Pecco Bagnaia, champion du monde sur tapis rouge
Pecco Bagnaia, 25 ans, a scellé sa victoire sur le championnat pilotes MotoGP lors du Grand Prix de Valence. Le successeur de Fabio Quartararo arrive sur le toit du monde comme il l'a rêvé depuis toujours : avec Ducati.
Vingt ans après le lancement du MotoGP, Pecco Bagnaia vient de réussir là où Loris Capirossi, Andrea Dovizioso et, bien sûr, Valentino Rossi se sont tous cassé les dents : célébrer un triomphe 100% italien, celui d'un pilote transalpin titré au guidon d'une machine qui a vu le jour sur ses terres, comme le réalisèrent à l'époque des 500cc Umberto Masetti et Libero Liberati sur Gilera dans les années 1950, puis Giacomo Agostini lors de son épopée victorieuse avec MV Agusta.
Et c'est peu dire que le nouveau Champion du monde, couronné à Valence après avoir vaincu Fabio Quartararo, son dernier adversaire dans la course au titre, réalise ici un rêve d'enfance, lui qui a depuis toujours été fasciné par la marque Ducati. Né à Turin en 1997, celui que l'on a très vite appelé Pecco − parce que sa sœur n'arrivait pas à prononcer Francesco − aurait pu rêver de l'Aprilia RSV 1000 paternelle, pourtant c'est la Ducati 996 de son oncle qu'il admire les yeux pleins d'étoiles quand il est bambin. À 7 ans, les performances de James Toseland et Nori Haga sur la 999 entretiennent sa passion naissante devant la TV.
Aujourd'hui, à 25 ans, le voici sur le toit du monde et c'est bel et bien lui qui vient enfin offrir le succès ultime au constructeur implanté dans la banlieue de Bologne, un deuxième sacre après celui de Casey Stoner il y a 15 ans mais cette fois agrémenté de ce soupçon de chauvinisme qui viendra regonfler les cœurs des tifosi un an après le départ de l'idole Valentino Rossi. Et il y a aussi un peu de Rossi chez Bagnaia, lui qui en est l'élève depuis la création de la VR46 Riders Academy en 2014, ce qui lui permet de partager ses entraînements, d'étudier l'approche de l'idole des Grands Prix et de recevoir, aujourd'hui encore, moult conseils − ou remontées de bretelles ! − pour tenter de suivre la bonne voie.
Comme tant d'autres, le petit Pecco bénéfice d'abord de l'accompagnement de son père, chez qui il reconnaîtra de grandes qualités de pédagogue, lui ayant évité de se sentir sous pression durant ses premiers contacts avec la compétition. Champion d'Europe MiniGP en 2009, puis deuxième du PreGP 125, il rejoint l'incontournable championnat d'Espagne pendant deux ans, catégories 125cc et Moto3. Il y côtoie de futurs pilotes de Grand Prix et, à leurs côtés, se convainc qu'il est lui aussi mûr pour faire le grand saut. Le voici qui intègre le Championnat du monde en 2013, formant le Team Italia avec le phénomène Romano Fenati, et c'est la douche froide : en 17 courses, il ne parvient pas une fois à entrer dans les points. Avec le recul, il admettra avoir commis sa plus grosse erreur en opérant ce passage trop précoce.
Dès 2014, il est encadré par la VR46 Riders Academy, dont il fait partie de la première promotion. Il intègre l'équipe du groupe pour sa deuxième saison mondiale et affiche des signes de progrès durant les premières courses (il entre dans les points, dans le top 10 et se classe même quatrième au Mans), mais ce n'est pas encore suffisant. Parti vivre à Tavullia, il obtient de rejoindre le team Aspar, celui qu'il souhaitait bien que la Mahindra ne soit pas la référence du plateau. Si ses premières saisons mondiales ont été rudes, il fait bien de s'entêter et, bien entouré, il retrouve le plaisir de la course. Un premier podium arrive en 2015, puis ils se multiplient l'année suivante. Il termine alors quatrième du championnat et l'on se dit qu'il a cette fois fait ses preuves pour commencer son ascension.
