Opinion

Quelles mesures prendre en moto pour éviter de futures tragédies ?

La compétition moto a été frappée le week-end dernier par la mort de Dean Berta Viñales, 15 ans, tué dans un accident ayant impliqué plusieurs pilotes pendant la course WorldSSP300 de Jerez. Troisième adolescent à perdre la vie cette année dans une des petites catégories de championnats à la portée mondiale, il a suscité de multiples appels pour que des changements soient mis en place immédiatement afin d'améliorer la sécurité et de stopper cette série de tragédies.

Dean Berta Vinales, Isaac Vinales, Orelac Racing Verdnatura, Maverick Vinales

Dean Berta Vinales, Isaac Vinales, Orelac Racing Verdnatura, Maverick Vinales

Gold and Goose / Motorsport Images

À la mort de Dean Berta Viñales, samedi dernier, l'observation habituelle selon laquelle il serait "mort en faisant ce qu'il aimait" a de nouveau circulé. Bien sûr, les pilotes vivent de leur passion et trouvent un plaisir certain dans la compétition. Et, bien sûr, la mort est un risque inéluctable dans les sports mécaniques, un spectre qui, heureusement, s'est estompé avec le temps grâce aux progrès accomplis en matière de sécurité, mais qui reste omniprésent quoi qu'il arrive. Mais ce poncif semble toutefois perdre de sa pertinence un peu plus à chaque drame.

L'accident qui a coûté la vie au jeune cousin de Maverick Viñales fait suite à d'autres drames comparables, et encore très frais dans la mémoire collective. Au mois de juillet, c'est le pilote espagnol Hugo Millan, 14 ans seulement, qui a été tué dans un accident survenu en European Talent Cup, l'une des catégories du Championnat du monde junior CEV organisé par Dorna Sports, également promoteur du MotoGP et du WorldSBK. Fin mai, c'est dans la catégorie Moto3 des Grands Prix mondiaux que Jason Dupasquier, 19 ans, a perdu la vie à la suite d'un terrible accident lors des qualifications du Mugello.

Ces trois drames, survenus en quatre mois à peine, sont venus s'ajouter à d'autres accidents tout aussi tragiques qui ont récemment endeuillé la communauté moto. En 2019, Afridza Munandar, âgé de 20 ans, s'est tué pendant une course de l'Asia Talent Cup, série de soutien qui courait à Sepang en même temps que le MotoGP. L'année précédente, c'est à nouveau en CEV, dans la catégorie Moto3, qu'Andreas Perez, 14 ans, a perdu la vie.

Cette accumulation d'accidents mortel semble peu à peu modifier la perception que l'on peut avoir des risques encourus et atténuer la pertinence de ces conclusions fatalistes selon lesquelles les victimes seraient mortes en faisant ce qu'elles aimaient. Ce discours a notamment commencé à changer après l'accident d'Hugo Millan cet été et les appels à une réaction des instances se font de plus en plus pressants après le dernier drame en date.

Bike of Dean Berta Vinales, Vinales Racing Team

L'hommage à Dean Berta Vinales

Si personne ne nie le danger inhérent aux sports mécaniques, personne ne peut non plus s'y résigner et d'autant moins lorsque les victimes sont tout bonnement des enfants. C'est la limite de l'acceptable. Après l'accident de Dean Berta Viñales, l'existence même de compétitions juniors au niveau international est remise en question. Le pilote espagnol avait 15 ans, l'âge minimum requis par le règlement pour participer au WorldSSP300, une catégorie intégrée au championnat du monde des dérivées de la série. Dans le championnat junior qui se court dans le cadre du CEV, l'âge minimum n'est que de 14 ans, tandis qu'en Championnat du monde de Moto3, c'est 16 ans, avec une dérogation autorisée à partir de 15 ans pour les pilotes qui ont remporté la série junior ou la Red Bull Rookies Cup.

Outre le jeune âge des pilotes, le WorldSSP300 frappe par son plateau très fourni. Au guidon de machines basées sur des A2 et qui dépassent les 215 km/h sur certaines pistes, ils sont jusqu'à 44 à être engagés chaque week-end, constituant des grilles de départs de 15 lignes.

"Pour moi, cette catégorie est la plus dangereuse qui ait existé. Je ne l'aime pas, je ne la regarde pas. J'ai peur quand je la regarde", a déclaré Loris Baz au sujet du WorldSS300. "Ces motos sont trop lourdes et [n'ont] pas assez de puissance, on ne peut donc pas faire la différence. Je pense qu'il est moins dangereux de piloter une 600cc [une moto de Supersport, ndlr] à 13 ans que de piloter une 300cc à 30 ans. Si on ne peut pas faire la différence dans le pilotage, alors il y a un gros groupe et il faut se battre."

Lui-même titré dans l'ancien Championnat d'Europe Superstock 600 à 15 ans, Loris Baz soulève ici un point important concernant les limites des 300cc, et c'est une réflexion qui peut également s'étendre au Moto3. Régulièrement, ces courses mettent en scène des groupes très fournis au sein desquels les batailles font rage, et il n'est pas rare de voir même une vingtaine de motos en lutte dans le groupe de tête. La quête d'aspiration est alors un point essentiel de ces courses, les pilotes cherchant à y trouver le surplus de vitesse qui pourra faire la différence, en raison du manque de puissance et d'une réglementation assez rigide qui fait que ces machines offrent un plateau plutôt homogène.

