Analyse

Comment KTM a pris le contrôle des jeunes talents au détriment de Honda

Il fut un temps où Honda était la destination toute tracée des jeunes talents de la moto mais deux de ses rivaux, KTM et, dans une moindre mesure, Ducati, ont pris le contrôle de ce marché. Cette évolution aura-t-elle des conséquences sur l'avenir du MotoGP ?

Raul Fernandez, Red Bull KTM Ajo

Raul Fernandez, Red Bull KTM Ajo

Gold and Goose / Motorsport Images

Freddie Spencer, Wayne Gardner, Eddie Lawson, Mick Doohan, Álex Crivillé, Valentino Rossi, Nicky Hayden, Casey Stoner et Marc Márquez. Voici quelques-uns des principaux noms qui ont écrit les 40 dernières années de l'Histoire de la compétition sur deux roues, et ils ont tous au moins deux choses en commun : ils sont devenus Champion du monde et ils l'ont fait avec une Honda.

Pendant plus de trois décennies, les meilleurs pilotes de la planète ont, à un moment de leur carrière, roulé pour la marque japonaise, et ils l'ont surtout fait pour trois raisons.

D'abord, parce que l'équipe officielle était considérée comme la meilleure, celle pour laquelle tout le monde voulait rouler. Ensuite, parce que Honda avait réussi à tisser sa toile et à enrôler les jeunes talents quand ils émergeaient, mettant en place une relation qui les voyait piloter ses machines s'ils confirmaient leur potentiel. C'est ce qu'il s'est passé pour Stoner, Dani Pedrosa, Marco Simoncelli et Márquez. Et enfin, troisième raison : Honda paie très bien ses pilotes.

Cette domination du marché des jeunes talents semble avoir changé de mains récemment, au profit de KTM, qui s'appuie sur son championnat destiné à faire émerger les pilotes, la Red Bull Rookies Cup, et sur son partenariat avec l'équipe d'Aki Ajo en Moto2 et en Moto3. La marque autrichienne s'est assurée les services de la majeure partie des stars en devenir.

Les exemples les plus marquants, loin d'être isolés, sont Raúl Fernández en Moto2 et Pedro Acosta en Moto3. Âgé de 20 ans, Fernández rejoindra le MotoGP en 2022 avec Tech3, ce qui signifie qu'il aura roulé dans chacune des trois catégories du Championnat du monde en autant d'années. Acosta, qui n'a que 17 ans, mène le Moto3 et a signé un contrat qui le verra disputer deux saisons en Moto2, avant des débuts dans la catégorie reine programmés pour 2024.

Si cette promotion se confirme, Acosta aura gravi tous les échelons sur des motos oranges, de la Rookies Cup au MotoGP. Une carrière sportive totalement contrôlée par KTM depuis ses 16 ans.

Pedro Acosta, Red Bull KTM Ajo

Acosta et Fernández ne sont que la partie émergée de l'iceberg dans la domination actuelle de KTM sur le marché des jeunes pilotes, la marque ayant également sous contrat Miguel Oliveira, Brad Binder et Remy Gardner, le leader du Moto2. Mais le constructeur de Mattighofen n'a pas tout à fait la même méthode que Honda par le passé.

Avant de s'engager avec KTM et Tech3 en MotoGP, et par la même occasion prolonger ses liens avec la marque, Fernández n'a pas caché son souhait de rejoindre Yamaha via son équipe satellite. KTM, à qui il était lié pour 2022, ayant mis son veto, il a changé d'approche et fait part de sa volonté de rester en Moto2 la saison prochaine. Nouveau refus de KTM, qui l'a contraint à rejoindre son équipe satellite en MotoGP.

Des discussions similaires ont concerné Gardner, dont l'agent a discuté avec différentes équipes pour son arrivée en MotoGP en 2022. Mais pendant le week-end du Grand Prix d'Italie, Gardner a reçu une proposition de contrat inattendue pour rouler chez Tech3, une offre à saisir immédiatement, au risque qu'elle ne se présente plus jamais. Gardner a signé.

Je pense que si l'on regarde l'Histoire de Honda, nous avons toujours eu les meilleurs pilotes. Mais pour qu'un pilote signe, il faut qu'il veuille venir. Honda a eu les meilleurs pilotes pendant de nombreuses années, pas sans raisons. Il y a beaucoup de raisons.

Alberto Puig, team manager de l'équipe Repsol Honda

Selon les informations de Motorsport.com, cette politique de contrats remplis de clauses a été renforcée quand Pol Espargaró et Jorge Martín se sont "échappés", chez Honda et Ducati respectivement, pour la saison 2021. La signature de Martín avec Ducati a été permise par la pandémie de COVID-19, sa prolongation chez KTM étant liée à une clause de résultats au mois de juin 2020... date à laquelle la saison n'avait pas encore débuté.

