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L'homme qui a refusé le guidon KTM d'usine pour gagner avec Tech3

Après une première victoire en MotoGP signée Brad Binder en tant que rookie dès sa troisième course avec une moto qui aurait pu être celle de Miguel Oliveira, la décision du Portugais de rester avec l'équipe Tech3 en 2020 pouvait alors sembler bien mauvaise. Mais la victoire de ce dernier, deux manches plus tard, sur le Grand Prix de Styrie, a au contraire donné de l'épaisseur à son choix.

Miguel Oliveira, Red Bull KTM Tech 3

Photo de: Gold and Goose / Motorsport Images

Le Grand Prix de Styrie, seconde manche consécutive courue sur le Red Bull Ring cette saison, représentait la 900e course organisée dans la catégorie reine. À cette occasion, Miguel Oliveira est devenu un vainqueur en MotoGP, portant avec fierté non seulement les couleurs de KTM, mais aussi celles d'une équipe devenue l'un des piliers du monde de la compétition deux-roues au cours des trente dernières années.  

Fondée en 1990, l'équipe française a débuté en 250cc et a mené Olivier Jacque jusqu'à la couronne en 2000. C'est la saison suivante que le team se lançait dans le grand bain de la catégorie reine avec le soutien de Yamaha, avec qui il est resté jusqu'au terme de l'exercice 2018. Durant cette période, 30 podiums sont venus récompenser les efforts de la structure menée par Hervé Poncharal avec des pilotes comme Cal Crutchlow, Johann Zarco, Andrea Dovizioso ou encore Ben Spies

L'alléchante proposition de KTM de faire de Tech3 une réelle structure satellite disposant d'un soutien d'usine à compter de 2019, alors que le constructeur autrichien recherchait une accélération de son programme de développement et de son influence dans le paddock avec quatre motos en piste, ont tout d'abord fait s'éloigner les espoirs de podiums. Après 20 ans de collaboration avec Yamaha, KTM demeurait un projet naissant, rencontrant de grandes difficultés à aligner des résultats sportifs probants en course. Avec une unique arrivée dans le top 10 à se mettre sous la dent, Tech3 chutait ainsi de la sixième à la dixième position au championnat par équipe, ne devançant qu'une écurie Avintia moribonde. Il y eut, néanmoins, des éclairs de potentiel affichés par l'un des jeunes protégés de KTM en la personne d'Oliveira.  

Celui dont l'association avec la marque autrichienne remonte au temps de la Red Bull Rookies Cup était passé à côté de la couronne Moto3 en 2015 pour tout juste six points, alors qu'il avait accusé un retard à six manches de la fin de saison de tout de même 110 unités sur Danny Kent, qui fut finalement couronné champion. Une superbe fin de saison d'Oliveira l'avait alors vu systématiquement gagner (quatre fois) ou terminer second en course. Après être monté en Moto2 sur une Kalex du Leopard Racing en 2016, Oliveira a remporté les premières courses Moto2 de KTM pour leur première saison dans la catégorie l'année suivante, passant près du titre 2018, concédé à Francesco Bagnaia pour neuf points.

Miguel Oliveira, Red Bull KTM Ajo

C'est ainsi qu'il devint le premier pilote KTM à parcourir de bout en bout l'échelle de promotion depuis la Rookies Cup, en étant intégré dans la structure Tech3 l'an dernier. Deux faits marquants radicalement opposés alimentèrent alors sa saison : un meilleur résultat personnel (8e), sur le Grand Prix d'Autriche, mais aussi une collision en Grande-Bretagne avec Johann Zarco (alors sur la voie de sortie du projet KTM factory) qui lui vaudra une fin de saison ruinée par une blessure à l'épaule.  

