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La gestion de la pression, de moins en moins taboue

Sujet délicat s'il en est, la santé mentale s'assume désormais de plus en plus dans différentes disciplines sportives, et la compétition moto n'y fait pas exception. La gestion de la pression ou de performances en berne peut s'avérer particulièrement difficile à endurer, et cela reste bien souvent tabou.

Maverick Vinales, Yamaha Factory Racing

Photo de: motosport.com

Plusieurs cas d'athlètes évoquant leur santé mentale ont récemment fait la une, braquant les projecteurs sur des difficultés intimes longtemps gardées dans le secret des vastes programmes que mènent les sportifs et dont la compétition n'est qu'un échantillon. Une face émergée de l'iceberg, alors que le voile n'est pratiquement jamais levé sur la souffrance, tant physique que morale, qu'ils peuvent avoir à gérer dans l'intimité. Dans un domaine de performance et de compétition, où il faut savoir se montrer productif, meilleur que les autres, être maître de soi pour affronter le stress, voire le danger, les effets de la pression que se mettent les sportifs ou qui leur est imposée peuvent être dévastateurs.

En tennis, nous sommes tous témoins du mal-être de Naomi Osaka. Après le souhait exprimé par la joueuse japonaise, numéro 2 mondiale, de ne pas donner d'interviews pendant Roland-Garros afin de préserver sa santé mentale, ce qui allait conduire à son forfait du tournoi français, elle peine à remonter la pente et a craqué ces derniers jours lors de la première conférence de presse qu'elle donnait depuis mai.

Un autre cas très médiatisé a concerné la gymnaste Simone Biles, fin juillet. La jeune femme a renoncé à son concours général aux Jeux Olympiques de Tokyo, dont elle était favorite, affirmant elle aussi souhaiter donner la priorité à sa santé mentale. Elle a expliqué notamment souffrir de "twisties", des pertes de repères pendant les figures de rotation, potentiellement dangereuses pour les gymnastes.

Ces deux cas récents ne sont que des exemples des situations complexes que peuvent vivre les sportifs dans l'ombre de leur préparation, loin de l'attention portée à leur performance. Marc Márquez, qui s'est à plusieurs reprises trouvé au cœur d'une pression médiatique particulièrement intense, estime que la décision radicale prise par Simone Biles a mis en lumière ce que les athlètes peuvent parfois "véritablement" ressentir.

"Simone est bien sûr une grande athlète mais elle a aussi un fort caractère pour prendre cette décision", a récemment fait remarquer le pilote espagnol lorsqu'il a été interrogé sur ce sujet. "Certains athlètes acceptent simplement la pression et ils essaient de la gérer, mais elle a montré ce que nous ressentons véritablement parfois."

"C'est vrai que c'est parfois difficile à gérer et je peux comprendre ce qu'elle ressent. Par exemple, c'est totalement différent mais, quand je suis revenu de blessure, certaines personnes s'attendaient à ce que je gagne dès mon arrivée. Puis, quand j'ai eu beaucoup de difficultés à Jerez, au Mans ou au Mugello, j'ai recommencé à entendre de nombreux commentaires."

"Mais il faut rester concentré, il faut continuer à avancer. Dans ces cas-là, il faut croire les gens qui vous entourent. Si vous avez de la chance et que les gens autour de vous vous aident, c'est plus facile. Mais si vous vous préparez pendant quatre ans pour les Jeux Olympiques et que vous n'avez qu'un seul jour, qu'une minute va décider si votre travail est suffisant ou non, alors la pression est plus forte."

"C'est une autre partie de notre travail. Beaucoup de gens sont très bons à l'entraînement, mais le jour de la compétition ils ont du mal. Pourquoi ont-ils des difficultés le jour de la compétition ? Il faut comprendre comment gérer la pression et toutes ces choses-là. Mais prendre cette décision… Wow ! Quand j'ai entendu ça, j'ai été impressionné, mais je respecte et je comprends cette décision. C'est en tout cas quelque chose qu'il faut être prêt à aborder."

Marc Márquez a également exprimé son soutien à Simone Biles pour l'ensemble de son parcours, elle qui a dominé le concours général individuel de la gymnastique depuis 2013 avant son retrait de cette épreuve aux JO de Tokyo. Âgée de 24 ans, elle a traversé des périodes extrêmement compliquées, notamment à cause de sa situation familiale à l'enfance puis en étant victime d'abus sexuels de la part de l'ancien médecin de l'équipe américaine. Elle a malgré tout cumulé les titres mondiaux et olympiques.

"Elle est une référence", a résumé Márquez. "Je la suis, je sais ce qu'elle fait et quel est son parcours, ce par quoi elle est passée ces dernières années, et je pense que tout cela a un effet, c'est vrai. L'ambiance avec les médias, les réseaux sociaux et toutes ces choses-là pèsent beaucoup, y compris sur un jeune talent. C'est quelque chose dont il faut savoir se détacher. Une chose que j'ai faite quand je me suis retrouvé au cœur de ces situations, c'est oublier mon portable et les réseaux sociaux. Je l'ai dit à Assen ou au Sachsenring : j'ai tout oublié, pour me concentrer juste sur ce que j'avais à faire. Elle a simplement montré une autre part de notre vie."