Ses résultats ne lui valent pas uniquement de changer de catégorie... mais carrément de piloter une MotoGP ! En ayant décroché deux victoires cette année-là, il remporte en effet un pari passé avec Gino Borsoi, alors à la tête du team Aspar, qui évolue aussi dans la catégorie reine. Le cadeau est de taille puisqu'il prend le guidon de la MotoGP du team espagnol pendant le test de Valence. Signe du destin, il s'agit d'une Ducati...
Pecco Bagnaia a piloté une Ducati Desmosedici pour la première fois en 2016, après avoir gagné un pari
Elle a beau le faire rêver, il lui reste quelques échelons à gravir avant d'espérer poursuivre la romance. L'année suivante, il rejoint donc la catégorie intermédiaire avec l'équipe montée par Valentino Rossi, qui y fait avec lui ses premiers pas. Et d'emblée, le jeune Bagnaia marque les esprits en décrochant un premier podium dès sa quatrième course, à Jerez, comme seuls quatre autres pilotes l'avaient fait auparavant (Marc Márquez, Jonas Folger, Maverick Viñales et Álex Rins). Il en décroche quatre au total, marque des points très régulièrement et se classe cinquième du championnat, auréolé du statut de meilleur débutant.
Son éclosion cette année-là n'est récompensée que par des deuxièmes et troisièmes places, mais dès la première manche de la saison suivante il s'impose, et ce en menant de bout en bout le Grand Prix du Qatar. Après le titre de Franco Morbidelli, c'est lui que l'on érige en favori avant même le coup d'envoi de cette saison, et il tient ce statut. Capable de performances dominatrices, il se montre régulier et malgré le retour en force de Miguel Oliveira, il réalise la partition parfaite pour finalement être titré en Malaisie.
Le mariage rêvé avec Ducati
Tandis qu'il brille sur la Kalex, Bagnaia couve la Desmosedici des yeux. L'histoire d'amour ne sera pas à sens unique : Ducati croit en lui et, très vite, les discussions débutent en vue de son passage en MotoGP. Le pilote italien a senti qu'il attirait les constructeurs de la catégorie reine dès 2016, alors qu'il venait tout juste de commencer à gagner en Moto3, pourtant lorsqu'une première opportunité de rejoindre l'élite avec sa marque fétiche se présente pour 2018, il la décline pour se donner le temps de remporter le titre Moto2. Avant même que cette deuxième saison dans la catégorie intermédiaire commence, il a toutefois l'assurance de réaliser son rêve, puisqu'il a cette fois en poche un contrat de deux ans qui le verra remplacer Danilo Petrucci chez Pramac à partir de 2019.
"On a fait les choses en avance mais j'ai eu confiance, j'ai foncé parce que je fais une confiance aveugle à ceux qui m'entourent", nous explique-t-il alors. "C'est une situation parfaite, je retombe parfaitement sur mes pieds − sur un tapis rouge. Ducati m'a accordé beaucoup de choses et c'est, à mon avis, la meilleure situation en MotoGP."
Pour lui mettre le pied à l'étrier, le constructeur le confie à Cristian Gabarrini, celui qui fut l'ingénieur de Casey Stoner lors de cette grande époque que les fans de Ducati ne cessent de chérir avec nostalgie depuis 15 ans, puis qui permit à Jorge Lorenzo de s'adapter à la Desmosedici et de gagner à son guidon. Il impressionne pendant les essais hivernaux, se classant deuxième à Sepang, mais l'apprentissage en course n'est pas simple et la première saison du Turinois parmi l'élite est éprouvante. Le top 10 au championnat espéré par Pramac pour ses débuts est loin et durant cette année et la suivante, il ne brille que sporadiquement, peinant à sortir de la spirale négative dans laquelle tendent à le faire plonger des résultats décevants.
J'avais choisi d'être pilote Ducati avant même de devenir Champion du monde Moto2 en 2018, et ils m'avaient eux-mêmes choisi avant que je sache que je le deviendrais un jour. C'était notre pari.