On ne reviendra pas sur toutes les péripéties de l'aventure abrégée Zarco/KTM. Alors que le Français prenait la décision de quitter le navire avant le terme de son contrat de deux ans après le GP d'Autriche 2019, c'est Oliveira qui devint immédiatement le choix logique de KTM pour lui succéder aux côtés du pilier Pol Espargaró dans l'équipe d'usine. Mais le Portugais refusa alors l'offre, choisissant de rester dans l'ambiance familiale de Tech3 où le soutien d'usine était fortement ressenti, permettant ainsi à KTM de faire monter son autre star montante, Brad Binder, initialement envisagé pour le guidon Tech3. Un choix qui irrita sur le moment Oliveira, qui affirma avoir compris que son refus aura tpermis au méritant pilote de tests Mika Kallio de décrocher le guidon d'usine.  

Le choix d'Oliveira de ne pas opter pour le guidon d'usine suggère peut-être que le Portugais n'avait pas encore une perception sereine de sa capacité à emmener ce projet autour duquel la médiatisation est importante aux côtés d'un redoutable équipier. Selon Hervé Poncharal, son patron, Oliveira est encore perçu – et se percevait aussi – comme un outsider. 

"C'est un gars détendu, poli, intelligent, qui a une bonne éducation", commence-t-il dans un entretien en tête-à-tête avec Motorsport.com. "Certaines personnes pensent qu'il faut être fou pour être un top pilote, qu'il n'est pas vraiment nécessaire d'être poli ou bien éduqué. Et peut-être qu'en termes de perception de Miguel en tant que personne, certains ont pensé : 'OK, ce gars ne sera jamais un vainqueur en MotoGP'."

Oliveira a prouvé le contraire de la plus belle des manières en Styrie mais cela n'est pas si surprenant aux yeux de Poncharal. "Nous savions au fond de nous, en partageant les données avec les trois autres gars chez KTM et en voyant sa manière de piloter, qu'il s'agissait d'une possibilité. De ce fait, je suis très heureux d'avoir donné à Miguel la possibilité de montrer qu'il est un pilote MotoGP et de le faire avant qu'il ne passe avec l'équipe d'usine l'an prochain [pour remplacer Pol Espargaró, ndlr] me rend vraiment, vraiment heureux. Nous l'avons fait ensemble." 

Poncharal est l'une des figures les plus populaires du paddock MotoGP ; une reconnaissance qu'il a acquise en conservant une approche terre-à-terre de la vie. Par exemple, le Français nous admet en off qu'il trouve qu'être appelé "Président" dans son rôle au sein de l'Association Internationale des Équipes de Course, un rôle qu'il occupe depuis près de deux décennies, "est trop" pour lui. Oliveira affiche la même humilité, ce qui le met"en parfaite adéquation" avec Tech3. 

Le vainqueur Miguel Oliveira, Red Bull KTM Tech 3

C'est là que l'on commence à voir pourquoi Oliveira a choisi de ne pas réaliser le pas en avant vers l'équipe d'usine KTM dès que l'occasion s'est présentée. Il faut dire que le Portugais travaille avec Guy Coulon comme ingénieur en chef. Le cofondateur de l'équipe est peut-être ce qui s'approche le plus dans le monde de la course moto d'un savant fou, sans aucune idée péjorative derrière l'expression. Oliveira a aussi pu constater à quel point Zarco avait connu des difficultés à prendre la mesure de la monture KTM et de la vie au sein du garage du constructeur autrichien, au point de mettre en péril un parcours jusqu'alors brillant dans la catégorie reine. "Un pilote heureux est un pilote rapide", fait remarquer Poncharal, qui a néanmoins été "vraiment agréablement surpris" par la décision d'Oliveira de rester au sein de la famille KTM. "Je pensais qu'il accepterait", admet-il. "Je n'aurais pas été en colère contre lui car quand cela a été offert à Brad, il y est allé. Lorsque l'on est un pilote au sommet, on souhaite être dans une équipe d'usine." 

