. Tout le set-up que l'on faisait sur la moto, c'était vraiment un autre monde pour moi. Et puis, cette année-là, j'avais une CRT, qui est peut-être la moto la plus lente que j'aie jamais pilotée. Elle était même encore plus lente que la Superstock ! Mais c'est un super souvenir."

Ils sont très peu nombreux à avoir connu une longue carrière en MotoGP après avoir piloté une CRT, sorte de sous-catégorie dans la catégorie reine visant à relancer le championnat après une période de crise. Parmi la promotion 2012, il ne reste en effet qu'Aleix Espargaró et Danilo Petrucci. S'il a donc fait partie des "chanceux", le pilote italien a en réalité provoqué le destin pour que sa carrière s'écrive en Grand Prix malgré cette arrivée peu commune et discrète.

Le tournant est intervenu en 2015, lorsque Pramac lui a offert une solide promotion afin de piloter une Ducati de la saison précédente. Une opportunité en or pour le protégé de Giampiero Sacchi, qu'il n'a pas gâchée, battant alors sans difficulté son coéquipier Yonny Hernández et obtenant même un premier podium à Silverstone. C'est cette deuxième place qui l'a propulsé sous le feu des projecteurs, puisqu'il s'est illustré en donnant du fil à retordre à un certain Valentino Rossi, futur vainqueur de la course, dans des conditions pluvieuses dans lesquelles Petrucci s'est vite montré à l'aise.

Lui-même éberlué de se retrouver aux avant-postes face au plus grand nom du championnat, il a d'emblée mis fans et observateurs dans sa poche en profitant de cette exposition médiatique pour afficher une simplicité désarmante et un humour qui détonne avec les attitudes policées de quiconque a été formaté dès le plus jeune âge pour l'élite des Grands Prix. Celui qui en 2017 allait citer Homer Simpson lorsqu'il lui sera demandé qui était son idole vivait de toute évidence un rêve éveillé en touchant du doigt pour la première fois l'exposition apportée par cette belle performance et ce podium partagé avec une autre idole, Valentino Rossi.

Resté chez Pramac, Petrucci a grimpé les échelons suivants. D'abord en remportant en 2017 une lutte face à son coéquipier, Scott Redding, avec pour enjeu l'obtention d'une Ducati d'usine dans le team satellite pour 2018. Puis en 2019, lorsque Jorge Lorenzo a quitté le navire, c'est Petrucci, moins cher que le champion espagnol, qui a saisi une opportunité en or pour passer dans l'équipe officielle. S'ensuivront deux victoires, au GP d'Italie 2019 et au GP de France 2020. Mais dès la longue intersaison 2019-2020, son départ du groupe de Borgo Panigale et son transfert chez KTM étaient actés.

Un problème de taille insoluble

Avec son 1,81 m, Petrucci est le plus grand pilote de la grille, et ce gabarit lui pose aujourd'hui bien des difficultés sur la petite KTM RC16. Mais au fil des années, cela a toujours été un problème pour lui, au point qu'il a multiplié les efforts pour largement réduire son poids au cours de sa carrière. "Le fait est que depuis que j'ai commencé à courir sur circuit en 2006, dans la Coupe Honda CBR600 en Italie, toutes les équipes où je suis allé se sont plaintes de ma taille. C'est l'histoire de ma vie ! En Superstock, on m'a dit : 'On ne peut pas être rapides avec ton physique'. Et ensuite en MotoGP, ça a toujours été un combat. Mais le fait est que je ne suis pas gros. J'ai juste ce corps et je travaille beaucoup", explique-t-il.