"Le problème, c'est que l'on a de plus en plus d'accidents mortels alors qu'il y a de plus en plus de sécurité", note Scott Redding, passés par les Grands Prix et aujourd'hui pilote pour Ducati en WorldSBK. "Il faudrait donc se demander ce qui est différent par rapport à il y a dix ou 15 ans. Et je vais vous dire ce qui est différent : la compétition est extrêmement serrée. Tout est si nivelé que ça n'autorise aucune pause."

"Parfois, ça n'est pas bon en Superbike, puis dans toutes les catégories où ils changent les régimes moteur, ça fait de super courses. Mais quand vous avez des jeunes de 15 ans, à 40 sur la même moto et à une seconde les uns des autres, tout peut arriver absolument à n'importe quel moment."

Romano Fenati, Max Racing Team race start

Scott Redding connaît bien les dangers de course en paquet, lui qui en 2010, alors âgé de 17 ans, a été impliqué dans l'accident de Moto2 qui a coûté la vie à Shoya Tomizawa, un drame dont il dit pudiquement aujourd'hui encore qu'il "cicatrise" après l'avoir profondément marqué. Cet accident dont il a été l'acteur malheureux, a eu cette dynamique que chacun craint en course moto, car lorsqu'un pilote chute devant un autre et ne peut être évité, tous les équipements de sécurité possibles ne peuvent rien contre la fatalité. Ce fut malheureusement le cas de tous les accidents tragiques récents, comme de celui de Shoya Tomizawa ou encore Marco Simoncelli (en 2011, catégorie MotoGP) ou de Craig Jones (en WorldSSP en 2009). Mais c'est surtout un problème presque endémique dans les petites catégories qui réunissent de grands groupes de pilotes, dans l'impossibilité de réagir à temps pour éviter un concurrent à terre lorsqu'ils ont été aveuglés par un paquet de motos ou par la machine dans le sillage de laquelle ils se trouvaient. La nature même de ces catégories où la recherche de l'aspiration est quasiment une obligation ne fait donc qu'accentuer ce problème.

Les instances sont bien au fait du problème, mais leurs tentatives pour y répondre semblent pour le moment bien peu de chose face à l'ampleur de la question. Ainsi, en Moto3, la direction de la course a pris des mesures sévères à l'encontre des pilotes se trouvant au ralenti en piste, à la recherche d'une roue dans laquelle se caler, mais cela n'empêche toujours pas ces stratégies. La pression des qualifications est majeure dans la plus petite catégorie des Grands Prix, augmentée par le peu de temps à disposition pour établir un chrono. C'est dans ce contexte notamment qu'a eu lieu l'accident de Jason Dupasquier, parti à la faute alors qu'il poussait en fin de qualifications avec un groupe d'autres pilotes.

Beaucoup soutiennent que les catégories juniors devraient être dotées de motos plus puissantes, afin que le talent de chacun dans le pilotage prévale dans les performances. Qu'il s'agisse de leur puissance ou de la différence de niveau entre une machine et l'autre, il est bien rare d'observer des groupes de plus de dix pilotes en lutte en WorldSSP ou en Moto2, ou même en WorldSBK ou MotoGP. Si l'on s'en tient aux cas les plus récents qui se sont succédé en si peu de temps, il faut reconnaître que les accidents mortels ont concerné les petites catégories. Bien que le niveau de compétition se soit considérablement renforcé ces dernières années dans les catégories reines, les accidents gravissimes y sont, heureusement, très rares.

Un autre problème se profile toutefois et pourrait à terme concerner les catégories principales au gré de l'arrivée de jeunes pilotes. Il s'agit de l'agressivité en hausse dans les confrontations en piste que Valentino Rossi lui-même a plusieurs fois évoquée ces dernières années, estimant que la nature de la compétition en Moto3 conduit à des courses beaucoup plus agressives, et donc dangereuses. Qu'en sera-t-il lorsque ces pilotes atteindront le MotoGP ou le WorldSBK s'ils ne sont pas cadrés assez tôt ?

Darryn Binder, Petronas Sprinta Racing

Beaucoup en appellent aujourd'hui à des sanctions bien plus sévères que celles qui sont actuellement appliquées pour dissuader les pilotes de mal se comporter. D'autres encore tendent peut-être à mélanger des sujets incomparables, tel Michel Fabrizio qui à la suite de l'accident de Dean Berta Viñales a publié une diatribe sur ses réseaux sociaux pour annoncer son retrait de la compétition et qui a, au passage, injustement attribué une part de responsabilité à Marc Márquez pour son agressivité dans les bagarres.

Quoi qu'il en soit, outre les différents aspects liés à l'attitude des pilotes en piste, il reste la question de la taille des grilles dans les catégories juniors et, là aussi, les appels se multiplient pour que les conditions d'accès à ces championnats soient beaucoup plus strictes afin de limiter les plateaux.