Si les sportifs de haut niveau ont toujours eu à composer avec une pression venue de l'extérieur, ne serait-ce que par les attentes que font peser sur eux les équipes ou les sponsors, le public joue aujourd'hui un rôle différent, où l'interaction a pris une part de plus en plus importante avec l'essor des réseaux sociaux. Certains parviennent à s'en rapprocher au bon moment pour y trouver un soutien bénéfique, et à s'en détacher lorsqu'ils pressentent que la critique sera trop forte. C'est la démarche qu'a eue Jack Miller en début de saison, sentant qu'il devait se protéger alors qu'il était la cible de commentaires négatifs après des performances décevantes. D'autres font des choix plus radicaux, à l'instar de Maverick Viñales qui a fermé son compte Twitter du jour au lendemain.

Outre les critiques qui peuvent émerger en cas de résultats en berne, Marc Márquez a aussi eu à composer pendant sa carrière avec une réelle forme de violence. On se souvient en effet que son opposition explosive à Valentino Rossi en 2015 lui a valu d'être la proie d'insultes et de menaces, lesquelles ont quitté les réseaux sociaux pour se transférer dans les tribunes des circuits, au sein de certains groupes de supporters. Une minorité, certes, comme ceux qui ont pris plaisir durant des années à siffler Jorge Lorenzo sur la grille de départ ou le podium pour ne citer que cet exemple, mais qui draine par son comportement une violence que les pilotes n'ont pas nécessairement les armes pour affronter.

La course moto de plus en plus ouverte sur la santé mentale

Sans aller vers ces extrêmes, heureusement rares, la pression née des attentes qui peuvent peser sur lui fait partie du quotidien d'un sportif de haut niveau. Les langues se délient encore rarement sur ce sujet dans la compétition moto, mais le pilote de BSB Glenn Irwin a assurément été celui qui en a parlé le plus ouvertement depuis l'an dernier. Il a expliqué avoir touché le fond en 2019 lorsque son transfert d'une Ducati à la Kawasaki qui venait de remporter le championnat l'a confronté à de grandes difficultés d'adaptation et des résultats en chute libre, se soldant par la rupture de son contrat à mi-saison.

Ces derniers jours encore, le pilote anglais a évoqué dans une interview à cœur ouvert le chemin de croix qu'il a traversé après la dégringolade de ses performances. "C'est le pire moment que j'ai jamais traversé. Chaque pensée que vous pouvez imaginer m'a traversé l'esprit. Ça n'était pas bon. J'ai alors recherché l'aide nécessaire, je suis allé voir des médecins et j'ai parlé à des personnes qui avaient vécu la même chose", a-t-il raconté à Eurosport, expliquant avoir trouvé l'écoute dont il avait besoin lorsqu'il s'est ouvert au sujet de ses difficultés à son team manager.

La question des troubles psychologiques et du bien-être mental est de plus en plus prise véritablement au sérieux et non plus limitée à la caricature d'une supposée faiblesse mentale imputable aux femmes, mais cela reste encore complexe en sports mécaniques d'assumer un éventuel mal-être. "On est dans un environnement bourré de testostérone et un sport à domination masculine, et avoir un team manager qui peut comprendre cela m'a vraiment aidé à changer", souligne Irwin.

Accepter cette souffrance aura été pour Glenn Irwin la première étape essentielle pour trouver l'encadrement psychologique dont il avait besoin et se reconstruire. Sans être tombé aussi bas, Fabio Quartararo avait eu des mots très forts pour qualifier sa déception lors de son premier départ manqué en MotoGP, une course qui, dit-il, l'a "mis KO". Il a vite compris cependant qu'il devait dépasser cela, et qu'être athlète de haut niveau ne voulait pas seulement dire être affûté physiquement. "Les muscles sont indispensables pour gouverner un bolide qui fait plus de deux fois mon poids, mais la vraie force est dans le mental", soulignait-il à 20 ans seulement, aussi extrême dans certaines de ses réactions passées que mature lorsqu'il s'est agi de les analyser.

Sujet tabou autrefois, quelques pilotes comme Quartararo évoquent désormais sans difficulté faire appel à titre personnel à des psychologues, mais peut-être l'avenir devra-t-il être celui d'un encadrement plus institutionnalisé ? Au même titre que le CIO s'engage à son niveau pour la préservation du bien-être mental des athlètes, les équipes elles-mêmes ou les championnats proposeront-ils demain à tous les pilotes un accompagnement et un soutien mental plus officiel que toute aide déjà précieuse apportée par d'anciens pilotes devenus encadrants ? Le cas très récent de Maverick Viñales, qui a expliqué avoir ressenti "une explosion" en lui sous le coup de la frustration et ne pas avoir su la gérer, tend à prouver une nouvelle fois que les pilotes sont encore trop souvent livrés à eux-mêmes pour tenter de composer avec leurs difficultés.

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