Analyse

Honda prêt à tous les changements pour retrouver son niveau

L'apparition d'un bras oscillant fabriqué par Kalex sur la Honda de Marc Márquez, la semaine dernière lors des essais privés de Misano puis vendredi dans le cadre du Grand Prix d'Aragón, n'est pas qu'un détail. Il s'agit bel et bien d'un changement de philosophie pour une marque qui a clairement compris qu'elle devait tout tenter pour sortir du marasme actuel.

Marc Marquez, Repsol Honda Team

Pour la deuxième fois en trois ans, Honda pourrait bien n'accrocher aucune victoire à son palmarès si la tendance actuelle devait se poursuivre jusqu'au tomber de rideau du championnat, à Valence dans un mois et demi. L'enlisement des performances depuis 2020 fait de cette période la pire qu'ait connue le HRC depuis le lancement de son programme actuel, en 1982.

Diminué par des blessures et souvent absent depuis juillet 2020, Marc Márquez n'a pas pu masquer ces troubles, ses absences ayant montré à quel point il fait la différence par son pilotage. Même en n'étant pas au meilleur de sa forme, il est encore parvenu à compenser en partie les problèmes de la moto, à tel point qu'il est le seul à avoir pu gagner avec la marque l'an dernier − et plus globalement depuis début 2018 − et figure encore au premier rang des pilotes Honda au classement alors qu'il n'a pas couru depuis plus de trois mois.

Mais le #93 a été très clair : les choses doivent changer. Ce n'est pas faute d'essayer, car Honda a bel et bien tenté de transformer le "concept" de la RC213V cette année en orientant la machine vers l'arrière, contre son caractère habituel, dans le but de résoudre un souci d'adhérence. Un constat d'échec s'est vite imposé, malgré un début de championnat très prometteur, notamment pour Pol Espargaró qui appelait de ses vœux ce type de mutation afin que la moto réponde mieux à son style de pilotage. Après s'être battu pour la victoire au Qatar, le Catalan a vu ses performances s'effondrer à nouveau. Marc Márquez quant à lui, n'a plus été en mesure de faire parler son plus gros point fort, lui qui est habitué à tellement faire appel à l'avant de la moto pour aller chercher la performance.

"La première course au Qatar s'est bien passée avec Pol. Mais ensuite… Cela se voit dans les résultats, ça a commencé à décliner", concède Takeo Yokoyama, directeur technique du HRC. "Nous avions lancé un nouveau projet, nous avons fait un changement radical sur la moto entre 2021 et 2022. Au début nous étions confiants d'aller dans la bonne direction mais désormais nous le sommes évidemment moins."

"Il y a plusieurs raisons à cela", poursuit-il. "Nous sommes encore en train de mener des analyses et des investigations pour revenir là où nous voulons être. Au test de Misano, nous avons essayé quelque chose de très intéressant, surtout avec Pol Espargaró qui a fait un très bon début de saison et qui n'a [ensuite] pas obtenu de bons résultats, y compris pendant le week-end de course de Misano. Donc pendant le test, nous avons décidé de faire quelque chose de très intéressant, afin de réaliser des comparaisons et [de comprendre] ce qui avait changé. Nous pensons avoir trouvé quelque chose, donc j'espère que nous sommes maintenant sur la bonne voie pour revenir là où nous souhaitons être."

Ce travail mené sur la moto d'Espargaró pourrait porter ses fruits rapidement à en croire l'ingénieur, prêt à remettre en question certaines des évolutions menées pendant cette saison : "Nous avons fait des comparaisons [...] entre ce qu'était la moto au début et ce qu'elle est aujourd'hui. Et c'était très intéressant. Sur certains points il est peut-être préférable de revenir à l'ancienne [version] et sur d'autres, il faut clairement que nous restions à celle d'aujourd'hui. Alors, oui, les motos sont différentes. En tout cas elles l'étaient, et cette semaine nous allons retrouver des choses de la moto que nous avions auparavant."

"Il est maintenant temps de mener des études et de décider quoi faire pour la moto de l'année prochaine. Nous avons découvert que certaines choses se passent comme on s'y attendait et d'autres non, alors nous devons établir une sorte de combinaison pour l'année prochaine. Cela ne va donc pas rester complètement comme maintenant mais nous n'allons pas non plus revenir au concept précédent."

Marc Marquez, Repsol Honda Team

Marc Márquez a utilisé le bras oscillant Kalex pendant les EL2 du GP d'Aragón

Dans le stand de Pol Espargaró, la semaine dernière, l'attention se portait exclusivement sur les réglages et la manière de tirer la quintessence de la version actuelle de la machine, puisque le pilote espagnol n'était pas autorisé à tester de nouvelles pièces pour des raisons de confidentialité. De l'autre côté du garage, par contre, Honda a montré à Marc Márquez qu'il avait été entendu lorsqu'il en appelait à de gros changements récemment, allant jusqu'à pousser son constructeur à sortir de son cadre habituel.