Size has been a frequent obstacle to Petrucci throughout his MotoGP career

S'il se faisait déjà rappeler à l'ordre par ses directeurs d'équipe précédemment, c'est en 2018, pour sa première année sur la Ducati d'usine, que Petrucci a entamé une véritable transformation en réussissant à faire baisser son poids à environ 75 kg. C'était tout de même encore une dizaine de kilos de plus que le deuxième pilote le plus lourd du plateau MotoGP, mais avec un poids de forme qui se situe plutôt à 80 kg, ce niveau était déjà problématique pour lui. "J'avais vraiment du mal à rester sur la moto", explique Petrucci, qui a donc repris un peu de poids. Aujourd'hui, il a encore un surplus de 15 à 20 kg avec la majeure partie des pilotes, beaucoup plus petits que lui. Or, avec un durcissement progressif du règlement technique en MotoGP ces dernières années, le moindre gain peut faire une grande différence, si bien que Petrucci, malgré ses efforts, est devenu victime de son physique.

Si le passage à une carcasse de pneu plus souple dans le pneu arrière Michelin l'année dernière a été un problème majeur pour Andrea Dovizioso, cela l'a été plus encore pour Petrucci, son coéquipier à l'époque. À une dernière saison difficile sur la Ducati fait suite à présent une campagne tout aussi compliquée avec la KTM, que n'arrange pas la taille relativement petite de la RC16 puisque cela joue également contre lui d'un point de vue aérodynamique. Aussi, bien que la moto dont il a hérité pour cette saison ait remporté trois courses en 2020, Petrucci s'attendait à connaître ces difficultés.

"J'avais imaginé que ce serait un défi difficile", admet-il. "Depuis l'année dernière, avec le changement de ce pneu, je me bats un peu. La carcasse de ce pneu est assez souple, donc j'ai toujours eu du mal cette année à garder de bonnes sensations sur la moto. Mais j'imaginais que ce serait difficile. Il n'y a pas tellement de grands domaines dans lesquels progresser, juste beaucoup de petites choses dont j'ai besoin pour faire mieux."

"KTM m'aide beaucoup, l'équipe aussi. Au-delà de 200 km/h, je commence à ne pas gagner en vitesse autant que les autres, c'est donc un problème en course, surtout dans les premiers tours. Et puis depuis l'année dernière, j'ai du mal à avoir une bonne vitesse quand je monte un pneu neuf. J'ai toujours eu une bonne expérience de la gestion du pneu arrière quand il est usé et je suis toujours assez rapide en termes de rythme. Mais quand il est neuf, c'est comme si le pneu arrière ne supportait pas mon poids."

Depuis le coup d'envoi de la saison 2021, Danilo Petrucci ne s'est jamais qualifié plus haut que 17e, ce qui ne fait que lui compliquer encore un peu plus la tâche en course. Son meilleur résultat sur le sec est pour le moment sa neuvième place au GP d'Italie, tandis que la course flag-to-flag du Mans lui a permis de briller en passant de la 17e à la cinquième place sous le drapeau à damier. Mais son bilan des neuf premières courses de 2021 reste maigre, avec seulement 26 points et une modeste 17e position au championnat.

Malgré tout, Petrucci peut compter sur le soutien du camp KTM, Pit Beirer ayant déclaré à Motorsport.com : "Nous avons encore du travail à faire ici, dans ce paddock, nous n'avons pas fini. Nous n'allons pas laisser tomber et échouer à performer ensemble. C'est un grand objectif pour moi. Mais c'est un gars tellement bien, nous l'aimons énormément, nous aimons travailler avec lui."

Parmi les soutiens qui lui sont témoignés, Petrucci peut aussi compter sur Dani Pedrosa, pilote d'essais de KTM et pourtant son opposé absolu en termes de physique. L'Espagnol, unanimement salué comme ayant joué un rôle majeur dans la progression de KTM, envoie régulièrement des messages au pilote Tech3, avec des idées visant à l'aider.

Slippery conditions at Le Mans brought out the best in Petrucci

Il n'en demeure pas moins que ce pneu arrière est trop tendre pour Petrucci, qui ne pourrait pas perdre plus de poids qu'il ne l'a déjà fait. Difficile donc pour lui de bien se qualifier, ce qui nuit forcément à ses courses, sans compter que sa grande taille lui coûte en vitesse de pointe et que ce problème parait tout aussi insoluble. Or, avec une hiérarchie aussi serrée, Petrucci sait que ses difficultés actuelles ne sont "pas un problème de KTM, mais un problème [qui vient de lui]".