Pecco Bagnaia
On remarque toutefois ses progrès en 2019 à partir d'un test réalisé à Brno durant lequel ses réglages sont revus de fond en comble alors qu'il vient de toucher le fond lors du Grand Prix sur place, puis sa quatrième place en Australie en fin de saison, alors au guidon d'une machine de l'année précédente. En 2020, une blessure porte un coup d'arrêt à son évolution peu de temps après le début de la compétition, mais lorsqu'il fait son retour et que le championnat arrive chez lui, à Misano, il s'illustre d'abord par une deuxième place très prometteuse, puis mène la seconde course avant de partir à la faute.
La concrétisation se fait attendre, néanmoins Bagnaia s'est bel et bien fait remarquer et, quelques jours après ce double Grand Prix en Italie il est promu dans l'équipe officielle Ducati, où il va retrouver Jack Miller, déjà officialisé, alors que le binôme Dovizioso-Petrucci s'en va voir ailleurs. Malgré les embûches, il poursuit bel et bien sa route en gardant le cap sur ses ambitions de toujours. "J'avais choisi d'être pilote Ducati avant même de devenir Champion du monde Moto2 en 2018, et ils m'avaient eux-mêmes choisi avant que je sache que je le deviendrais un jour. C'était notre pari", explique-t-il alors, "car jusqu'alors j'avais toujours été rapide, mais je n'avais rien réalisé de concret, or Ducati a décidé d'y croire avant tout le monde. Nous ne savions pas comment cela allait se passer, mais si je devais revenir en arrière, je referais la même chose."
La suite ne lui fera évidemment pas changer d'opinion, car une fois vêtu de rouge, Pecco Bagnaia prend tout doucement le leadership. Discret, précis, attentif aux détails, il emmagasine les connaissances et construit sa progression avec intelligence. Lorsque Ducati se montre en capacité de prendre l'ascendant sur le championnat, avec une fin de saison 2021 qui impressionne par la présence groupée des Desmosedici aux avant-postes, c'est lui qui sort du lot.
Le déclic arrive sur le MotorLand Aragón avec sa première victoire, il y a à peine plus d'un an. Une entrée au palmarès par la grande porte puisqu'il livre une résistance de tous les instants à un Marc Márquez pourtant admirable sur l'un de ses terrains de jeux préférés. Une fois qu'il a trouvé le chemin du succès, sa courbe de performance opère un tournant impressionnant : sur les 26 courses qui se sont écoulées depuis, il a gagné onze fois, et son efficacité lui a permis à la fois de recoller dangereusement à Fabio Quartararo au moment où le sacre du Français approchait, la saison dernière, mais aussi d'inverser totalement la tendance de cette campagne 2022 en réalisant le plus gros retour jamais observé, passé de 91 points de retard à 14 points d'avance en l'espace de huit courses.
Pecco Bagnaia vainqueur du Grand Prix d'Italie avec Ducati en 2022
Il a beau afficher le mantra "Go Free" sur ses cuirs, Bagnaia pèche parfois par sa tendance à trop gamberger. Ainsi, le début de cette saison est fait de hauts et de bas très marqués, avec d'abord une nouvelle GP22 difficile à exploiter et des contre-performances notables, comme sa chute au Qatar ou sa 15e place sous la pluie d'Indonésie, mais surtout sa bévue en France où, mis sous pression par Enea Bastianini, il tombe. Avant et après, il s'impose pourtant de façon dominatrice à Jerez et au Mugello.
Le tournant s'opère à Assen, non sans symbole si l'on considère qu'il porte ce circuit iconique tatoué sur le bras, depuis qu'il y a décroché sa première victoire mondiale en 2016 ! Après être descendu à 91 points de retard sur Quartararo, il enchaîne quatre victoires, du jamais vu pour un pilote Ducati, et fond sur le Français.