Un bras oscillant allemand et en aluminium : une révolution

Honda a en effet évalué un bras oscillant conçu non pas en interne, mais par une autre entreprise, en l'occurrence Kalex, de quoi donner un grand coup de pied dans ses habitudes. La marque choisie n'est pas n'importe laquelle, c'est celle qui domine le Moto2 avec un châssis qui équipe pas moins de 24 pilotes, tous utilisant aussi le bras oscillant sorti des ateliers allemands.

"Pour nous, peu importe ce qui est interne ou externe", assure Takeo Yokoyama, qui se fait écho d'un changement radical pour le HRC qu'Alberto Puig avait annoncé pendant l'été. "Nous sommes dans une position où nous devons tout faire pour progresser et revenir aux [premières] positions. Alors nous devons faire tout ce que nous pouvons, peu importe quoi. Essayer le bras oscillant Kalex faisait partie de ces choses que nous devions faire, et nous l'avons fait. Nous allons continuer à faire tout ce qui est nécessaire."

Le changement est d'autant plus radical que ce bras oscillant est fabriqué en aluminium, alors que la plupart des marques MotoGP ont pour habitude de travailler depuis plusieurs années avec des pièces en carbone. Cela a généré "des sensations nouvelles" selon Takaaki Nakagami, lui aussi destiné à rester chez Honda en 2023 et qui a donc participé à cette évaluation la semaine dernière.

"Ça fait longtemps qu'on est focalisés sur le bras oscillant en carbone mais celui de Kalex est en aluminium et je m'interrogeais un peu sur ses performances", admet le pilote japonais. "Après l'avoir testé pendant quelques tours, je me suis dit que c'était intéressant. Ça n'était pas du tout négatif et je me suis senti assez bien. C'était très positif, honnêtement. J'ai expliqué les sensations pures que j'ai eues sur la moto et j'ai transmis mes commentaires au HRC et aux ingénieurs Kalex."

Takaaki Nakagami, Team LCR Honda

Takaaki Nakagami a participé au test des nouveautés à Misano

La marque japonaise semble donc encline à s'ouvrir à une technologie européenne et à des influences extérieures, ce qui n'est pas sans rappeler l'arrivée de Luca Marmorini chez Yamaha ; l'ancien ingénieur moteur en Formule 1 est désormais consultant pour aider à développer le moteur 2023 de la M1, une collaboration dont le chef de projet de Yamaha dit rechercher "l'effet sociologique". Cela a beau n'être qu'un petit pas hors du cadre habituel, les constructeurs japonais semblent avoir compris qu'ils ne pouvaient plus rester figés dans leurs méthodes et devaient à présent prendre des risques pour rivaliser avec la prise de pouvoir des marques européennes.

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C'est ce que laisse clairement transparaître Takeo Yokoyama en décrivant un partenariat noué semble-t-il de façon très simple : "La position dans laquelle nous nous trouvons est que, parmi les six constructeurs, nous sommes actuellement derniers, alors nous devons grimper [au classement] aussi vite que possible. Nous essayons simplement de faire tout ce que nous pouvons. Nous avons rencontré des personnes de Kalex, nous avons discuté et nous avons compris qu'ils pouvaient faire quelque chose vraiment vite. Vous savez très bien que le niveau de technologie est très élevé, alors nous avons décidé de collaborer − 'allons-y, essayons !' − et nous l'avons fait."

Une fin de saison sous forme de test grandeur nature

Étant donné le resserrement qui s'est opéré en MotoGP, chacun peut très facilement rétrograder dans la hiérarchie d'un week-end à l'autre. Sous-traiter la fabrication du bras oscillant à Kalex n'apporte pas seulement une perspective nouvelle pour Honda et l'expertise technique d'une marque réputée ; cela permet aussi de réaffecter à d'autres domaines les ressources libérées par ce travail au Japon.

Et Takeo Yokoyama l'assure : "Ça n'est pas la fin de l'histoire, nous faisons tout ce que nous pouvons". L'ingénieur promet même que les six Grands Prix restants cette saison vont servir de fondation pour tenter de prendre la bonne orientation dans le développement de la moto de 2023. "La dernière partie de la saison sera notre période de test afin d'être mieux préparés pour la saison prochaine", résume-t-il.

Les changements ne s'arrêteront pas à cette pièce si symbolique. "Dans une équipe de course comme la nôtre, qui a tellement d'années d'histoire, quand quelque chose ne fonctionne pas je pense qu'il faut regarder à 360° autour de soi, tout regarder et pas seulement la moto", estime le directeur technique. "[Nous devons nous pencher sur] la façon dont nous travaillons : les opérations course, la stratégie de course, la structure. Nous devons regarder l'ensemble et recontrôler ce que nous faisons à tous les niveaux, alors le travail dans le stand fait partie des choses que nous devons aussi changer."

"En fait, il n'y a rien que nous n'avons pas besoin de changer, nous allons donc changer un peu de tout. Vous verrez dans la dernière partie de la saison et aussi l'année prochaine que des choses vont changer."

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