KTM a mal vécu ces départs et cherche maintenant à se protéger. "Nous avons créé un lien avec ces gars", souligne Pit Beirer, patron de KTM Motorsport, évoquant Fernández et Gardner. "En interne, nous parlons d'une 'Académie MotoGP'. Nous l'avons lancée en rallye-raid et étendue à la piste. Ce n'est pas agréable quand vous voyez la concurrence convoiter vos jeunes. Ce qu'ils font en Moto2 est vraiment incroyable. Nous sommes légèrement meilleurs que tout le monde. C'est le fruit du travail fait avec les gamins et nous en sommes très fiers."

Ce n'est pas pour l'argent qu'Espargaró à rejoint Honda, marque pour laquelle il a toujours rêvé de rouler, ou que Martín a signé chez Ducati, qui l'a placé chez Pramac. La marque italienne a aussi mis en place une nouvelle politique, profitant de l'avantage d'avoir six machines sur la grille, et même huit à partir de la saison prochaine.

Détenir le tiers des places sur la grille a deux avantages directs. Premièrement, Ducati aura potentiellement plus de données pour le développement de sa machine. De l'autre côté, c'est un moyen d'attirer les pilotes qui veulent atteindre le MotoGP pour piloter une Desmosedici, la machine la plus polyvalente du moment.

Pecco Bagnaia et Jack Miller apparaissent comme les principaux arguments de vente : ils ont tous les deux remporté plusieurs courses pour l'équipe d'usine après avoir fait leurs armes chez Pramac. Ducati peut également mettre en avant la victoire de Martín au Grand Prix de Styrie dès sa première saison ou la spectaculaire remontée d'Enea Bastianini jusqu'au podium au Grand Prix de Saint-Marin.

La marque de Borgo Panigale a renoncé à une politique qui consistait à proposer des millions d'euros à des pilotes ayant fait leurs preuves, comme Valentino Rossi, arrivé dans l'équipe en 2011, ou Jorge Lorenzo, enrôlé à partir de la saison 2017, préférant se concentrer sur sa moto que sur les stars.

Le contrôle du marché des jeunes pilotes a pris une telle importance que même Yamaha, l'une des marques à la stratégie la plus conventionnelle, a réagi à la tendance émergente en se lançant dans un projet en Moto2 avec le Master Camp, au côté de VR46. La firme japonaise a conscience que le marché des pilotes libres se referme et qu'il devient nécessaire de "chasser" des espoirs avant qu'il ne soit trop tard.

Où se situe Honda sur ce nouvel échiquier ? Depuis l'année 2013 et le passage du Moto2 au MotoGP de Marc Márquez, la marque s'est détournée des jeunes pilotes, même si Joan Mir a été lié à elle avant son arrivée en MotoGP. Peut-être qu'avoir l'un des meilleurs pilotes de l'Histoire dans ses rangs a poussé Honda à négliger ce marché ? "Non, pas vraiment", répond Alberto Puig, team manager de l'équipe officielle, à Motorsport.com. "Je pense que si l'on regarde l'Histoire de Honda, nous avons toujours eu les meilleurs pilotes. Mais pour qu'un pilote signe, il faut qu'il veuille venir."

Jorge Martin, Pramac Racing, Enea Bastianini, Esponsorama Racing

"Honda a eu les meilleurs pilotes pendant de nombreuses années, pas sans raisons. Il y a beaucoup de raisons. Pour le moment nous avons le meilleur pilote. Concernant la jeune génération que vous mentionnez, il reste à voir jusqu'où chaque pilote pourra se hisser. Actuellement, c'est très à la mode d'encenser un jeune pilote. Honda ne l'a jamais fait, nous n'avons jamais signé des pilotes à un très jeune âge."

Honda a pourtant géré des championnats destinés aux espoirs, comme la Movistar Cup qui a permis à Pedrosa d'émerger, ou l'Asia Talent Cup plus récemment.

Le vivier mis en place par KTM est très bon. Ils roulent déjà pour l'équipe d'usine et il y a eu des progrès ces dernières années. Maintenant, il reste à voir jusqu'où ça ira.

Alberto Puig

"Si un pilote est bon et progresse, il décide où il veut aller", ajoute Puig. "Maintenant, c'est vrai que la politique de KTM porte ses fruits. Ils ont un championnat pour les détecter et beaucoup de bons pilotes en sortent. Ils les prennent et les placent dans leurs équipes."

"Mais il ne faut pas se précipiter, il faut voir qui gagne et dans quelle mesure. Ducati a une moto que tout le monde juge fantastique, mais leur dernier titre [des pilotes] a été remporté il y a pas mal de temps par Stoner [en 2007]."

"Le vivier mis en place par KTM est très bon. Ils roulent déjà pour l'équipe d'usine et il y a eu des progrès ces dernières années. Maintenant, il reste à voir jusqu'où ça ira. Recruter les meilleurs pilotes ne garantit pas la victoire."

KTM, et dans une moindre mesure Ducati, ont-ils totalement privé Honda du contrôle des jeunes talents ? Il semble que oui, mais il reste à voir si cette domination se traduira en titres mondiaux.

Brad Binder, Red Bull KTM Factory Racing

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