Une solution ? "Il faudrait que je me coupe les épaules pour être plus rapide en ligne droite !" suggère le pilote en retrouvant son grand sourire. Et c'est précisément sa capacité à rire de ses problèmes les plus complexes cette année qui fait qu'une grille MotoGP sans lui sera terriblement triste.

Un palmarès dont il n'a pas à rougir

D'un point de vue sportif aussi, le départ de Danilo Petrucci serait une lourde perte pour le MotoGP, car s'il a suivi une voie peu commune, celle-ci n'en a été que plus inspirante. Passé par le team Ioda, peu compétitif et sous-financé, il a finalement inscrit son nom dans les tablettes du championnat en remportant deux Grands Prix MotoGP sur une Ducati d'usine, devenant ainsi l'un des rares à pouvoir dire qu'ils ont affronté et battu à la régulière un Marc Márquez au sommet de sa forme. Quand on voit la courte liste de ceux qui ont fait de même − Valentino Rossi, Jorge Lorenzo, Andrea Dovizioso, Álex Rins − on se rend compte à quel point Petrucci fait partie de l'élite.

Certes, il ne passera peut-être pas à la postérité en figurant très haut dans les classements des "plus grands pilotes MotoGP de tous les temps", et il le sait pertinemment. Mais sa satisfaction est ailleurs. "Je suis complètement satisfait de ce que j'ai fait parce que j'ai été le seul à réussir à faire ce changement puis ensuite, pendant ces années, à gagner des courses et à monter sur le podium", souligne-t-il. "Bien sûr, mon rêve est de gagner le championnat du monde. Je ne sais pas si c'est encore possible, mais je suis clairement heureux de ce que j'ai fait."

Petrucci celebrates victory over Marc Marquez and Ducati team-mate Andrea Dovizioso at Mugello in 2019

S'il ne devait jamais gagner ce titre mondial, Petrucci ne mériterait pas pour autant de sombrer dans l'anonymat, loin de là. Et ce d'autant moins que son parcours est loin d'être terminé. Il semble inconcevable qu'il ne reçoive pas d'offres correctes pour rejoindre le WorldSBK en 2022, même s'il admet lui-même que les problèmes qui le freinent en MotoGP ne seront probablement qu'amplifiés sur une Superbike. "Ce n'est pas quelque chose que je veux essayer", prévient-il donc.

Mais, dans la continuité de cette carrière "unique" qui a été la sienne jusqu'à présent, Petrucci a révélé à Motorsport.com son souhait de passer au rallye-raid et de s'attaquer à la course la plus prestigieuse de la discipline une fois sa carrière en MotoGP terminée en s'alignant au départ du Dakar"Depuis longtemps, je songe à changer totalement, parce que j'ai eu une carrière unique, je veux faire du rallye et je veux essayer ça parce que je suis assez bon en off-road. J'ai déjà testé la navigation et disons que si je ne peux pas être plus rapide, au moins je peux rouler plus longtemps. Je veux essayer, je suis plutôt âgé pour le MotoGP mais pas pour le rallye-raid et j'ai encore le temps d'apprendre. On verra de quoi l'avenir sera fait."

Pit Beirer s'est d'ores et déjà dit prêt à épauler son pilote dans cette voie. S'il se tournait vers le Dakar, Petrucci pourrait donc tenter de devenir le premier pilote de l'Histoire à remporter le plus célèbre rallye-raid au monde, tout en ayant déjà également gagné en Grand Prix. Un défi… de taille. Et même si le succès ne devait pas être au rendez-vous, il gratifierait au minimum un autre championnat de cette bonne humeur et cette légèreté d'esprit qu'il a apportées au MotoGP ces dix dernières années. Espérons qu'ils mesureront alors leur chance !

Danilo Petrucci, KTM Tech3

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