"Il m'a dit : 'Je me sens bien, et tant que je peux disposer du même soutien technique, il n'y a pas de raison pour moi d'y aller. J'aime mon équipe, mes gars, et je pense que ce sont les meilleurs à avoir autour de moi pour continuer à apprendre et réaliser des performances en MotoGP'. C'était un sentiment merveilleux et cela m'a fait travailler deux fois plus dur car je ne voulais pas qu'il ait des regrets concernant son choix à quelque moment que ce soit. Vous pouvez aussi imaginer que lorsque l'équipe a compris ça, ils ont été doublement plus motivés pour travailler et aider Miguel car ils savaient qu'il avait décidé de rester et c'était quelque chose de vraiment important pour eux." 

KTM a réalisé un fantastique pas en avant durant l'hiver et il aurait été facile de mettre en question le choix d'Oliveira quant Binder signait la première victoire de sa carrière MotoGP après seulement trois épreuves dans la discipline, à Brno. Mais Oliveira n'avait pas eu de chance jusque-là en 2020 : égaler sa meilleure huitième place à l'arrivée d'un GP en Espagne avait posé une base positive, mais il avait été balayé par ce même Binder au premier virage de la manche andalouse après s'être qualifié cinquième. Une chute en EL3 à Brno l'avait laissé en Q1, dont il ne fut pas capable de s'extraire, se retrouvant treizième sur la grille. Remonté en sixième position à l'arrivée, il savait cependant disposer d'un rythme qui aurait pu valoir un podium. Enfin, sur la première manche autrichienne, une semaine avant sa victoire, il s'était de nouveau retrouvé dans le drame d'un incident de course l'impliquant à un autre pilote KTM factory, cette fois Pol Espargaró, alors qu'il était cette fois dans la lutte pour le podium.  

S'il avait terminé sa course dans sa position de départ sur la seconde manche de Jerez et passé l'Espagnol pour obtenir la cinquième place sur le Red Bull Ring, Oliveira comptabiliserait actuellement 65 points au championnat au lieu de 43, et serait ainsi quatrième, devant Binder.

Miguel Oliveira, Red Bull KTM Tech 3

 

Oliveira passera quoi qu'il en soit dans l'équipe d'usine aux côtés de Binder en 2021. Le line-up "de rêve" que Poncharal aurait dû avoir dans son équipe cette année. Les line-up factory sont maintenant bien établis pour l'an prochain, à l'exception de celui de Ducati. Marc Márquez et Pol Espargaró seront chez Honda, Fabio Quartararo et Maverick Viñales représenteront Yamaha factory, Álex Rins et Joan Mir sont maintenus chez Suzuki. KTM s'affiche aussi très solide. 

"Je les ai suivis en Moto3 puis en Moto2 et j'ai toujours dit à Aki [Ajo, leur directeur d'équipe] : 'tu es un mec chanceux, Aki, parce que tu as une dream team", sourit Poncharal. "Penser que maintenant, tous deux seront réunis l'an prochain dans l'équipe factory KTM… J'ai dit aux gars de chez KTM : 'vous êtes si chanceux, vous avez deux pilotes incroyablement rapides, gentils et avec un potentiel incroyable." 

Le foi de KTM en son programme de jeunes pilotes doit être saluée. Miser sur Binder et Oliveira pour mener son défi d'usine représente certes un risque en 2021 compte tenu de leur relative inexpérience en MotoGP et des doutes qui entourent forcément ce que sera le niveau de compétitivité du package mis à leur disposition. Mais pour l'heure, le constructeur s'affiche de la plus belle des manières. Jusqu'à présent, le seul constructeur ayant pu célébrer la victoire en 2020 avec deux pilotes différents aura été KTM. Le résultat du fait que la marque "n'a pas peur de travailler", selon Poncharal, mais aussi de l'alchimie prenant avec les talents placés sur ses motos. 

Quel que soit le succès que rencontrera Oliveira l'an prochain avec KTM, il conviendra de ne pas oublier le rôle joué par Poncharal et Tech3 dans le développement du Portugais comme l'un des pilotes de premier plan du plateau MotoGP. Et d'ici là, peut-être que la belle association peut encore profiter de quelques beaux dimanche après-midi dans cette saison incroyablement imprévisible…

Victoire pour Miguel Oliveira, Red Bull KTM Tech 3

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