Interrogé par Motorsport.com, Dorna Sports a refusé de commenter les débats de ces derniers jours, cependant un groupe de travail a été mis en place au sein de l'organisation ces dernières semaines, afin de discuter de toutes les options pouvant améliorer la sécurité dans l'ensemble des championnats gérés par la compagnie espagnole. Parmi ces discussions, il sera très probablement débattu de l'idée d'augmenter l'âge minimum des pilotes.

C'est un fait de nos jours dans les sports mécaniques, les concurrents sont de plus en plus jeunes et entament leur carrière internationale beaucoup plus tôt que dans les décennies précédentes. Scott Redding estime que les accidents mortels de ces dernières semaines n'ont "rien à voir avec l'âge", et peut-être a-t-il raison. Mais ces adolescents n'avaient clairement pas l'âge pour perdre la vie. Le fait que deux jeunes garçons de moins de 16 ans soient décédés en course cette année a eu un effet très négatif sur l'opinion publique. Au Royaume-Uni comme en France, l'âge minimum légal pour être indépendant est 18 ans. Quant à la conduite, elle n'est autorisée qu'à partir de 17 ans avec un permis, et limitée à des véhicules de faible puissance entre 14 et 17 ans. Les restrictions légales servent à tenter de protéger les jeunes avant l'âge adulte, alors pourquoi devrait-il en être différemment en compétition ?

L'arrivée de pilotes de plus en plus jeunes semble faire penser que le talent va de pair avec l'âge. C'était déjà le cas lorsque le règlement avait été modifié pour permettre l'inscription de Fabio Quartararo en Championnat du monde dès 15 ans, lui qui avait été repéré en CEV et qualifié de nouveau Marc Márquez. C'est toujours le cas cette année, où l'arrivée de Pedro Acosta, 16 ans, a époustouflé les observateurs. Déjà sous contrat jusqu'en 2024 avec KTM, ses débuts dans la catégorie reine sont prévus pour ses 20 ans. Seulement, ce n'est pas son âge qui fait le talent d'Acosta. Et le passé ne manque pas d'exemples de grands pilotes qui ont accédé au plus haut niveau bien plus tard, à l'image de Mick Doohan qui n'a fait ses débuts en Grand Prix qu'à 24 ans mais qui a remporté cinq titres de suite en 500cc avant la fin prématurée de sa carrière à la suite d'un accident.

Les accidents auxquels nous avons récemment assisté ne pourront probablement être évités qu'au prix d'une modification fondamentale de la nature des séries juniors, qu'il s'agisse du profil des motos ou de la réduction nécessaire des plateaux. Mais ce ne serait pas une mauvaise chose de mettre en place une protection supplémentaire en limitant quelque peu l'âge d'accession à ces championnats.

Dean Berta Vinales

Dean Berta Vinales

Scott Redding a également soulevé un autre point pertinent en évoquant une réaction classique dans les cas d'accidents graves ou mortels. "C'est dur pour le sport et les gens disent 'Ah, mais vous savez ce qui peut vous arriver'. Ce sont des conneries ! On ne pense pas à ça. Si à chaque fois qu'on prend la piste on pensait au fait qu'on risque de mourir, on ne sortirait pas", a-t-il souligné.

Cette vision de la mort en sports mécaniques est alimentée par la façon très masculine de considérer les pilotes comme des "gladiateurs". On a pu entendre ces arguments pour s'opposer à l'introduction du Halo en course automobile, alors que ce dispositif a depuis sauvé la vie de plusieurs pilotes. Les sports mécaniques sont dangereux, cela contribue à les rendre uniques, mais il n'en reste pas moins qu'il ne s'agit pas d'un sacrifice et que les pilotes sont des êtres humains. Aucun d'eux ne veut mourir et cela n'a aucun sens de supposer qu'un accident tragique ne serait qu'une fatalité.

Face à des sujets pour le moins délicats, les instances tentent en tout cas de gérer les choses avec délicatesse, même si le WorldSBK s'est attiré des critiques dimanche en maintenant un programme de courses au lendemain de la mort de Dean Berta Viñales. La famille du jeune Espagnol avait donné sa bénédiction pour cela, et les pilotes de chaque catégorie ont eu des réunions en privé avec le patron du championnat, l'ancien pilote Gregorio Lavilla, pour échanger sur le sujet. Les responsables du règlement sont censés prendre en compte les événements pour, au fil du temps, retoucher les règlements élaborés chaque année. Et il faut reconnaître à la Dorna son approche proactive pour faire face à cette situation tragique et l'on peut également se réjouir que des discussions soient en cours afin d'étudier comment mieux protéger la santé mentale des pilotes.

Après cette malheureuse succession de drames, il est plus que jamais clair que les choses ne pourront pas continuer ainsi, car rien ne justifie qu'aucune mesure ne soit prise pour éviter de tels malheurs. Aujourd'hui, les bases du progrès commencent véritablement à être posées...

Dean Berta Vinales, Vinales Racing Team

L'hommage à Dean Berta Vinales

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