Désormais, Bagnaia compte onze victoires et vingt podiums depuis son arrivée en MotoGP, mais il affiche surtout une tendance impressionnante depuis un an. En parallèle du retour de Ducati au sommet, il a parfois été coupable du pire (en chutant alors qu'il était en tête au GP d'Émilie-Romagne l'an dernier puis en France cette année) mais souvent capable du meilleur. Son taux de réussite est devenu épatant, et plus encore depuis la mi-saison cette année, jusqu'à lui permettre de prendre les rênes du championnat en Australie après avoir marqué 152 points en huit courses, contre 47 pour Quartararo.
Au vu de cette tendance, et même si trois autres pilotes étaient encore mathématiquement en lice au moment de l'avant-dernière course à Sepang, Bagnaia s'est affirmé au fil des semaines comme le véritable favori pour le titre 2022, sans contestation possible. Bien que sa première balle de match ait subi la résistance de Quartararo, il affichait 23 points d'avance en arrivant à Valence et il aurait désormais fallu un véritable coup de théâtre pour que le sacre lui file entre les doigts. Formant avec sa machine le meilleur binôme du plateau, le voici qui entre dans le panthéon des champions. Prolongé jusqu'en 2024 avant même le début de cette saison, l'heureux pilote Ducati pourrait bien avoir les moyens d'aller très au-delà de ses rêves d'enfant...
Pecco Bagnaia en chiffres
- 25 ans ; il est né le 14 janvier 1997 à Turin (Italie)
- 172 Grands Prix, dont 67 en MotoGP
- 21 victoires, dont 11 en MotoGP
- 43 podiums, dont 20 en MotoGP
- 18 pole positions, dont 11 en MotoGP
- 14 meilleurs tours en course, dont 9 en MotoGP
- 1370 points, dont 618 en MotoGP
La carrière de Pecco Bagnaia
2009 Champion d'Europe MiniGP
2010 2e du championnat PreGP 125
2011 3e du championnat d'Espagne 125cc
2012 3e du championnat d'Espagne Moto3
2013 Débuts en championnat du monde Moto3 (FTR Honda)
2014 16e du championnat du monde Moto3 (KTM)
2015 14e du championnat du monde Moto3 (Mahindra)
2016 4e du championnat du monde Moto3 (Mahindra)
2017 5e du championnat du monde Moto2 (Kalex) ; rookie de l'année
2018 Champion du monde Moto2 (Kalex)
2019 15e du championnat du monde MotoGP (Ducati)
2020 16e du championnat du monde MotoGP (Ducati)
2021 Vice-champion du monde MotoGP (Ducati)
2022 Champion du monde MotoGP (Ducati)
Les statistiques de Pecco Bagnaia en Grand Prix
Saison | Champ. | Courses | Pole pos. | Victoires | 2e places | 3e places | Pts | Pos. |
2013 | Moto3 | 17 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | - |
2014 | Moto3 | 16 | 0 | 0 | 0 | 0 | 50 | 16e |
2015 | Moto3 | 18 | 0 | 0 | 0 | 1 | 76 | 14e |
2016 | Moto3 | 18 | 1 | 2 | 1 | 3 | 145 | 4e |
2017 | Moto2 | 18 | 0 | 0 | 2 | 2 | 174 | 5e |
2018 | Moto2 | 18 | 6 | 8 | 1 | 3 | 306 | 1er |
2019 | MotoGP | 18 | 0 | 0 | 0 | 0 | 54 | 15e |
2020 | MotoGP | 11 | 0 | 0 | 1 | 0 | 47 | 16e |
2021 | MotoGP | 18 | 6 | 4 | 3 | 2 | 252 | 2e |
2022 | MotoGP | 20 | 5 | 7 | 1 | 2 | 265 | 1er |
Son taux de réussite en MotoGP
- 11 victoires en 67 Grands Prix : 16,4% (42,3% depuis le GP d'Aragón 2021)
- 20 podiums en 67 Grands Prix : 29,8% (57,7% depuis le GP d'Aragón 2021)
- 11 pole positions en 67 Grands Prix : 16,4% (38,5% depuis le GP d'Aragón 2021)
- 618 points en 67 Grands Prix : 9,2 points par course (14,6 points/course depuis le GP d'Aragón 2021)
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